L’action n’était entreprise que si l’équilibre était troublé. À cet égard, la Chine était semblable à l’Inde, toutes deux préféraient la contemplation à l’action.
Ainsi en Chine et en Inde la passion des richesses était moins forte qu’en Amérique. La richesse était le pouvoir de faire mouvoir choses et gens ; en Amérique, elle en vint donc à être regardée comme le souffle de Dieu, l’esprit divin immanent en l’homme. Dieu était le Patron suprême, l’Employeur universel. Sa sagesse était conçue comme une prodigieuse efficacité, son amour comme de la munificence envers ses employés. La parabole des talents devint la pierre angulaire de l’éducation ; être riche, c’était donc être respecté comme un des principaux agents de Dieu. L’Américain typique du monde des affaires était celui qui, au milieu d’un étalage de luxe, restait au fond ascétique. Il n’appréciait sa splendeur que parce qu’elle montrait à tous les hommes qu’il était un des élus. Le riche Chinois typique était celui qui savourait lentement son luxe d’un palais délicat et était rarement tenté de le sacrifier à un stérile appétit de pouvoir.
D’autre part, la culture américaine ne s’intéressant qu’aux valeurs de la vie individuelle, elle se montrait plus sensible que les Chinois au bien-être des humbles. Les conditions industrielles étaient donc bien meilleures sous le capitalisme américain que sous le chinois. Et en Chine, les deux sortes de capitalismes coexistaient. Il y avait des usines américaines où les ouvriers prospéraient sous le système américain, et des usines chinoises où, par comparaison, les ouvriers étaient des esclaves salariés. Que bien des ouvriers ne pussent se permettre d’avoir une voiture, encore moins un avion, était source d’indignation hypocrite pour les employeurs américains. Et que cela ne causât point une révolution en Chine, que les employeurs chinois pussent trouver autant d’ouvriers qu’ils voulaient malgré les conditions meilleures offertes par les usines américaines, était source de perplexité. À la vérité, l’ouvrier chinois n’avait pas envie d’affirmer symboliquement son importance par la possession de machines, il voulait la sécurité et des loisirs insouciants. Au début de sa phase « moderne », la Chine avait connu de graves explosions de haine de classe. Presque tous les grands centres industriels avaient à un moment de leur histoire massacré les employeurs pour se déclarer cité-État communiste indépendant. Mais le communisme était étranger à la Chine et aucune de ces expériences ne réussit de façon permanente. Plus tard, quand la domination du parti nationaliste fut assurée, quand on eut aboli les pires maux industriels, la haine de classe fut remplacée par de l’aversion pour l’ingérence américaine dans les affaires du pays, et pour l’énergique activité de ce peuple. Tous ceux qui travaillaient pour des employeurs américains se virent souvent qualifiés de traîtres.
Le parti nationaliste n’était pas en fait l’âme de la Chine, mais il en était, si l’on peut dire, le système nerveux central, à l’intérieur duquel l’âme présidait comme principe directeur. Le parti était une organisation intensément pratique et cependant idéaliste, moitié administration, moitié ordre religieux, bien que violemment opposé à toute religion. Modelé à l’origine sur le parti bolchevique de Russie, il avait aussi trouvé son inspiration dans l’administration par les lettrés chinois de l’ancienne Chine, et même dans la tradition d’intégrité administrative qui avait été la meilleure, la seule contribution de l’Empire britannique à la civilisation de l’Orient. Ainsi, par une route bien à lui, le parti s’était approché de l’idéal des gouverneurs de Platon. Pour être admis dans le parti, il fallait faire deux choses : passer un sévère examen écrit sur les théories sociales chinoises et occidentales, et faire un apprentissage de cinq ans dans l’administration. Hors du parti, la Chine était encore extrêmement corrompue, car la prévarication et le népotisme n’étaient pas blâmés aussi longtemps qu’ils restaient décemment cachés. Mais le parti montrait brillamment l’exemple d’un dévouement altruiste, et cette honnêteté inouïe était une des sources de sa puissance. Il était universellement reconnu que le membre du parti s’intéressait authentiquement aux affaires de la société plus qu’aux siennes propres, et en conséquence on lui faisait confiance. Le suprême objet de sa loyauté était non pas le parti mais la Chine, non la masse des citoyens envers qui il était aussi indifférent qu’envers lui-même, mais la race dans son ensemble, et sa culture.
En Chine le pouvoir exécutif était entre les mains des membres du parti et l’autorité législative suprême était l’Assemblée des délégués du parti. Entre ces deux institutions se tenait le président. Parfois guère plus que le président du Comité exécutif, il était de temps à autre presque un dictateur, alliant en lui les attributs de premier ministre, d’empereur et de pape.
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