Non seulement puis-je provoquer l’annihilation de la matière, mais encore je peux le faire à distance et dans une direction précise. Qui plus est, je peux arrêter le déroulement du processus. Comme moyen de destruction, mon instrument est parfait. Comme source d’énergie pour un travail constructif de l’humanité, il a des possibilités illimitées. Messieurs, c’est un grand moment de l’histoire de l’homme. Je vais bientôt livrer à vos intelligences rassemblées et unies le moyen d’arrêter à jamais les querelles meurtrières de l’homme. Dès à présent, cette grande Société dont vous êtes l’élite gouvernera salutairement la planète. Avec ce petit instrument vous allez arrêter cette guerre ridicule, et avec un autre que j’aurai bientôt perfectionné, vous dispenserez une énergie industrielle illimitée partout où vous le jugerez nécessaire. Messieurs, vous allez devenir les maîtres absolus de la planète à l’aide de cet instrument commode dont je vais avoir l’honneur de vous faire une démonstration. » Là, le représentant de l’Angleterre marmonna un archaïsme dont le sens n’était connu que de lui : Gawd’elp us ! (2). Dans l’esprit de certains des étrangers qui n’étaient point physiciens, cette expression bizarre passa pour un mot technique en rapport avec la nouvelle source d’énergie.
Le Mongol continua. Se tournant vers Lundy, il déclara : « Cette île est inhabitée. Elle représente un danger pour la navigation, je vais la faire disparaître. » Ce disant, il visa de son instrument la lointaine falaise et ajouta : « Cette détente va activer les charges positives et négatives élémentaires qui constituent les atomes en un certain point de la falaise afin qu’elles s’annihilent les unes les autres. Ces atomes activés vont à leur tour activer leurs voisins et ainsi de suite indéfiniment. Cette deuxième détente, cependant, arrêtera l’annihilation. Si je ne l’utilisais pas, le processus continuerait à la vérité indéfiniment, peut-être jusqu’à ce que toute la planète soit désintégrée. »
Il y eut un mouvement d’inquiétude parmi les spectateurs, mais le jeune homme visa soigneusement, appuya successivement sur les deux détentes. L’instrument ne fit aucun bruit, il n’y eut aucun effet visible sur l’île souriante. Les Anglais commencèrent à rire, mais cessèrent brusquement. Car un éblouissant point lumineux apparut sur la lointaine falaise. Sa taille et son éclat s’accrurent jusqu’à ce que tous les yeux fussent aveuglés dans leur effort de continuer à tout observer. Il illumina le ventre des nuages, effaça les ombres des ajoncs au soleil à côté des spectateurs. Toute l’extrémité de l’île qui faisait face au continent était à présent un soleil d’une chaleur intolérable. Peu à peu, cependant, sa fureur fut voilée par des nuages de vapeur montant de la mer bouillante. Puis, brusquement, toute l’île – bloc de cinq kilomètres de granit – explosa. Un vol d’énormes rochers s’éleva vers les cieux et au-dessous d’eux s’enfla plus lentement un gigantesque champignon de vapeur et de débris. Puis leur parvint le bruit. Tous couvrirent leurs oreilles de leurs mains, fatiguant leurs yeux à observer la baie blanchie par l’écume sous une grêle de rochers. Une haute lame, un véritable mur, s’avança, venant du centre du tumulte. On la vit engouffrer un caboteur et se diriger vers Bideford et Barnstaple.
Les spectateurs se levèrent d’un bond et poussèrent des clameurs, tandis que le jeune auteur de ce déchaînement des éléments considérait le spectacle, exultant et quelque peu surpris de ces simples effets secondaires de son procédé.
La séance fut levée et le groupe se transporta dans une chapelle voisine pour entendre un rapport sur ces recherches. Comme les représentants entraient dans le bâtiment, on observa que la vapeur et la fumée s’étaient dissipées et qu’on ne voyait plus que la haute mer là où avait été Lundy. Dans la chapelle on fit décemment disparaître la grande Bible, on ouvrit les fenêtres pour chasser quelque peu l’odeur de sainteté.
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