vous l’avez vue se produire ?

– Mieux que je ne vous vois en ce moment !

– Ne le prenez pas sur ce ton d’orgueil enivré : je ne doute pas de vos paroles. Racontez-moi tranquillement...

– Rien ! jamais ! je vous supplie de ne pas me questionner. Je ne peux pas, je ne veux pas répondre.

– En vérité, la société des spectres ne vous vaut rien, cher monsieur, et vous me feriez croire que l’on vous a dit des choses singulièrement flatteuses, car vous voilà fier et discret comme un amant heureux !

– Ah ! que dites-vous là, madame ? m’écriai-je. Il n’y a pas d’amour possible entre deux êtres que sépare l’abîme du tombeau... Mais vous ne savez pas de quoi vous parlez, vous ne croyez à rien, vous vous moquez de tout !

J’étais si rude dans mon enthousiasme, que madame d’Ionis fut piquée.

– Il y a une chose dont je ne me moque pas, dit-elle avec vivacité : c’est mon procès, et, puisque vous m’avez promis, sur l’honneur, de consulter un oracle mystérieux et de vous conformer à ses arrêts...

– Oui, répondis-je en lui prenant la main avec une familiarité très déplacée, mais très calme, dont elle ne s’offensa pas, tant elle comprit l’état de mon âme ; oui, madame, pardonnez-moi mon trouble et mon oubli. C’est par dévouement pour vous que j’ai joué un jeu bien dangereux, et je vous dois, au moins, compte du résultat. Il m’a été prescrit d’obéir aux intentions de mon père et de vous faire gagner votre procès.

Soit qu’elle s’attendît à cette réponse, soit qu’elle fût en doute de ma lucidité, madame d’Ionis ne marqua ni surprise ni contrariété. Elle se contenta de lever les épaules, et, me secouant le bras comme pour me réveiller :

– Mon pauvre enfant, dit-elle, vous avez rêvé, et rien de plus. J’ai partagé un instant votre exaltation, j’ai espéré du moins qu’elle vous ramènerait à la notion de délicatesse et d’équité qui est au fond de votre âme. Mais je ne sais quels scrupules exagérés ou quelles habitudes d’obéissance passive envers votre père, vous ont fait entendre des paroles chimériques. Sortez de ces illusions. Il n’y a pas eu de spectres, il n’y a pas eu de voix mystérieuses ; vous vous êtes monté la tête avec l’indigeste lecture du vieux manuscrit et les contes bleus de l’abbé de Lamyre. Je vais vous expliquer ce qui vous est arrivé.

Elle me parla assez longtemps ; mais je fis de vains efforts pour l’écouter et la comprendre. Il me semblait, par moments, qu’elle me parlait une langue inconnue. Quand elle vit que rien n’arrivait de mon oreille à mon esprit, elle s’inquiéta sérieusement de moi, me toucha le poignet pour voir si j’avais la fièvre, me demanda si j’avais mal à la tête, et me conjura d’aller me reposer. Je compris qu’elle me permettait d’être seul et je courus avec joie me jeter sur mon lit, non que je ressentisse la moindre fatigue, mais parce que je m’imaginais toujours revoir la céleste beauté de mon immortelle, si je parvenais à m’endormir.

Je ne sais comment se passa le reste de la journée. Je n’en eus pas conscience. Le lendemain matin, je vis Baptiste marchant par la chambre sur la pointe du pied.

– Que fais-tu là, mon ami ? lui demandai-je.

– Je vous veille, mon cher monsieur, répondit-il. Dieu merci, vous avez dormi deux bonnes heures. Vous vous sentez mieux, n’est-ce pas ?

– Je me sens très bien. J’ai donc été malade ?

– Vous avez eu un gros accès de fièvre hier au soir, et cela a duré une partie de la nuit. C’est l’effet de la grande chaleur. Vous ne pensez jamais à mettre votre chapeau quand vous allez au jardin ! Pourtant madame votre mère vous l’avait si bien recommandé !

Zéphyrine entra, s’informa de moi avec beaucoup d’intérêt, et m’engagea à prendre encore une cuillerée de ma potion calmante.

– Soit, lui dis-je, bien que je n’eusse aucun souvenir de cette potion : un hôte malade est incommode, et je ne demande qu’à guérir vite.

La potion me fit réellement grand bien, car je dormis encore et rêvai de mon immortelle. Quand j’ouvris les yeux, je vis, au pied de mon lit, une apparition qui m’eût charmé l’avant-veille, mais qui me contraria comme un reproche importun. C’était madame d’Ionis, qui venait elle-même s’informer de moi et surveiller les soins que l’on me donnait. Elle me parla avec amitié et me marqua de l’intérêt véritable. Je la remerciai de mon mieux et l’assurai que je me portais fort bien.

Alors apparut la tête grave d’un médecin, qui examina mon pouls et ma langue, me prescrivit le repos, et dit à madame d’Ionis :

– Ce ne sera rien. Empêchez-le de lire, d’écrire et de causer jusqu’à demain, et il pourra retourner dans sa famille après-demain.

Resté seul avec Baptiste, je l’interrogeai.

– Mon Dieu, monsieur, me dit-il, je suis bien embarrassé pour vous répondre. Il paraît que la chambre où vous étiez passe pour être hantée...

– La chambre où j’étais ? Où suis-je donc ?

Je regardai autour de moi, et, sortant de ma torpeur, je reconnus enfin que je n’étais plus dans la chambre aux dames, mais dans un autre appartement du château.

– Pour moi, monsieur, reprit Baptiste, qui était un esprit très positif, j’ai dormi dans cette chambre et n’y ai rien vu. Je ne crois pas du tout à ces histoires-là.