L’Amérique s’enfonça donc de plus en plus dans l’américanisme. Une richesse, une industrie immenses, un brillant esprit inventif furent consacrés à des buts puérils. En particulier, toute la vie américaine fut organisée autour du culte de l’homme puissant, cet idéal fantôme que l’Europe elle-même avait commencé à abandonner dans sa dernière phase. Les Américains qui ne pouvaient réaliser en eux cet idéal, et restaient au bas de l’échelle sociale, se consolaient en espérant un avenir meilleur, ou dérobaient quelques satisfactions symboliques en s’identifiant à une vedette populaire ou bien encore se félicitaient d’être citoyens américains et applaudissaient à la politique étrangère arrogante de leur gouvernement. Ceux qui devenaient puissants étaient satisfaits dans la mesure où ils pouvaient le rester et afficher leur puissance sans discernement, avec le classique sentiment de leur propre importance.

Il était presque inévitable que l’Europe, une fois remise du désastre russo-allemand, en vînt aux coups avec l’Amérique, car elle rongeait son frein depuis longtemps, accablée par le poids de la finance américaine. La vie quotidienne des Européens était de plus en plus gênée par la présence d’une « aristocratie » d’hommes d’affaires américains, aussi nombreux que méprisants. L’Allemagne seule échappait plus ou moins à cette domination, car elle était encore une grande puissance économique. Mais en Allemagne tout autant qu’ailleurs il y avait de constantes frictions avec les Américains.

Ni l’Europe ni l’Amérique ne désiraient la guerre. Elles n’ignoraient ni l’une ni l’autre qu’elle amènerait la fin de la prospérité économique, et peut-être de l’Europe. Car on savait que les moyens de destruction de l’homme avaient récemment augmenté et que si la guerre était faite sans merci, le plus fort pourrait bien exterminer l’autre. Mais il se produisit inévitablement un « incident » qui éveilla une fureur aveugle des deux côtés de l’Atlantique. Un meurtre dans l’Italie du Sud, quelques remarques peu réfléchies dans la presse européenne, des réponses offensantes dans la presse américaine, accompagnées du lynchage d’un Italien dans un État des Prairies, un massacre effréné de citoyens américains à Rome, l’envoi d’une flotte aérienne pour occuper l’Italie, son interception par la flotte aérienne européenne, et ce fut la guerre de fait avant même qu’elle eût été déclarée. Malheureusement peut-être pour l’Europe, ce combat aérien eut pour résultat d’arrêter momentanément l’avance des Américains. Cela stimula leur amour-propre et ils se préparèrent à porter un coup dévastateur.

II. LES ORIGINES D’UN MYSTÈRE.

Le seul événement vraiment intéressant de la guerre se produisit pendant que les Américains mobilisaient et rassemblaient leurs armements. Une société internationale de travailleurs scientifiques se réunit à ce moment-là à Plymouth, en Angleterre. Un jeune Chinois avait manifesté le désir de lire un rapport devant un comité choisi. Comme il avait fait des expériences pour trouver le moyen d’utiliser l’énergie subatomique par l’annihilation de la matière, ce fut avec quelque excitation que les quarante représentants internationaux partirent, suivant les instructions, pour la côte nord du Devon, et se rencontrèrent sur un promontoire désolé appelé Hartland Point.

La matinée étincelait après la pluie. À dix-sept kilomètres au nord-ouest, on voyait avec une netteté inhabituelle toutes les aspérités des falaises de l’île Lundy. Des oiseaux de mer tournoyèrent au-dessus du petit groupe quand il s’assit, déployant des imperméables sur le gazon tondu par les lapins.

C’était une assemblée remarquable. Chacun des hommes était unique et pourtant caractérisé jusqu’à un certain point par les traits de son type national. Tous étaient indéniablement des « scientifiques » de cette période. Auparavant cela eût impliqué une tendance naïve au matérialisme et un cynisme affecté ; mais il était alors de mode de professer une croyance tout aussi naïve : que tous les phénomènes naturels étaient des manifestations d’un esprit cosmique. Au cours de ces deux périodes, quand un homme sortait de la sphère de ses sérieux travaux scientifiques, il choisissait ses croyances à la légère, selon son goût, à peu près comme il choisissait sa nourriture ou ses divertissements.

Parmi les hommes présents, nous pouvons en mettre un ou deux en évidence. L’Allemand, un anthropologiste, produit de l’antique culte de la santé mentale et physique, cherchait à exhiber en sa propre personne athlétique les caractères propres au Nordique. Le Français, un psychologue âgé mais toujours brillant, dont le bizarre passe-temps consistait à collectionner les armes anciennes et modernes, considérait le déroulement des opérations avec un aimable cynisme. L’Anglais un des rares intellectuels restants de sa race, compensait l’étude austère de la physique par des recherches à peine moins assidues sur l’histoire des explétifs et de l’argot anglais, et son grand plaisir était de régaler ses collègues des fruits de son labeur. Le président de la Société, un Africain de l’Ouest, était un biologiste, célèbre pour ses croisements d’homme et de singe.

Quand tous se furent assis, le président expliqua le but de cette réunion. On avait résolu le problème de l’utilisation de l’énergie subatomique, et l’on allait leur en donner une démonstration.

Le jeune Mongol se leva et sortit d’un étui un instrument qui ressemblait à un antique fusil. Montrant cet objet, il parla comme suit, avec ce ton cérémonieux et étrangement guindé qui avait été autrefois la marque de tout Chinois cultivé : « Avant de vous décrire en détail un processus assez délicat, je vais en illustrer l’importance en vous montrant ce que l’on peut faire avec le produit fini.