– Les Dieux sont justes. – Quel est cet homme vêtu de la
pourpre impériale dont vingt poignards labourent la poitrine ?
– Oui. – Quel est-il, cet homme à qui ces vengeurs disent : –
Meurs, tyran ! – meurs, traître à la république ! –
meurs, traître à la liberté ! – Cet homme, enfin frappé par la
main d’un homme libre (que ton nom soit à jamais glorifié, ô
Brutus !) – cet homme, qui a été pendant sa longue vie le
bourreau sanglant des libertés du monde, – c’est César, – c’est le
meurtrier du chef des cent vallées, – César, le lâche
meurtrier du captif enchaîné…
*
*
*
» Oh ! oui ! les Dieux sont
justes ; – Coule, coule, sang du captif ! – Tombe, tombe,
rosée sanglante ! – Germe, grandis, moisson vengeresse !
– À toi, faucheur, à toi !… la voilà mûre ! – Aiguise ta
faux… aiguise, aiguise ta faux ! »
*
*
*
Et les Enfants du Gui, entraînés par
ce refrain du barde, répètent tous en agitant leurs chaînes dans
une sinistre cadence :
« Oh ! coule, coule sang du
captif ! – Tombe, tombe rosée sanglante ! – Germe,
grandis, moisson vengeresse ! – À toi, faucheur, à toi !…
la voilà mûre ! – Aiguise ta faux… aiguise, aiguise ta
faux ! »
*
*
*
Et tous les Enfants du Gui ont quitté
la grotte par ses différentes issues, pour regagner les champs, les
bourgs ou la ville, dont ils avaient pu, à grand’peine,
s’échapper ; nocturne absence, que la plupart d’entre eux
devaient payer bien cher le lendemain.
Chapitre 2
Sylvest s’introduit dans la villa de la
noble Faustine. – Le temple du canal. – Les délassements d’une
grande dame romaine. – Torture. – La sorcière. – Empoisonnement
d’une esclave. – L’orgie. – Sylvest rencontre Loyse. – Il est
surpris dans les jardins de Faustine.
La lune couchée… la nuit est devenue noire…
Sylvest, après avoir traversé de nouveau la vallée déserte et
couverte de roches, franchit le torrent, gagna les grands bois et
le chemin d’Orange ; mais il ne se dirigea pas vers cette
ville, où habitait son maître ; il suivit un sentier, à droite
de la route, marcha longtemps, et arriva près d’un grand mur de
briques, clôture d’un parc immense dépendant de la villa de
Faustine, cette grande dame romaine dont le nom avait été prononcé
avec horreur dans la réunion des Enfants du Gui ;
s’arrêtant alors un instant, Sylvest prit dans les broussailles, où
elle était cachée, une longue perche garnie çà et là de bâtons
formant autant d’échelons, et la dressa contre la muraille ;
jeune, agile et robuste, il l’eut bientôt escaladée ; passant
alors sa perche de l’autre côté il descendit dans le parc.
L’ombre des grands arbres était si épaisse,
que l’on voyait à peine devant soi ; mais l’esclave,
connaissant ce lieu, gagna bientôt les bords d’un canal ornés de
balustrades de marbre ; près de là, s’élevait un temple
construit en rotonde, entouré d’une riche colonnade à jour formant
autour du bâtiment un portique circulaire qui communiquait avec le
canal au moyen d’un large escalier dont les dernières marches
baignaient dans l’eau.
Sylvest, marchant alors d’un pied léger,
l’oreille aux aguets, entra sous la colonnade et appela à plusieurs
reprises et à voix basse :
– Loyse !… Loyse !…
Personne ne répondit à son appel ; étonné
de ce silence, car il s’était attardé à la réunion nocturne des
Enfants du Gui, il croyait trouver Loyse depuis longtemps
arrivée en ce lieu, l’esclave continua de s’avancer à tâtons ;
il se rapprochait ainsi de l’escalier donnant sur le canal, pendant
que peut-être Loyse l’attendait sur une des marches : vain
espoir !
Soudain il vit les eaux réfléchir au loin une
grande clarté, tandis qu’une bouffée de vent lui apportait, avec la
senteur des citronniers et des amandiers en fleurs, un bruit confus
de lyres et de flûtes accompagnées de chants.
Sylvest supposa que Faustine, par cette chaude
et belle nuit d’été, se promenait en gondole sur le canal avec ses
esclaves chanteuses et musiciennes ; ces bruits harmonieux se
rapprochant de plus en plus ainsi que les reflets des lumières sur
les eaux, il crut que la gondole allait passer devant l’escalier du
temple, et il se retira prudemment dans l’ombre, surpris et inquiet
de n’avoir pas rencontré Loyse ; il ne perdait pas encore
toute espérance, et prêtait toujours l’oreille du côté des jardins.
Sylvest vit tout-à-coup dans cette direction, à travers
l’obscurité, la clarté de plusieurs lanternes, et il entendit le
pas et la voix des hommes qui les portaient ; saisi d’une
grande épouvante, car, il l’avoue, en ce moment il redoutait la
mort, et, surpris, dans le parc de la grande dame romaine, il
pouvait être tué sur l’heure… l’esclave hésita. Retourner vers
l’escalier du canal, c’était s’exposer à être éclairé par les
flambeaux de la gondole qui, dans quelques instants, devait longer
les marches du temple… Rester sous la colonnade, c’était, pour lui,
risquer d’être découvert par les gens qui, venant des jardins, se
rendaient peut-être dans ce bâtiment. Sylvest, voyant les lanternes
encore à une assez grande distance, eut le temps de grimper le long
d’une des colonnes et, se cramponnant à la forte saillie du
chapiteau, d’atteindre le rebord d’une large corniche circulaire
régnant autour du dôme de cette rotonde ; puis il se mit à
plat ventre sur cet entablement ; les hommes porteurs de
lanternes, contournèrent le temple et passèrent…
Sylvest respira ; cependant, craignant
que ces hommes revinssent sur leurs pas, il n’osa pas descendre
encore de sa cachette… Mais ses alarmes, un moment apaisées,
redoublèrent bientôt : la gondole s’arrêta devant l’escalier
du canal, et les chants cessèrent… Plus de doute, Faustine allait
entrer dans cette rotonde, pendant que des esclaves veilleraient
peut-être au dehors, à moins que la noble dame n’eût voulu quitter
sa gondole pour se promener dans ses jardins. Entouré de dangers,
Sylvest resta sur le rebord de la corniche ; bientôt il
remarqua, au niveau du large entablement sur lequel il se tenait
blotti, plusieurs cintres à jour, destinés sans doute, en raison de
la chaleur du climat, à laisser pénétrer des courants d’air frais
en ce lieu ; il pouvait ainsi, du haut de sa cachette, plonger
ses regards dans l’intérieur de la rotonde. Durant quelques
instants, il n’aperçut que des ténèbres ; mais il entendit
bientôt s’ouvrir la porte donnant sur le canal, et il vit entrer,
tenant à la main un flambeau, un noir d’Éthiopie d’une taille
gigantesque, coiffé d’un bonnet écarlate et vêtu d’une courte robe
orange lamée d’argent ; cet esclave portait au cou un large
carcan aussi d’argent, et à ses jambes nues et musculeuses des
anneaux du même métal.
L’Éthiopien alluma plusieurs candélabres
dorés, placés autour d’une statue représentant le dieu
Priape ; une grande lumière remplit alors la rotonde, tandis
que la cavité des cintres de la coupole supérieure où se cachait
Sylvest resta dans l’ombre ; entre les colonnes intérieures de
marbre blanc, enrichies de cannelures, dorées comme leurs
chapiteaux, l’on voyait des peintures à fresque, tellement
obscènes, que Sylvest rougirait de les décrire ; le plancher
du temple disparaissait sous un épais matelas recouvert d’étoffe
pourpre, ainsi qu’un grand nombre de coussins jetés çà et là… Entre
deux des colonnes, et se faisant face, étaient des buffets d’ivoire
incrustés d’écaille et précieusement sculptés ; sur leurs
tablettes de porphyre l’on voyait de grands vases d’or ciselés, des
coupes ornées de pierreries, et d’autres plus précieuses
encore : ces coupes de murrhe que l’on fait venir à
si grands frais d’Orient, qui sont d’une sorte de pâte odorante et
polie, brillant de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel[43] ; dans des bassins d’argent
remplis de neige, plongeaient de petites amphores en argile de
Sagonte ; de grandes cassolettes remplies de parfums,
posées sur des trépieds, étaient disposées autour de la statue du
dieu des jardins ; le noir les alluma, et aussitôt une vapeur
balsamique, mais d’une force presque enivrante, monta des trépieds
d’or et remplit la coupole…
Ces préparatifs terminés, le gigantesque
Éthiopien disparut par la porte du bord de l’eau et rentra
bientôt ; il tenait entre ses bras, comme on tient un enfant
qui dort, une femme enveloppée de longs voiles ; plusieurs
jeunes esclaves, d’une rare beauté, vêtues avec magnificence,
suivaient le noir ; c’étaient les femmes esclaves de la grande
dame romaine, la riche et noble Faustine : habilleuses,
berceuses, coiffeuses, noueuses de sandales, porteuses de coffret,
chanteuses, musiciennes et autres[44].
Dès leur entrée dans le temple, elles
s’empressèrent d’empiler des coussins, afin de coucher le plus
mollement possible leur maîtresse, que le noir portait toujours
entre ses bras… Celles des esclaves qui avaient joué de la flûte et
de la lyre en se rendant au temple tenaient encore à la main leurs
instruments de musique ; parmi elles se trouvaient deux jeunes
et beaux affranchis grecs, de seize à dix-huit ans,
reconnaissables, comme tous ceux de leur nation voués à cette
condition servile, reconnaissables à leur démarche lascive, à leur
physionomie effrontée, à leurs cheveux courts et frisés, ainsi qu’à
leur costume aussi riche qu’efféminé. Ils portaient de grands
éventails en plumes de paon destinés à rafraîchir l’air autour de
leur maîtresse.
Les coussins soigneusement disposés,
l’Éthiopien y plaça la noble Faustine avec autant de précaution que
s’il eût craint de la briser ; puis les deux jeunes Grecs,
déposant leurs éventails, s’agenouillèrent auprès de leur
maîtresse, et écartèrent doucement les voiles dont elle était
entourée.
Sylvest avait souvent, et cette nuit-là même,
entendu parler de Faustine, célèbre, comme tant d’autres dames
romaines, par sa beauté, son opulence et ses monstrueuses
débauches[45] ; mais Sylvest n’avait jamais vu
cette femme redoutée : il put la contempler avec un mélange
d’horreur, de haine et de curiosité.
De taille moyenne et frêle, âgée de trente ans
au plus, Faustine aurait été d’une beauté rare, si des excès sans
nom n’eussent déjà flétri, amaigri ce visage fin et régulier ;
on apercevait ses épais cheveux noirs à travers les mailles de la
résille d’or qui peignait son front pâle et bombé. Ses yeux noirs,
profondément cernés et demi-clos, parurent un moment offusqués par
l’éclat des lumières : aussi, à un simple froncement de
sourcils de la grande dame, deux de ses esclaves, prévenant sa
pensée, par la peur du châtiment, se hâtèrent de développer un
voile qu’elles tinrent étendu entre la lumière des candélabres et
leur maîtresse.
Faustine portait deux tuniques de soie
tyrienne, l’une longue et blanche brodée d’or, l’autre beaucoup
plus courte, de couleur vert clair brodée d’argent ; pour
corsage, elle n’avait autre chose qu’une résille d’or comme celle
de ses cheveux, et, à travers ses mailles, on apercevait son sein
et ses épaules nus comme ses bras frêles et d’une blancheur de
cire. Un collier de grosses perles et de rubis d’Orient faisait
plusieurs fois le tour de son cou flexible un peu allongé ;
ses petites oreilles se distendaient presque sous le poids des
nombreuses pendeloques de diamants, d’émeraudes et d’escarboucles
qui descendaient presque sur ses épaules[46] ;
ses bas de soie étaient roses, et ses sandales, à semelles d’or,
attachées à ses pieds par des cothurnes de soie verte,
disparaissaient sous les pierres précieuses dont elles étaient
ornées.
La grande dame, ainsi mollement couchée sur
ses coussins, fit un signe aux deux jeunes Grecs ; ils
s’agenouillèrent, l’un à droite, l’autre à gauche de leur
maîtresse, et commencèrent à l’éventer doucement, tandis que le
noir gigantesque, agenouillé derrière elle, se tenait prêt à
remédier au moindre dérangement des carreaux.
Faustine dit alors d’une voix
languissante :
– J’ai soif.
Aussitôt plusieurs de ses femmes se
précipitèrent vers les buffets d’ivoire : celle-ci mit une
coupe de murrhe sur un plateau de jaspe, celle-là prit un
vase d’or, tandis qu’une autre apportait un des grands bassins
d’argent remplis de neige où plongeaient plusieurs flacons d’argile
de Sagonte. Faustine indiqua du geste qu’elle voulait boire de ce
vin glacé dans la neige. Une esclave tendit la coupe, qui fut
aussitôt remplie ; mais, en se hâtant d’apporter ce breuvage à
sa maîtresse, la jeune fille trébucha sur un des coussins, la coupe
déborda, et quelques gouttes de la liqueur glacée tombèrent sur les
pieds de Faustine. Elle fronça le sourcil, et, tout en prenant le
vase de l’une de ses mains blanches et fluettes couvertes de
pierreries, de l’autre elle fit voir à l’esclave la tache humide du
vin sur sa chaussure ; puis elle vida lentement la coupe, sans
quitter de son noir et profond regard la jeune fille. Celle-ci
commença de trembler et de pâlir…
À peine la grande dame eut-elle bu, que
plusieurs mains se tendirent à l’envi pour recevoir la coupe… Se
renversant alors en arrière et s’accoudant sur l’un des coussins,
tandis que les deux Grecs continuaient de l’éventer, Faustine, tout
en jouant avec les pendants d’oreilles que portait l’un de ces deux
jeunes gens, se mit à sourire d’un rire cruel ; ce rire montra
deux rangées de petites dents blanches entre ses lèvres rouges…
d’un rouge de sang… Elle dit alors à l’esclave qui avait
maladroitement répandu quelques gouttes de vin :
– Philénie, à genoux…
L’esclave, effrayée, obéit.
– Plus près, dit Faustine, plus près… à
ma portée.
Philénie obéit encore.
– J’ai grand chaud ! dit la noble
dame pendant que sa jeune esclave, de plus en plus épouvantée,
marchant sur ses deux genoux, se rapprochait de sa maîtresse
presque à la toucher…
Lorsque celle-ci eut dit qu’elle avait grand
chaud, les deux jeunes Grecs agitèrent plus vivement encore leurs
éventails, et la porteuse de mouchoirs, fouillant dans sa corbeille
parfumée, donna un carré de lin richement brodé à l’une de ses
compagnes, qui s’empressa de venir essuyer respectueusement le
front moite de sa maîtresse.
Philénie, coupable de maladresse, toujours
agenouillée, attendait son sort en frémissant.
Faustine la contempla quelques instants d’un
air de satisfaction féroce, et dit :
– La pelote…
À ces mots, l’esclave tendit vers sa maîtresse
ses mains suppliantes ; mais elle, sans paraître seulement
voir ce geste implorant, dit au noir gigantesque :
– Érèbe, découvre son sein… et tiens-la
bien.
Le noir, dans sa joie dissolue, exécuta les
ordres de la grande dame, qui prit alors des mains d’une de ses
femmes un singulier et horrible instrument de torture[47]. C’était une assez longue tige d’acier
très-flexible, terminée par une plaque d’or ronde recouvrant une
pelote de soie rouge… Dans cette pelote, étaient fixées par la
tête, et assez écartées l’une de l’autre, un grand nombre
d’aiguilles, de façon que leurs pointes acérées sortaient de la
pelote au lieu d’y être enfoncées.
Le noir s’était emparé de Philénie… Celle-ci,
pâle comme une morte, n’essaya pas de résister… Son sein fut
brutalement mis à nu. Alors, au milieu du morne silence de tous,
car l’on savait quel châtiment était réservé à la moindre marque de
pitié, Faustine, accoudée sur un coussin, la joue appuyée dans sa
main gauche, prit la pelote de sa main droite, imprima un léger
balancement à la tige flexible, et en frappa le sein de Philénie,
contenue dans les bras nerveux de l’Éthiopien, agenouillé derrière
elle… À cette douleur aiguë, la malheureuse enfant poussa un cri,
et la blancheur de sa poitrine se teignit de quelques gouttelettes
de sang vermeil sortant à fleur de peau…
À la vue de ce sang, au cri de la victime, les
yeux noirs de Faustine, jusqu’alors presque éteints, reprirent un
vif éclat ; le sourire de ce monstre devint effrayant, et elle
dit en se dressant animée sur son séant avec une sorte de férocité
doucereuse et passionnée :
– Crie… mon doux trésor ! crie… cela
m’excite ! Crie donc, ma belle Lesbienne… crie donc, ma
colombe, crie donc !
Et en disant : Crie donc…
Faustine redoubla de coups et de piqûres, de sorte que le sein de
l’esclave fut bientôt couvert d’une légère rosée de sang…
Philénie eut la force d’étouffer le
gémissement de sa douleur, de peur d’exciter davantage encore la
barbarie de sa maîtresse, dont les traits devenaient d’une
expression de plus en plus étrange… effrayante… Mais, jetant
soudain la pelote loin d’elle, la grande dame, refermant à demi ses
yeux, dit languissamment en se renversant sur ses coussins, pendant
que sa victime, à demi-évanouie de douleur, allait tomber dans les
bras de ses compagnes :
– J’ai encore soif…
Au moment où l’on s’empressait de lui obéir,
le son de deux petites cymbales retentit au dehors, du côté du
canal.
– La sorcière de Thessalie ! la
sorcière ! déjà… dit Faustine en se dressant sur son séant,
après avoir vidé sa coupe. Par les trois Parques ! sœurs de
cette rusée vieille, je ne l’attendais pas sitôt.
Et s’adressant à Érèbe :
– Fais-la entrer sur l’heure, et que la
barque qui l’a amenée reste près des marches de l’escalier.
La sorcière thessalienne fut introduite par
l’Éthiopien. Son teint était d’un brun cuivré ; sa figure
hideuse disparaissait à demi sous de longs cheveux gris emmêlés
sortant de son capuchon rabattu et noir comme sa robe, que serrait
à sa taille une ceinture de cuir rouge où l’on voyait tracés en
blanc des caractères magiques, et à laquelle pendait une pochette.
La Thessalienne tenait à la main un brin de coudrier.
À l’aspect de cette sorcière, tous les
esclaves ont paru troublés, effrayés ; mais Faustine,
impassible comme une statue de marbre, dont elle avait la pâleur,
est restée accoudée et a dit à la Thessalienne, debout au seuil de
la porte :
– Approche… approche… orfraie des
enfers !…
– Tu m’as envoyé quérir, reprit la
sorcière en s’approchant ; que veux-tu de moi ?
Sylvest fut frappé de la voix de la
sorcière ; cette femme était vieille, et sa voix douce et
fraîche.
– Je ne crois pas plus à ta science
magique qu’au pouvoir des Dieux, dont je me raille, reprit
Faustine, et pourtant je veux te consulter… Je suis dans un jour de
faiblesse.
– La vie ne croit pas à la mort… le
soleil ne croit pas à la nuit… répondit la vieille en hochant la
tête. Et pourtant vient la nuit noire… et pourtant vient la tombe
noire… Que veux-tu de moi, noble Faustine ? que veux-tu de
moi ?
– Tu as entendu parler du fameux
gladiateur… Mont-Liban ?
– Ah ! ah ! dit la sorcière
avec un étrange éclat de rire, encore lui ! encore cet Hercule
au bras de fer, au cœur de tigre !
– Que veux-tu dire ?
– Vois-tu, noble Faustine, sur dix
grandes dames qui ont recours à mes charmes magiques, il y en a
neuf qui commencent ainsi que toi… en me nommant le fameux
gladiateur Mont-Liban[48].
– Je l’aime ! dit audacieusement
Faustine devant ses esclaves, en fronçant ses sourcils, tandis que
ses narines s’enflaient, et que tout son corps semblait
tressaillir. J’adore Mont-Liban ! je suis folle de
lui !
– Tu n’es pas la seule…
– Je lui ai écrit… ma lettre est restée
sans réponse.
– Tu n’es pas la seule…
– Peu m’importe qu’il soit aimé, reprit
impétueusement cette odieuse impudique ; je veux savoir s’il
aime ?
– S’il aime ?
– Oui… s’il aime ?
La sorcière hocha la tête, et attachant
fixement ses regards sur la grande dame comme pour lire au fond de
sa pensée, elle répondit :
– Faustine, tu me demandes ce que tu
sais… car toute la ville d’Orange le sait…
– Explique-toi…, répondit Faustine, dont
le front d’airain pour la première fois, parut troublé ;
explique-toi !
– Lors du dernier combat du cirque,
poursuivit la sorcière, chaque fois que Mont-Liban, vainqueur,
tenait sous son pied son adversaire, avant de lui enfoncer son fer
dans la gorge, est-ce qu’il ne se tournait pas avec un sauvage
sourire vers certaine place de la galerie dorée, en saluant de son
épée… après quoi il égorgeait délicieusement son adversaire
vaincu ?
– Et qui occupait cette place ?
demanda Faustine les dents serrées de rage. Réponds…
– Tu me demandes ce que tu sais ;
car toute la ville d’Orange le sait…, reprit de nouveau la
sorcière. Ah ! tu veux ignorer qui occupait cette
place ?… Je vais te l’apprendre.
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