Les grands cimetières sous la lune

 

GEORGES BERNANOS

 

 

LES GRANDS CIMETIÈRES
SOUS LA LUNE

 

 

Librairie Plon

1938

 

Contenu

LES GRANDS CIMETIÈRES SOUS LA LUNE.. 2

PREMIÈRE PARTIE.. 8

I. 8

II. 47

III. 61

IV.. 88

DEUXIÈME PARTIE.. 112

I. 112

II. 125

III. 176

TROISIÈME PARTIE.. 196

I. 196

II. 214

III. 217

IV.. 236

 

 

Si je me sentais du goût pour la besogne que j’entreprends aujourd’hui, le courage me manquerait probablement de la poursuivre, parce que je n’y croirais pas. Je ne crois qu’à ce qui me coûte. Je n’ai rien fait de passable en ce monde qui ne m’ait d’abord paru inutile, inutile jusqu’au ridicule, inutile jusqu’au dégoût. Le démon de mon cœur s’appelle À quoi bon ?

J’ai cru jadis au mépris. C’est un sentiment très scolaire et qui tourne vite à l’éloquence, comme le sang d’un hydropique tourne en eau. La lecture prématurée de Barrés m’avait donné là-dessus quelque illusion. Malheureusement le mépris de Barrés ou du moins l’organe qui le sécrèteparaît souffrir d’une perpétuelle rétention. Pour atteindre à l’amertume, un méprisant doit pousser très loin la sonde. Ainsi le lecteur, à son insu, participe moins au sentiment lui-même qu’à la douleur de la miction. Paix au Barrés de Leurs figures ! Celui que nous aimons est entré dans la mort avec un regard d’enfant fier, et son pauvre sourire crispé de fille pauvre et noble qui ne trouvera jamais de mari.

Au seuil de ce livre, pourquoi le nom de Barrés ? Pourquoi à la première page du Soleil de Satan celui du gentil Toulet ? C’est qu’en cet instant, comme en cet autre soir de septembre « plein d’une lumière immobile », j’hésite à franchir le premier pas, le premier pas vers vous, ô visages voilés ! Car le premier pas franchi, je sais que je ne m’arrêterai plus, que j’irai, vaille que vaille, jusqu’au bout de ma tâche, à travers des jours et des jours si pareils entre eux que je ne les compte pas, qu’ils sont comme retranchés de ma vie. Et ils le sont en effet.

Je ne suis pas un écrivain. La seule vue d’une feuille de papier blanc me harasse l’âme. L’espèce de recueillement physique qu’impose un tel travail m’est si odieux que je l’évite autant que je puis. J’écris dans les cafés au risque de passer pour un ivrogne, et peut-être le serais-je en effet si les puissantes Républiques ne frappaient de droits, impitoyablement, les alcools consolateurs. À leur défaut, j’avale à longueur d’année ces cafés-crème douceâtres, avec une mouche dedans.