Mais, quand j’ai entendu que vous vous tourmentiez dans la fièvre, parlant toujours d’une belle dame qui existe et qui n’existe pas, qui est morte et qui est vivante... que sais-je ce que vous n’avez pas dit là-dessus ! c’était si joli quelquefois, que j’aurais voulu le retenir, ou savoir écrire pour le conserver ; mais cela vous faisait du mal, et j’ai pris le parti de vous apporter ici, où vous êtes mieux. Voyez-vous, monsieur, tout ça vient de ce que vous faites trop de vers. Monsieur votre père le disait bien, que ça dérangeait les idées ! Vous feriez mieux de ne penser qu’à vos dossiers.

– Tu as certainement raison, mon cher Baptiste, répondis-je, et je tâcherai de suivre ton conseil. Il me semble, en effet, que j’ai eu un accès de folie.

– De folie ? Oh ! non pas, monsieur, Dieu merci ! Vous avez battu la campagne dans la fièvre, comme ça peut arriver à tout le monde ; mais voilà que c’est fini, et, si vous voulez prendre un peu de bouillon de poulet, vous vous retrouverez dans vos esprits comme vous y étiez auparavant.

Je me résignai au bouillon de poulet, bien que j’eusse souhaité quelque chose de plus nourrissant pour me remettre vite. Je me sentais accablé de fatigue. Peu à peu, mes forces revinrent dans la journée, et on me permit de souper légèrement. Le lendemain, madame d’Ionis revint me voir. J’étais levé et me sentais tout à fait bien. Je lui parlai avec beaucoup de sens de ce qui m’était arrivé, sans toutefois lui donner aucun détail à cet égard. J’avais été fou : j’en étais très honteux, et la priais de me garder le secret ; j’étais perdu comme avocat, si l’on me faisait, dans le pays, la réputation d’un visionnaire ; mon père s’en affecterait beaucoup.

– Ne craignez rien, me répondit-elle, je vous réponds de la discrétion de mes gens ; assurez-vous du silence de votre valet de chambre, et cette aventure ne sortira pas d’ici. D’ailleurs, quand même on raconterait quelque chose, nous en serions tous quittes pour dire que vous avez eu un accès de fièvre, et qu’il a plu à ces esprits superstitieux de l’interpréter au gré de leur crédulité. Au fond, ce serait la vérité. Vous avez pris un coup de soleil en venant ici à cheval par une journée brûlante. Vous avez été malade dans la nuit. Les jours suivants, je vous ai tourmenté avec ce malheureux procès, et, pour vous amener à mon avis, je n’ai reculé devant rien !

Elle s’arrêta, et, changeant de ton :

– Vous souvient-il de ce que je vous ai dit avant-hier, dans la bibliothèque ?

– J’avoue que je ne l’ai pas compris, j’étais sous le coup...

– De la fièvre ? Certainement, je l’ai bien vu !

– Vous plaît-il de me répéter, maintenant que j’ai toute ma tête, ce que vous m’avez dit à propos de l’apparition ?

Madame d’Ionis hésita.

– Est-ce que votre mémoire a conservé le souvenir de cette apparition ? me dit-elle d’un ton léger, mais en m’examinant avec une sorte d’inquiétude.

– Non, répondis-je, c’est très confus maintenant ; confus comme un songe dont on a enfin conscience et que l’on ne songe plus à ressaisir.

Je mentais avec aplomb ; madame d’Ionis en fut dupe, et je vis qu’elle mentait aussi, en prétendant ne m’avoir parlé, dans la bibliothèque, que de l’effet du manuscrit, pour s’accuser de me l’avoir prêté dans un moment où j’étais déjà fort agité. Il fut évident pour moi qu’elle m’avait dit là-dessus, la veille, dans un mouvement d’effroi devant mon état mental, des choses qu’elle était maintenant bien aise que je n’eusse pas entendues ; mais je ne soupçonnai pas ce que ce pouvait être. Elle me voyait tranquille, elle me croyait guéri. Je parlais avec assurance de ma vision, comme d’un accès de fièvre chaude. Elle m’engagea à n’y plus penser du tout, à ne jamais m’en tourmenter.

– N’allez pas vous croire plus faible d’esprit qu’un autre, ajouta-t-elle ; il n’y a personne qui n’ait eu quelques heures de délire dans sa vie. Restez encore deux ou trois jours avec nous ; quoi qu’en dise le médecin, je ne veux pas vous renvoyer, faible et pâle, à vos parents. Nous ne parlerons plus du procès, c’est inutile ; j’irai voir votre père et en causer avec lui, sans vous en tourmenter davantage.

Le soir, j’étais tout à fait guéri ; j’essayai de pénétrer dans mon ancienne chambre, elle était fermée. Je me hasardai à demander la clef à Zéphyrine, qui répondit l’avoir remise à madame d’Ionis. On ne voulait plus y loger personne jusqu’à ce que la légende, récemment exhumée, fût oubliée de nouveau.

Je prétendis avoir laissé quelque chose dans cette chambre. Il fallut céder : Zéphyrine alla chercher la clef et entra avec moi. Je cherchai partout sans vouloir dire ce que je cherchais. Je regardai dans le foyer de la cheminée et je vis, sur les pierres disjointes, les égratignures fraîches que Baptiste y avait faites avec son couteau. Mais qu’est-ce que cela prouvait, sinon que, dans ma folie, j’avais fait chercher là un objet qui n’existait que dans le souvenir d’un rêve ? J’avais cru trouver une bague et la mettre à mon doigt. Elle n’y était plus, elle n’y avait sans doute jamais été !

Je n’osai même plus interroger Baptiste sur ce fait. On ne me laissa pas seul un instant dans la chambre aux dames et on la referma dès que j’en fus sorti.