– Oui. Lorsque le peuple pensera exactement comme vous, la question sociale sera bien près d’être résolue, et au moindre prix. »

Même avec des penseurs comme M. Doriol, je doute quc vous meniez à bien une Réforme intellectuelle du Prolétariat calquée sur celle que le vieux Renan proposait jadis à la France. Saint Dominique avait rêvé quelque chose de semblable pour la chrétienté, une vaste restauration de la doctrine dont ses Frères prêcheurs eussent été les ouvriers. À l’exemple des communistes d’aujourd’hui, les Hérétiques de l’époque menaçaient les classes dirigeantes dans leur foi et dans leurs biens. Ces dernières ont vite réussi à faire comprendre aux gouvernements que la foi pouvait attendre mais que le salut de la Propriété exigeait des mesures plus énergiques. En sorte que les Prêcheurs ont fini par fournir les cadres d’une vaste entreprise d’épuration analogue à celle que j’ai vue fonctionner en Espagne et qui porte, dans l’Histoire, le nom d’inquisition. Si les gens de droite prétendent utiliser la formule, ils signeront du même coup leur propre abdication. « Mais s’il n’y a pas d’autre formule ? Tant pis. Nous commençons à comprendre que la Paix Militaire doit s’acheter tous les vingt ans par le sacrifice de quelques millions d’hommes. Si la Paix Sociale coûte aussi cher, c’est probablement que le système ne vaut rien. Allez-vous-en !

II

On me reproche volontiers de me montrer trop injurieux envers les gens de droite. Je pourrais répondre que ces brutalités sont systématiques, que j’attends d’elles un portefeuille dans le futur ministère d’Union nationale, aux côtés – par exemple – de M. Doriot. Je ne connais pas M. Doriot. Je ne l’ai jamais entendu. Je sais seulement qu’il a parlé aux ambassadeurs, avec un grand succès. Je sais aussi qu’au cours d’un bref passage à Paris, ne disposant que de peu d’heures, une très grande dame française dont je préfère taire le nom s’écriait aux applaudissements de ses belles amies : « Allons voir M. Doriot ! M. Doriot d’abord », et revenait enthousiasmée des bretelles légendaires de M. Doriot. « Quelle nature ! Il doit changer de flanelle après chaque discours. Il paraît qu’elle est à tordre, ma chère !… » Certes, je ne crois pas l’ancien chef des Jeunesses communistes capable de grandes émotions poétiques, mais enfin il doit éprouver, peut-être à son insu, quelque sentiment de cette espèce lorsque du haut de l’estrade il voit devant lui les visages béants qu’il a si vigoureusement malaxés jadis de ses fortes poignes. Pas un de ces sots ou de ces sottes qui au temps d’Abd el-Krim, n’ait tenu ce garçon pour un traître, à la solde de Moscou. Pas un ou pas une qui ne soit aujourd’hui résolu à lui confier les destinées de la Patrie, s’ils le croient assez malin pour rouler ses anciens amis.

Mais je ne ferai pas l’heureuse carrière de M. Doriot ni celle de M. Millerand, ou celle encore du Pèlerin de la Paix. Je ne méprise pas, en effet, les gens de droite, du moins de ce mépris qu’ils aiment et où ils semblent se revigorer. Il y a certainement chez eux un curieux complexe, d’ailleurs très explicable lorsqu’on pense à leur excessif souci du qu’en-dira-t-on, de la respectabilité – analogue à la pudeur toute physique des Anglo-Saxons, qui n’est pas pure hypocrisie mais plutôt l’effet d’une timidité héréditaire entretenue par l’éducation, la réserve verbale, la muette complicité de tous. La dignité habituelle aux bien-pensants marquerait, plutôt qu’un éloignement naturel de la canaille, une secrète et anxieuse défense contre un penchant dont on n’ose pas mesurer la force. Si j’avais le temps d’écrire une Physiologie du Bien-Pensant, je crois que j’insisterais beaucoup sur ce point. On parle sans cesse de bourgeoisie. Mais il est vain d’appeler de ce nom des types sociaux très différents. M. Tardieu, par exemple, est un bourgeois – trois cents ans de bourgeoisie, comme il aime à dire lui-même. Pour un bourgeois de cette espèce on trouverait mille braves gens dont les papas ou les grands-papas, les cousins et les cousines sont encore à la queue des vaches. Je n’écris pas ceci par raillerie. Dieu sait que je préférerais la compagnie de ces ruminants à celle du ministre à l’étincelant dentier. Mais c’est tout de même drôle, avouez-le de rencontrer à tout instant des gaillards qui parlent de la lutte des classes avec des tortillements d’auriculaire, des soupirs et des airs navrés comme s’ils appartenaient vraiment à on ne sait quelle humanité supérieure alors qu’une hâtive adaptation fait de la plupart d’entre eux des êtres socialement heimatlos. De tels métis appartiennent évidemment aux partis de gauche comme aux partis de droite.