Jusqu’où
seraient tombées les femmes – vos femmes – si d’un commun accord, au cours des
siècles, disposant des moyens de vous les asservir corps et âme. vous ne vous
étiez prudemment décidés à les respecter ? L’idée qu’un traitant millionnaire
puisse devoir céder le pas à un honnête pauvre diable vous paraît sans doute
absurde ? Prenez garde, cependant, qu’il vous arrive de voir chaque jour
des garçons robustes en agir de même avec n’importe quelle femme, vieille ou
jeune, laide ou jolie, toutes d’ailleurs parfaitement impuissantes à exiger de
tels égards. Vous respectez la femme ou l’enfant, et il ne viendrait à l’esprit
d’aucun d’entre vous de considérer leur faiblesse ainsi qu’une infirmité un peu
honteuse, à peine avouable. Si les mœurs l’ont ainsi emporté sur la violence, pourquoi
ne verrait-on pas céder à son tour l’ignoble prestige de l’argent ? Oui, l’honneur
de l’argent serait peu de chose si vous ne lui apportiez votre sournoise
complicité.
*
« Mais n’en a-t-il pas toujours été de même au cours
des siècles ? » Dites plutôt que si les hommes d’argent ont souvent
disposé des profits du pouvoir, ce pouvoir n’a jamais paru légitime à personne,
il n’y a jamais eu, il n’y aura jamais une légitimité de l’Argent. Dès qu’on l’interroge
il se cache, il se terre, il disparaît sous la terre. Même aujourd’hui sa
situation auprès de la société qu’il contrôle ne diffère pas beaucoup de celle
du valet de ferme qui couche avec sa maîtresse, veuve et mûre. Il encaisse les
bénéfices, mais il appelle en public son amante « not’ dame », et il
lui parle casquette à la main. On fait des triomphes aux reines de beauté, aux
stars de cinéma. Vous n’imaginez pas l’un des Rockefeller accueilli à la gare
du Nord par les applaudissements des mêmes personnes ardentes qui se pressent
autour de M. Tino Rossi. Il est indifférent à ces dernières de donner par
leurs indiscrets transports l’impression qu’elles ont envie de ce petit Corse à
la voix d’ambre. Mais elles rougiraient de montrer cet empressement à M. Ford,
fût-il aussi beau que M. Robert Taylor. L’argent est maître, soit. Cependant,
il n’a même pas de représentant attitré, comme une simple puissance de troisième
ordre, il ne figure pas dans les cortèges en grand uniforme. Vous y voyez le
Juge, en rouge et peau de lapin, le Militaire chamarré comme un Suisse de
cathédrale, ce Suisse lui-même, ouvrant la route au Prélat violet, le Gendarme,
le Préfet, l’Académicien qui lui ressemble, les Députés en habit noir. Vous n’y
voyez pas le Riche – bien qu’il fasse les frais de la fête, et qu’il ait
pourtant les moyens de mettre beaucoup de plumes à son chapeau.
M. Ch. Maurras a trouvé un jour une parole ruisselante
de grandeur et de dignité humaine. « Ce qui m’étonne, ce n’est pas le
désordre, c’est l’ordre. » Ce qui devrait nous remplir aussi d’étonnement,
c’est que, même en ce monde qui lui appartient, l’argent semble toujours avoir
honte de lui-même. M. Roosevelt rappelait dernièrement qu’un quart de la
fortune américaine se trouve entre les mains de soixante familles, qui d’ailleurs,
par le jeu des alliances, se réduisent à une vingtaine. Certains de ces hommes,
auxquels on ne voit même pas un galon sur la manche, disposent de huit
milliards. Oh ! je sais bien… Nos jeunes réalistes de droite vont rigoler :
« Les deux cents familles ! Hi ! Hi ! Hi ! » Eh
bien, oui, mon gros ! J’ignore s’il existe un Pays Réel, comme les docteurs
qui vous ensemencent cherchent à le faire croire. Mais il existe, à coup sûr, une
fortune réelle de la France. Cette fortune réelle devrait assurer notre crédit.
Or, vous savez parfaitement qu’il n’en est rien. Cinquante milliards divisés en
pièces de cent sous et qui reposent au fond des bas de laine sont absolument
impuissants à balancer l’influence d’un seul milliard rapidement mobilisable, et
qui manœuvre les changes selon les principes de la guerre napoléonienne.
« Qu’importe le nombre des régiments que l’ennemi vous oppose, pourvu que
vous vous trouviez toujours le plus fort là où il est le plus faible ? »
Et si les écus de cinq livres sont d’une mobilisation difficile, que dire des
champs, des forêts ?
Il n’est donc pas absurde de prétendre que la richesse
réelle d’une nation, si énorme qu’elle paraisse au regard du capital détenu par
un petit nombre de particuliers, n’est nullement à l’abri des entreprises de
ces derniers. Je crois partager sur ce point l’opinion de M. Ch. Maurras, qui
a étudié bien avant moi le mécanisme de la conquête juive. Pourquoi diable
voudriez-vous que les ploutocrates français n’aient pas adopté les méthodes de
gens auxquels ils ont marié leurs filles ? Jeunes réalistes, je sais que
de telles considérations ne troublent nullement vos nuits innocentes. Que vous
importent les champs, les vignes ? « Voilà le franc qui dégringole. Veine !
Le ministère va tomber. » Malheureusement, le problème ne se pose pas exactement
comme vous le pensez. Ce n’est pas pour le franc que j’ai peur, mes pauvres
garçons, c’est pour vous, le franc finira toujours par récupérer sa valeur, cette
valeur correspondra tôt ou tard à la place que la France occupe dans le monde, au
besoin que le monde a de mon pays. L’ennemi le sait bien.
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