Mais comme s’écoulaient les heures et que le premier pressait, d’adopter une politique d’agression, le second retrouva sa voix pour crier : « Vive l’Angleterre, vive l’humanité. » Et le désir de cosmopolitisme était alors si fort qu’il en eût certainement résulté le triomphe de la raison ; s’il ne s’était produit en Angleterre un incident qui fit basculer le cours des événements dans la direction opposée.
Le bombardement avait eu lieu un vendredi soir. Le samedi les répercussions du grand message retentissaient dans tout le pays. Ce soir-là, comme une journée humide et brumeuse s’achevait en un pâle coucher de soleil, on vit un avion français au-dessus des faubourgs à l’ouest de Londres. Il descendit lentement et fut considéré par les spectateurs comme un messager de paix. Il descendit encore et l’on vit quelque chose s’en détacher et tomber. Quelques secondes après une immense explosion eut lieu dans le voisinage d’une grande école et d’un palais royal. L’école fut effroyablement détruite, le palais épargné. Mais, désastre funeste pour la cause de la paix, une jeune et belle princesse que tous aimaient à l’excès fut atteinte par l’explosion. Son corps, atrocement mutilé, mais encore reconnaissable pour tout lecteur des journaux illustrés était empalé sur la haute clôture de fer d’un parc bordant la grande rue menant à la ville. Aussitôt après l’explosion, l’avion ennemi s’écrasa au sol, prit feu et fut anéanti avec ses occupants.
Un instant de réflexion et de sang-froid eût convaincu tous les spectateurs que le désastre était un accident, que l’avion était un traînard en détresse, et non point un messager de haine. Mais devant les corps déchiquetés des écoliers, la foule, déchirée par les cris d’angoisse et de terreurs, n’était plus en état de raisonner. En outre, la princesse, emblème du tribalisme, symbole sexuel d’une puissance irrésistible, était là, assassinée, exposée aux yeux de ses adorateurs.
La nouvelle fut transmise à tout le pays, et déformée de telle manière qu’on ne pouvait entretenir le moindre doute : cet acte était le comble du diabolique de la part de ces monstres sexuels de l’autre côté de la Manche. En une heure l’état d’esprit de Londres changea. Et toute la population anglaise succomba à un paroxysme de haine primitive beaucoup plus extravagant que ce qui s’était produit même au temps de la guerre contre l’Allemagne. L’aviation britannique, qui n’était que trop prête et bien équipée, reçut l’ordre de voler vers Paris.
En France, entre temps, le gouvernement militariste était tombé et le parti de la paix avait pris le pouvoir. Les rues étaient encore pleines de ses partisans vociférants, quand tomba la première bombe. Le lundi matin, Paris était anéanti. Il y eut ensuite quelques jours de lutte entre les armées adverses, une boucherie des populations civiles. Malgré la bravoure des Français, une meilleure organisation, un matériel plus efficace et le courage plus prudent de l’aviation britannique empêchèrent tout avion français de quitter le sol. Mais si la France était abattue, l’Angleterre était trop blessée pour tirer avantage de son premier succès. Toutes les villes des deux pays furent complètement désorganisées. La famine, les émeutes, le pillage, et par-dessus tout la rapide propagation de violentes épidémies, amenèrent la désintégration des deux États et mirent fin à la guerre.
Les hostilités cessèrent, et les deux nations étaient trop épuisées même pour continuer à se haïr. Leurs énergies furent un temps entièrement consacrées à essayer d’empêcher leur annihilation par la famine et l’épidémie. Pour l’œuvre de reconstruction, il leur fallut largement dépendre de l’aide extérieure. La Société des Nations prit provisoirement en main la direction des deux pays.
Une comparaison entre l’état d’esprit régnant en Europe à cette époque et celui qui suivit la guerre européenne sera révélatrice. Auparavant, malgré un réel effort vers l’union, la haine et la méfiance avaient continué à s’exprimer dans les politiques nationales. On s’était beaucoup querellé à propos d’indemnités, de réparations, de sécurité. Et le partage du continent en deux camps hostiles avait persisté, bien qu’il ne fût plus alors qu’artificiel et sentimental. Mais après la guerre anglo-française, un autre état d’esprit prévalut. On ne fit pas mention de réparations, il n’était plus possible de rechercher la sécurité dans des alliances.
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