sur ?...
– À un premier étage, dit
Herbert, qui n’y était pas du tout, car j’avais
voulu parler de ses moyens d’existence. Je ne l’ai jamais
vu depuis que je connais Clara, car il ne quitte pas sa chambre, qui
est au-dessus, mais je l’ai entendu constamment aller et venir
et faire un vacarme effroyable en roulant quelque terrible instrument
sur le plancher. »
Herbert me regarda et se mit à rire de tout
son cœur, et recouvra en un moment ses manières enjouées
ordinaires.
« Ne vous attendez-vous pas à le
voir ?
– Oh ! oui, je m’attends
toujours à le voir, répondit Herbert, parce que je ne
l’entends jamais sans m’attendre à le voir passer
à travers le plancher, mais je ne sais pas combien de temps
les solives pourront y tenir. »
Quand il eut encore ri de tout son cœur, il
redevint inquiet, et me dit que dès qu’il aurait réalisé
un capital, il avait l’intention d’épouser cette
jeune personne. Puis il ajouta comme une chose fort mélancolique,
mais allant de soi :
« Mais on ne peut se marier, vous le
savez, tant qu’on ne s’est pas encore tiré
d’affaire. »
Comme nous étions à contempler le
feu, et que je pensais combien le capital était quelquefois un
rêve difficile à réaliser, je mis mes mains dans
mes poches. Un morceau de papier plié, qui se trouvait dans
l’une d’elles, attira mon attention. Je l’ouvris,
et je vis que c’était le programme de théâtre
que j’avais reçu de Joe, et qui annonçait le
célèbre amateur de province, le Roscius en renom.
« Dieu me bénisse !
m’écriai-je involontairement ; c’est pour ce
soir ! »
Ceci changea notre sujet de conversation en un
moment, et nous résolûmes immédiatement de nous
rendre au théâtre. Donc, lorsque j’eus pris
l’engagement de consoler et d’aider Herbert dans son
affaire de cœur, par tous les moyens praticables et
impraticables, quand Herbert m’eut dit que sa fiancée me
connaissait déjà de réputation, et que je lui
serais présenté, et quand nous eûmes scellé
d’une chaude poignée de main notre mutuelle confidence,
nous soufflâmes nos bougies, nous arrangeâmes notre feu,
et après avoir fermé notre porte, nous nous mîmes
en quête de M. Wopsle et d’Hamlet, prince de
Danemark.
II1
À notre arrivée en Danemark2,
nous trouvâmes le roi et la reine de ce pays dans deux
fauteuils élevés sur une table de cuisine, et tenant
leur cour. Toute la noblesse danoise était là ;
elle se composait d’un jeune gentilhomme enfoui dans des bottes
en peau de chamois, qu’il avait probablement héritées
d’un ancêtre géant ; d’un vénérable
pair à figure sale, qui paraissait n’être sorti
des rangs du peuple que dans un âge très avancé ;
et d’une personne avec un peigne dans les cheveux, les deux
jambes recouvertes de soie blanche, et présentant une
apparence toute féminine. Mon éminent compatriote,
M. Wopsle, chargé du rôle d’Hamlet, se tenait
sournoisement à part, les bras croisés, et j’aurais
pu désirer que ses boucles de cheveux et son front eussent été
plus vraisemblables.
Plusieurs petites circonstances curieuses
transpiraient à mesure que l’action se déroulait.
Le défunt roi paraissait non seulement avoir été
atteint d’un rhume au moment de sa mort, mais l’avoir
emporté avec lui dans la tombe, et l’avoir rapporté
en sortant. Le royal fantôme portait aussi un fantôme de
manuscrit autour de son bâton de commandement, qu’il
avait l’air de consulter de temps en temps, et cela avec une
tendance évidente à perdre l’endroit où il
en était resté, ce qui résultait sans doute de
son état de mortalité. C’est ce qui, je pense,
amena la galerie à conseiller à l’ombre de
tourner la page, recommandation qu’elle prit extrêmement
mal. Il faut aussi faire remarquer que cet esprit majestueux, qui
avait l’air, en faisant son apparition, d’avoir marché
longtemps et d’avoir parcouru une distance énorme,
sortait d’un mur, immédiatement contigu. Cela fut cause
que les terreurs qu’il inspirait furent reçues avec
dérision. La reine de Danemark, dame très gaillarde,
fut considérée par le public comme ayant trop de cuivre
sur sa personne. Son menton se réunissait à son diadème
par une large bande de ce métal, comme si elle eût eu un
mal de dents formidable. Sa taille était ceinte d’une
autre bande, et chacun de ses bras également, de sorte qu’on
lui donnait tout haut le nom de grosse caisse. Le jeune gentilhomme,
dans les bottes de son ancêtre, était très
insuffisant pour représenter tout d’une baleine à
lui seul, un marin habile, un acteur ambulant, un fossoyeur, un
prêtre et un personnage de la plus haute importance, assistant
à l’assaut d’armes devant la cour, et qui par son
œil habile et son jugement sain, était appelé à
juger les plus beaux coups. Cela amena graduellement le public à
manquer graduellement d’indulgence pour lui, et lorsque enfin
on le reconnut dans les saints ordres, se refusant à célébrer
le service funèbre, l’indignation générale
ne connut plus de bornes et le poursuivit sous la forme de coquilles
de noix. En dernier lieu, Ophélia fut en proie à une
folie si lente et si musicale, que, lorsque au moment voulu, elle eut
ôté son écharpe de mousseline blanche, qu’elle
l’eut pliée et entourée, un mauvais plaisant du
parterre, qui depuis longtemps rafraîchissait son nez impatient
contre une barre de fer du premier rang, s’écria :
« Maintenant que le moutard est couché,
qu’on nous donne à souper. »
Ce qui, pour ne pas dire davantage, était
tout à fait hors de propos.
Tous ces incidents s’accumulaient d’une
manière folâtre sur mon infortuné compatriote.
Toutes les fois que le prince indécis avait à faire une
question ou à éclairer un doute, le public l’y
aidait. Comme par exemple, à la question : s’il
était plus noble à l’esprit de souffrir,
quelques-uns crièrent :
« Oui ! »
Quelques-uns :
« Non ! »
Et d’autres, penchant pour les deux
opinions, dirent :
« Voyons, à pile ou face ! »
C’était tout à fait une
conférence d’avocats. Quand il demanda pourquoi un être
comme lui ramperait entre le ciel et la terre, il fut encouragé
par les cris :
« Écoutez ! Écoutez ! »
Lorsqu’il parut avec son bas en désordre
(ce désordre exprimé, selon l’usage, par un pli
très propre à la partie supérieure, pli que l’on
obtient, je crois, à l’aide d’un fer à
repasser), une discussion s’éleva dans la galerie, à
propos de la pâleur de sa jambe, et le public demanda si elle
était occasionnée par la peur que lui avait faite le
fantôme. Lorsqu’il saisit le flageolet qui ressemblait
énormément à une petite flûte dont on
avait joué dans l’orchestre, et qu’on venait de
mettre dehors, on lui demanda, à l’unanimité, le
Rule Britannia. Quand il recommanda à l’accompagnateur
de ne pas massacrer l’air, le mauvais plaisant dit :
« Et vous non plus, vous êtes
bien plus mauvais que lui. »
Et j’éprouve de la peine à
ajouter que des éclats de rire accueillirent M. Wopsle
dans chacune de ces occasions.
Mais ses plus rudes épreuves furent dans le
cimetière, qui avait l’apparence d’une forêt
vierge, avec une sorte de petit vestiaire d’un côté,
et une porte à tourniquet de l’autre. Quand M. Wopsle,
en manteau noir, fut aperçu passant au tourniquet, on avertit
amicalement le fossoyeur, en criant :
« Attention ! voilà
l’entrepreneur des pompes funèbres qui vient voir
comment vous travaillez ! »
Je crois qu’il est bien connu, que dans un
pays constitutionnel, M. Wopsle ne pouvait décemment pas
rendre le crâne après avoir moralisé dessus, sans
s’essuyer les doigts avec une serviette blanche, qu’il
tira de son sein ; mais même cette action, innocente et
indispensable, ne passa pas sans le commentaire :
« Garçon !... »
L’arrivée du corps pour
l’enterrement, dans une grande boîte noire, vide, avec le
couvercle ouvert et retombant en dehors, fut le signal d’une
joie générale, qui s’accrut encore par la
découverte, parmi les porteurs, d’un individu, sujet à
l’identification. La joie suivit M. Wopsle, dans sa lutte
avec Laërte sur le bord de la tombe de l’orchestre et ne
se ralentit pas jusqu’au moment où il renversa le Roi de
dessus la table de cuisine et qu’il fut mort à force de
se tenir les pieds en l’air.
Nous avions fait au commencement quelques timides
efforts pour applaudir M. Wopsle, mais avec trop d’insuccès
pour persister. Nous étions donc restés tranquilles,
tout en souffrant pour lui, mais riant tout bas, néanmoins, de
l’un à l’autre. Je riais tout le temps, malgré
moi, tant cela était comique, et pourtant j’avais une
espèce d’impression qu’il y avait quelque chose de
positivement beau dans l’élocution de M. Wopsle :
non pas que j’en aie peur à cause de mes anciennes
relations, mais parce qu’elle était très lente,
terrible, montante et descendante, et qu’elle ne ressemblait en
aucune manière à la façon dont un homme, dans
les circonstances naturelles de la vie ou de la mort, s’est
jamais exprimé sur quoi que ce soit. Quand la tragédie
fut finie, et qu’on eût rappelé et hué
notre ami, je dis à Herbert :
« Partons sur-le-champ de peur de le
rencontrer. »
Nous descendîmes en toute hâte, mais
pas assez vite cependant. À la porte se trouvait une espèce
de juif, avec des sourcils extrêmement épais et
crasseux. Il m’aperçut comme nous avancions, et me dit
quand nous passâmes à côté de lui :
« M. Pip et son ami ? »
L’identité de M. Pip et de son
ami ayant été avouée, il continua :
« M. Waldengarver serait bien aise
d’avoir l’honneur...
– Waldengarver ? »
répétai-je.
Immédiatement Herbert me dit à
l’oreille :
« C’est Wopsle, sans doute.
– Oh ! bien, dis-je, faut-il vous
suivre ?
– Quelques pas, s’il vous
plaît. »
Quand nous fûmes dans un couloir retiré,
il se retourna pour me demander :
« Quel air lui avez-vous trouvé ?
c’est moi qui l’ai habillé. »
Je ne savais pas de quoi il avait l’air, si
ce n’est d’un conducteur d’enterrement avec
l’addition d’un grand soleil ou d’une étoile
danoise pendue à son cou, par un ruban bleu – ce qui lui
avait donné l’air d’être assuré par
quelque compagnie extraordinaire d’assurance contre l’incendie.
Mais je répondis qu’il m’avait paru très
convenable.
« Quand il arrive à la tombe, il
fait admirablement valoir son manteau ; mais, de la coulisse, il
m’a semblé que quand il voit le fantôme dans
l’appartement de la reine, il aurait pu tirer meilleur parti de
ses bas. »
Je fis un signe d’assentiment, et nous
tombâmes, en passant par une sale petite porte volante, dans
une sorte de caisse d’emballage où il faisait très
chaud et où M. Wopsle se débarrassait de ses
vêtements danois. Il y avait juste assez de place pour nous
permettre de regarder par-dessus nos épaules, en tenant
ouverte la porte ou le couvercle de la caisse.
« Messieurs, dit M. Wopsle, je
suis fier de vous voir. J’espère, monsieur Pip, que vous
m’excuserez de vous avoir fait prier de venir.
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