Si les premières interprétations spirituelles de la relativité et de la théorie des quanta avaient déjà accoutumé les hommes de science à avoir des égards pour les religions, beaucoup étaient encore sujets à une certaine asphyxie quand ils se trouvaient dans un lieu saint. Quand les savants se furent assis sur des bancs aussi durs qu’archaïques, le président expliqua que les autorités religieuses avaient eu la bonté de permettre cette réunion, parce qu’elles avaient compris que la science et la religion devaient être des alliées, puisque les hommes de science avaient peu à peu découvert les fondements spirituels de la physique. En outre, le but de cette réunion était de discuter d’un de ces mystères suprêmes que la science avait la gloire de découvrir et la religion de transfigurer. Le président complimenta ensuite de son triomphe le jeune dispensateur d’énergie et lui demanda de lire son rapport au comité.
Le vieux représentant de la France intervint alors et se vit accorder la parole. Né presque cent quarante ans auparavant, et conservé davantage par une puissance innée de l’esprit que par les artifices du régénérateur, cet ancien parut parler du fond d’une époque lointaine et plus sage. Car, au sein d’une civilisation déclinante, ce sont souvent les vieux qui voient le plus loin, et avec des yeux jeunes. Il conclut comme suit un discours assez long, un peu ampoulé, mais au raisonnement précis : « Sans aucun doute, nous sommes les intelligences de la planète. Et de par notre dévouement à notre vocation, nous sommes sans doute aussi relativement honnêtes. Mais, hélas, nous sommes humains. Nous faisons de temps à autre de petites erreurs, et commettons des indiscrétions. Un pouvoir tel que celui qui nous est offert n’amènerait pas la paix. Au contraire, il perpétuerait nos haines nationales. Il jetterait le monde dans la confusion. Il saperait notre propre intégrité et nous transformerait en tyrans. En outre, il ruinerait la science. Et – eh bien, quand enfin le monde sauterait par quelque petite erreur, le désastre ne serait pas à déplorer. Je sais que l’Europe est presque certainement sur le point d’être détruite par ces enfants gâtés de l’autre côté de l’Atlantique. Mais aussi douloureux que cela soit, l’autre solution est pire. Non, monsieur ! Votre merveilleux jouet serait un cadeau pour esprits pleinement évolués, mais non pour nous qui sommes encore des barbares. Avec le plus profond regret, je vous supplie donc de détruire votre œuvre, et si cela était possible, jusqu’au souvenir même de vos merveilleuses recherches. Mais par-dessus tout, ne soufflez mot de votre procédé, à personne, pas même à nous. »
L’Allemand protesta alors que refuser serait lâche. Il décrivit brièvement sa conception d’un monde organisé dirigé par une science organisée et animé par la croyance en le dogme d’une religion scientifiquement organisée. « Refuser, » dit-il, « serait sûrement refuser un don de Dieu, de ce Dieu dont nous avons si récemment et de façon si surprenante révélé la présence dans le plus humble des quanta. » D’autres orateurs se firent entendre. Les uns pour, les autres contre l’acceptation. Mais il devint bientôt clair que la sagesse allait l’emporter. Les hommes de science étaient alors nettement cosmopolites par le sentiment. Ils étaient à la vérité si éloignés du nationalisme qu’en cette occasion l’Américain avait poussé à l’acceptation de l’arme, qu’on eût utilisée contre ses compatriotes.
Enfin, et par un vote unanime, le comité, tout en affirmant son profond respect pour le savant chinois, demanda, à vrai dire exigea, que l’instrument et tous les documents s’y rapportant fussent détruits.
Le jeune homme se leva, tira l’objet de son étui, le manipula un instant. Il resta si longtemps debout, silencieux, les yeux fixés sur l’instrument, que l’assemblée commença à s’agiter. Il parla enfin : « Je m’incline devant la décision de l’assemblée. Il est dur de détruire le fruit de dix ans de travail, et quel fruit ! Je m’attendais à la gratitude de l’humanité, au lieu de quoi je suis un proscrit. » Il se tut, regarda par la fenêtre, tira de sa poche des jumelles et observa le ciel à l’ouest.
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