Je connais leurs pensées, car ils m’ont appelée et consultée. Je sais qu’ils luttent pour leur honneur, mais qu’ils ne sont pas effrayés de ce que les hommes appellent la pauvreté. Il n’y a pas de pauvreté pour les âmes fières. Dis cela à celle qui t’interrogera demain, et ne cède pas à l’amour qu’elle t’inspire jusqu’à trahir ta religion de famille.

– J’obéirai, je le jure ! Et, à présent, révélez-moi les secrets de la vie éternelle. Où est votre âme maintenant ? quelles facultés nouvelles a-t-elle acquises dans ce renouvellement ?...

– Je ne puis te répondre que ceci : la mort n’existe pas ; rien ne meurt ; mais les choses de l’autre vie sont bien différentes de ce que l’on s’imagine dans le monde où tu es. Je ne t’en dirai pas davantage, ne m’interroge pas.

– Dites-moi, au moins, si je vous reverrai dans cette autre vie ?

– Je l’ignore.

– Et dans celle-ci ?

– Oui, si tu le mérites.

– Je le mériterai ! Dites-moi encore... Puisque vous pouvez diriger et conseiller ceux qui vivent dans ce monde, ne pouvez-vous pas les plaindre ?

– Je le peux.

– Et les aimer ?

– Je les aime tous comme des frères avec qui j’ai vécu.

– Aimez-en un plus que les autres. Il fera des miracles de courage et de vertu pour que vous vous intéressiez à lui.

– Qu’il fasse ces miracles, et il me retrouvera dans ses pensées. Adieu !

– Attendez, oh ! mon Dieu, attendez ! On croit que vous donnez comme gage de votre protection, et comme moyen de vous évoquer de nouveau, une bague magique à ceux qui ne vous ont pas offensée. Est-ce vrai ? et me la donnerez-vous ?

– Des esprits grossiers peuvent seuls croire à la magie. Tu ne saurais y croire, toi qui parles de la vie éternelle et qui cherches la vérité divine. Par quel moyen une âme, qui se communique à toi sans le secours d’organes réels, pourrait-elle te donner un objet matériel et palpable ?

– Pourtant, je vois à votre doigt une bague étincelante.

– Je ne puis voir ce que tes yeux voient. Quelle bague crois-tu voir ?

– Un large anneau avec une émeraude en forme d’étoile enchâssée dans l’or.

– Il est étrange que tu voies cela, dit-elle, après un moment de silence ; les opérations involontaires de la pensée humaine, et la connexion de ses rêves avec certains faits évanouis, renferment peut-être des mystères providentiels. La science de ces choses inexplicables n’appartient qu’à celui qui sait la cause et la raison de tout. La main que tu crois voir n’existe que dans ton cerveau. Ce qui reste de moi dans la tombe te ferait horreur ; mais peut-être me vois-tu telle que j’ai été sur la terre. Dis-moi comment tu me vois.

Je ne sais quelle description enthousiaste je lui fis d’elle-même. Elle parut écouter avec attention et me dit :

– Si je ressemble à la statue qui est ici, tu ne dois pas t’en étonner, car je lui ai servi de modèle. Tu réveilles par là, en moi, le souvenir effacé de ce que j’ai été, et jusqu’aux pierreries que tu décris, je me souviens de m’en être parée. La bague que tu crois voir, je l’ai perdue dans une chambre de ce château que j’habitais ; elle tomba entre deux pierres disjointes sous l’âtre de la cheminée. Je devais faire lever la pierre le lendemain ; mais, le lendemain, j’étais morte. Peut-être la retrouveras-tu si tu la cherches. En ce cas, je te la donne en souvenir de moi et du serment que tu m’as fait de m’obéir. Voici le jour, adieu !

Cet adieu me causa la plus atroce douleur que j’eusse jamais ressentie ; je perdis la tête et faillis m’élancer encore pour retenir l’ombre enchanteresse ; car peu à peu je m’étais assez rapproché d’elle pour être à portée de saisir le bord de son vêtement si j’eusse osé le toucher, mais je n’osai pas. J’avais oublié, il est vrai, les menaces de la légende contre ceux qui tentaient de commettre cette profanation ; j’étais seulement retenu, et comme anéanti, par un respect superstitieux ; mais un cri de désespoir sorti de ma poitrine alla vibrer jusque dons les conques marines des tritons de la fontaine.

L’ombre s’arrêta, comme retenue par la pitié.

– Que veux-tu encore ? me dit-elle. Voici le jour, je ne puis rester.

– Pourquoi donc ? Si tu le voulais !

– Je ne dois pas revoir le soleil de cette terre. J’habite l’éternelle lumière d’un monde plus beau.

– Emmène-moi dans ce monde ! Je ne veux plus rester dans celui-ci ; je n’y resterai pas, je le jure, si je ne dois plus te revoir.

– Tu me reverras, sois tranquille, dit-elle. Attends l’heure où tu en seras digne, et, jusque-là, ne m’évoque plus. Je te le défends. Je veillerai sur toi comme une providence invisible, et, le jour où ton âme sera aussi pure qu’un rayon du matin, je t’apparaîtrai par la seule évocation de ton pieux désir.