Dieu veuille que le résultat ne soit pas trop grave ! Il me servira de leçon. Et, en attendant, quoi qu’il arrive, voyez mon repentir et n’ayez pas une trop mauvaise idée de moi. Il est bien certain que le monde nous élève mal, nous autres jeunes gens de famille ! Nous oublions que la bourgeoisie nous vaut et qu’il est temps de compter avec elle. Allons, donnez-moi la main à présent, en attendant que nous nous coupions la gorge !

Madame d’Ionis devait venir le lendemain pour assister aux débats. J’avais reçu d’elle plusieurs lettres très amicales où elle ne me détournait plus de mon devoir d’avocat, et où elle se contentait de me recommander de respecter l’honneur de ses parents, qui ne pouvait, disait-elle, être méconnu et offensé sans qu’il en rejaillît de la honte sur elle-même. Il était facile de voir qu’elle comptait sur sa présence pour me contenir, au cas où je me laisserais emporter par quelque dépit oratoire.

Elle se trompait en supposant qu’elle eût exercé sur moi quelque pouvoir. J’étais désormais gouverné par une plus haute influence par un souvenir bien autrement puissant que le sien.

Je m’entretins encore avec mon père dans la soirée, et l’amenai à me laisser libre d’apprécier comme je l’entendais le côté moral de l’affaire. Il me donna le bonsoir en me disant d’un air un peu goguenard, que je ne compris pas plus que ses paroles :

– Mon cher enfant, prends garde à toi ! madame d’Ionis est, pour toi, un oracle, je le sais ! Mais j’ai grand’peur que tu ne tiennes le bougeoir pour un autre.

Et, comme il vit mon étonnement, il ajouta :

– Nous parlerons de cela plus tard. Songe à bien parler demain et à faire honneur à ton père !

Au moment de me mettre au lit, je fus frappé de la vue d’un nœud de rubans verts attaché à mon oreiller avec une épingle. Je le pris et sentis qu’il contenait une bague : c’était l’étoile d’émeraude dont le souvenir ne m’était resté que comme celui d’un rêve de la fièvre. Elle existait, cette bague mystérieuse ; elle m’était rendue !

Je la passai à mon doigt et je la touchai cent fois pour m’assurer que je n’étais pas dupe d’une illusion ; puis je l’ôtai et l’examinai avec une attention dont je n’avais pas été capable au château d’Ionis, et j’y déchiffrai cette devise en caractères très anciens : Ta vie n’est qu’à moi.

C’était donc une défense de me battre ? L’immortelle ne voulait pas me permettre encore d’aller la rejoindre ? Ce fut une cruelle douleur ; car, depuis quelques heures, la soif de la mort s’était emparée de moi, et j’espérais être autorisé par les circonstances à me débarrasser de la vie sans révolte et sans lâcheté.

Je sonnai Baptiste, que j’entendais marcher encore dans la maison.

– Écoute, lui dis-je, il faut me dire la vérité, mon ami ; car tu es un honnête homme, et ma raison est dans tes mains. Qui est venu ici dans la soirée ? Qui a apporté la bague dans ma chambre, là, sur mon oreiller ?

– Quelle bague, monsieur ? Je n’ai pas vu de bague.

– Mais, maintenant, ne la vois-tu pas ? N’est-elle pas à mon doigt ? Ne l’y as-tu pas déjà vue au château d’Ionis ?

– Certainement, monsieur, que je la vois et que je la reconnais bien ! C’est celle que vous aviez perdue là-bas et que j’ai retrouvée entre deux carreaux ; mais je vous jure, sur l’honneur, que je ne sais pas comment elle se trouve ici, et qu’en faisant votre couverture, je n’ai rien vu sur votre oreiller.

– Au moins, peut-être, pourras-tu me dire une chose que je n’ai jamais osé te demander après cette fièvre qui m’avait rendu fou pendant quelques heures. Par qui cette bague m’avait-elle été prise au château d’Ionis ?

– Voilà ce que je ne sais pas non plus, monsieur ! Ne vous la voyant plus au doigt, j’ai pensé que vous l’aviez cachée... pour ne pas compromettre...

– Qui ? Explique-toi !

– Dame ! monsieur, est-ce que ce n’est pas madame d’Ionis qui vous l’avait donnée ?

– Nullement.

– Après ça, monsieur n’est pas forcé de me dire... Mais ça doit être elle qui vous l’a renvoyée.

– As-tu vu quelqu’un de chez elle venir ici, aujourd’hui ?

– Non, monsieur, personne. Mais celui qui a fait la commission connaît les êtres de la maison, pas moins !

Voyant que je ne tirerais rien de l’examen des choses réelles, je congédiai Baptiste et me livrai à mes rêveries accoutumées. Tout cela ne pouvait plus être expliqué naturellement. Cette bague contenait le secret de ma destinée. J’étais désolé d’avoir à désobéir à mon immortelle et j’étais heureux en même temps de m’imaginer qu’elle tenait sa promesse de veiller sur moi.

Je ne fermai pas l’œil de la nuit. Ma pauvre tête était bien malade et mon cœur encore plus. Devais-je désobéir à l’arbitre de ma destinée ? devais-je lui sacrifier mon honneur ? Je m’étais engagé trop avant avec M. d’Aillane pour revenir sur mes pas. Je m’arrêtais par moments à la pensée du suicide pour échapper au supplice d’une existence que je ne comprenais plus. Et puis je me tranquillisais par la pensée que cette terrible et délicieuse devise : Ta vie n’est qu’à moi, n’avait pas le sens que je lui attribuais, et je résolus de passer outre, me persuadant que l’immortelle m’apparaîtrait sur le lieu même du combat, si sa volonté était de l’empêcher.

Mais pourquoi ne m’apparaissait-elle pas elle-même pour mettre fin à mes perplexités ? Je l’invoquais avec une ardeur désespérée.

– L’épreuve est trop longue et trop cruelle ! lui disais-je, j’y perdrai la raison et la vie. Si je dois vivre pour toi, si je t’appartiens...

Un coup de marteau à la porte de la maison me fit tressaillir. Il ne faisait pas encore jour. Il n’y avait que moi d’éveillé chez nous. Je m’habillai à la hâte. On frappa un second coup, puis un troisième, au moment où je m’élançais dans le vestibule.

J’ouvris tout tremblant. Je ne sais quel rapport mon imagination pouvait établir entre cette visite nocturne et le sujet de mes angoisses ; mais, quel que fût le visiteur, j’avais le pressentiment d’une solution.