Vimeux, en vertu de principes arrêtés, épousait une bossue à six mille livres de rente, à huit mille une femme de quarante-cinq ans, à mille écus une Anglaise. Ravi de son écriture et pris de compassion pour ce jeune homme, Phellion le sermonnait pour lui persuader de donner des leçons d’écriture, honorable profession qui pouvait améliorer son existence et la rendre même agréable ; il lui promettait le pensionnat des demoiselles La Grave. Mais Vimeux avait son idée si fort en tête, que personne ne pouvait l’empêcher de croire à son étoile. Donc, il continuait à s’étaler à jeun comme un esturgeon de Chevet, quoiqu’il eût vainement exposé ses énormes moustaches depuis trois ans. Endetté de trente francs pour ses déjeuners, chaque fois que Vimeux paissait devant Antoine, il baissait les yeux pour ne pas rencontrer son regard ; et cependant, vers midi, il le priait de lui aller chercher une flûte. Après avoir essayé de faire entrer quelques idées justes dans cette pauvre tête, Rabourdin avait fini par y renoncer. Monsieur Vimeux père était greffier d’une Justice de paix dans le département du Nord. Adolphe Vimeux avait dernièrement économisé Katcomb et vécu de petits pains, pour s’acheter des éperons et une cravache. On l’avait appelé le pigeon-Villiaume pour railler ses calculs matrimoniaux. On ne pouvait attribuer les moqueries adressées à cet Amadis à vide qu’au génie malin qui créa le vaudeville, car il était bon camarade, et ne nuisait à personne qu’à lui-même. La grande plaisanterie des Bureaux à son égard consistait à parier qu’il portait un corset. Primitivement casé dans le bureau Baudoyer, Vimeux avait intrigué pour passer chez Rabourdin, à cause de la sévérité de Baudoyer relativement aux Anglais, nom donné par les employés à leurs créanciers. Le jour des Anglais est le jour où les Bureaux sont publics. Sûrs de trouver là leurs débiteurs, les créanciers affluent, ils viennent les tourmenter en leur demandant quand ils seront payés, et les menacent de mettre opposition sur leur traitement. L’implacable Baudoyer obligeait ses employés à rester. « C’était à eux, disait-il, à ne pas s’endetter. » Il regardait sa sévérité comme une chose nécessaire au bien public. Au contraire, Rabourdin protégeait les employés contre leurs créanciers, qu’il mettait à la porte, disant que les Bureaux n’étaient point ouverts pour les affaires privées, mais pour les affaires publiques. On s’était beaucoup moqué de Vimeux dans les deux Bureaux, quand il avait fait sonner ses éperons à travers les corridors et les escaliers. Le mystificateur du Ministère, Bixiou avait fait passer dans les deux Divisions Clergeot et La Billardière une feuille en tête de laquelle Vimeux était caricaturé sur un cheval de carton, et où chacun était invité à souscrire pour lui acheter un cheval. Monsieur Baudoyer était marqué pour un quintal de foin, pris sur sa consommation particulière, et chaque employé mit une épigramme sur son voisin. Vimeux, en vrai bon-enfant, souscrivit lui-même au nom de miss Fairfax.

Les employés beaux-hommes dans le Genre Vimeux, ont leur place pour vivre, et leur physique pour faire fortune. Fidèles aux bals masqués dans le temps de carnaval, ils y vont chercher les bonnes fortunes qui les fuient souvent encore là. Beaucoup finissent par se marier soit avec des modistes qu’ils acceptent de guerre lasse, soit avec de vieilles femmes, soit aussi avec de jeunes personnes auxquelles leur physique a plu, et avec lesquelles ils ont filé un roman émaillé de lettres stupides, mais qui ont produit leur effet. Ces commis sont quelquefois hardis, ils voient passer une femme en équipage aux Champs-Élysées, ils se procurent son adresse, ils lancent des épîtres passionnées à tout hasard, et rencontrent une occasion qui malheureusement encourage cette ignoble spéculation.

Ce Bixiou (prononcez Bisiou) était un dessinateur qui se moquait de Dutocq aussi bien que de Rabourdin, surnommé par lui la vertueuse Rabourdin. Pour exprimer la vulgarité de son chef, il l’appelait la place Baudoyer, il nommait le vaudevilliste Flon-Flon. Sans contredit l’homme le plus spirituel de la Division et du Ministère, mais spirituel à la façon du singe, sans portée ni suite, Bixiou était d’une si grande utilité à Baudoyer et à Godard qu’ils le protégeaient malgré sa malfaisance, il expédiait leur besogne par-dessous la jambe. Bixiou désirait la place de Godard ou de du Bruel ; mais sa conduite nuisait à son avancement. Tantôt il se moquait des Bureaux, et c’était quand il venait de faire une bonne affaire, comme la publication des portraits dans le procès Fualdès pour lesquels il prit des figures au hasard, ou celle des débats du procès de Castaing ; tantôt saisi par une envie de parvenir, il s’appliquait au travail ; puis il le laissait pour un vaudeville qu’il ne finissait point. D’ailleurs égoïste, avare et dépensier tout ensemble, c’est-à-dire ne dépensant son argent que pour lui ; cassant, agressif et indiscret, il faisait le mal pour le mal : il attaquait surtout les faibles, ne respectait rien, ne croyait ni à la France, ni à Dieu, ni à l’Art, ni aux Grecs, ni aux Turcs, ni au Champ-d’Asile, ni à la monarchie, insultant surtout ce qu’il ne comprenait point. Ce fut lui qui, le premier, mit des calottes noires à la tête de Charles X sur les pièces de cent sous.