LE CONFLIT.
Après la guerre euro-américaine il y eut un siècle de petits conflits nationaux, puis un siècle d’une paix tendue, au cours duquel l’Amérique et la Chine devinrent de plus en plus gênantes l’une pour l’autre. Vers la fin de cette période la grande masse des hommes était en théorie beaucoup plus cosmopolite que nationaliste, pourtant un tribalisme invétéré se cachait en chaque esprit, toujours prêt à s’en rendre maître. La planète était alors une unité économique délicatement organisée et le monde des affaires dans tous les pays dédaignait fort le patriotisme. La génération adulte de l’époque était consciemment et sans réserve internationaliste et pacifiste. Pourtant cette conviction logiquement irréfutable était sapée par un besoin biologique d’une vie aventureuse. Une paix prolongée, des conditions sociales améliorées avaient grandement réduit le danger et les difficultés de l’existence, et il n’y avait point de succédané socialement inoffensif qui pût remplacer la guerre et permettre l’exercice du courage primitif et de la colère de ces animaux façonnés pour les terres sauvages. Les hommes désiraient consciemment la paix ; inconsciemment, ils avaient encore besoin des actes de bravoure que permettait la guerre. Et cette agressivité refoulée s’exprimait constamment en explosions de tribalisme irrationnel.
Un conflit grave était inévitable. Comme d’habitude les causes en furent à la fois économiques et sentimentales. La cause économique fut le besoin de pétrole. Un siècle plus tôt une très sérieuse disette de pétrole avait tellement assagi l’humanité que la Société des Nations avait pu imposer un système de contrôle cosmopolite sur les gisements existants et même sur les mines de charbon. Elle avait également imposé une stricte réglementation de l’utilisation de ces précieux combustibles. Le pétrole en particulier ne devait être utilisé que dans les entreprises où aucune autre forme d’énergie ne pouvait être employée. Le contrôle cosmopolite du pétrole fut peut-être la plus grande réussite de la Société des Nations et cette ligne de conduite fut suivie par l’humanité longtemps après que la Société des Nations eut été détrônée. Pourtant, par une belle ironie du sort, cette politique singulièrement sensée contribua largement à la chute de la civilisation. Par elle, l’épuisement des mines de charbon fut retardé jusqu’à une période où l’intelligence humaine était si dégénérée qu’elle ne pouvait plus faire face à une telle crise. Au lieu de s’adapter à la nouvelle situation, elle s’effondra.
Mais à l’époque dont nous nous occupons, on venait récemment de découvrir le moyen d’exploiter avec profit les énormes gisements de pétrole de l’Antarctique. Par malheur, ces vastes ressources se trouvaient techniquement hors de la juridiction de l’Office mondial de contrôle des combustibles. L’Amérique fut la première sur place et vit dans le pétrole de l’Antarctique un moyen de progresser et de remplir ce devoir dont elle s’était spontanément chargée : américaniser la planète. La Chine, craignant l’américanisation, exigea que les nouvelles ressources fussent placées sous la juridiction de l’Office. En quelques années, les sentiments sur ce point devinrent de plus en plus violents, et les deux peuples retombèrent dans le vieil et fruste état d’esprit nationaliste. La guerre parut presque inévitable.
Mais la véritable cause du conflit fut comme à l’habitude un accident. Un scandale éclata au sujet du travail des enfants dans certaines usines de l’Inde. On exploitait durement des garçons et des filles de moins de douze ans et dans leur situation misérable, leurs seules aventures étaient des rapports sexuels précoces. Le gouvernement américain protesta et en des termes qui laissaient entendre que l’Amérique était la gardienne de la morale du monde. L’Inde arrêta immédiatement les réformes qu’elle avait commencé à appliquer et répliqua à l’Amérique qu’elle se mêlait de ce qui ne la regardait pas. L’Amérique menaça d’envoyer une expédition pour remettre les choses en ordre, « soutenue en cela par l’approbation de toutes les races soucieuses de morale de la Terre ». La Chine intervint alors pour maintenir la paix entre sa rivale et sa partenaire et s’engagea à veiller à ce que le mal fût aboli, si les Américains voulaient bien retirer leurs extravagantes calomnies sur la conscience orientale. Mais il était trop tard. Il y eut un raid sur une banque américaine en Chine, on coupa la tête de son directeur, on la fit rouler à coups de pieds dans les rues.
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