Et elle ajouta en donnant au comte les deux figurines de cire : – Tes deux ennemis, dont voici l’emblème, le sire de Castel-Redon et l’évêque de Nantes, tomberont bientôt en ton pouvoir, si tu places toi-même ces figures magiques, selon ce que je t’ai dit, en prononçant trois fois les noms de Judas, d’Astaroth et de Jésus.

– Hum ! le nom de Jésus me coûte fort à prononcer en cette sorcellerie, tu me pousses peut-être à un sacrilège, – ajouta Neroweg VI en hochant la tête et prenant presque avec crainte les deux figurines. – Enfin, à ce soir pour le philtre ?

– Oui.

– Tu as l’enfant ; rien ne te manque ?

– Rien…

– Mais où donc est-il l’enfant du serf ?

– Je te l’ai dit : là, dans ce réduit.

Neroweg VI, toujours défiant, alla vers la tourelle, souleva le rideau et vit le petit Colombaïk, fils de Fergan-le-Carrier, couché sur le sol ; l’innocente créature dormait profondément au pied d’un meuble chargé de vases de formes bizarres. Les murailles de la tourelle, pavée de dalles, s’élevaient nues jusqu’au plafonnement de son étage supérieur, dont le sol était au niveau de la plate-forme du donjon. Neroweg VI, après avoir un instant contemplé l’enfant, dit à Azénor : – À ce soir, puisque rien ne te manque plus pour le philtre magique. – Et ce disant, il sortit, en fermant à double tour la serrure, dont il garda la clef.

*

* *

Eberhard-le-Tricheur, l’un des écuyers du seigneur de Plouernel, l’attendait au dehors du réduit d’Azénor, en compagnie de Thiebold, prévôt justicier de la seigneurie ; celui-ci dit à Neroweg VI, qui, soucieux, descendait lentement la spirale de l’escalier de pierre : – Seigneur, le châtelain de la maison forte de la Ferté-Mehan a signé l’abandon de son fief du Haut-Menil, au troisième coin que le bourreau lui a enfoncé entre les genoux. – Neroweg VI fit un signe de tête approbatif ; le prévôt continua : – Quant aux autres prisonniers, le sire de Breuil-le-Haudoin est mort des suites de la torture.

– Ensuite ?

– L’abbé Guilbert offre trois cents sous d’argent pour sa rançon ; mais comme il n’a point encore été exposé à la torture, de telles offres ne comptent point.

– Et puis !

– C’est tout.

En devisant ainsi, le seigneur de Plouernel, son prévôt et son écuyer descendirent jusque dans la salle basse du donjon, à l’un des angles de laquelle aboutissait l’escalier ; une étroite fenêtre garnie d’énormes barreaux de fer éclairait seule cette vaste salle, nue, sombre et voûtée ; la porte cintrée, alors ouverte, laissait apercevoir le pont-levis abaissé ; au milieu de la cour intérieure se tenaient plusieurs hommes d’armes du seigneur de Plouernel prêts à monter à cheval ; vers le centre de la salle du plaid se trouvait, selon l’usage, une grande table de pierre(20), derrière laquelle se rangèrent les officiers de la maison du comte, l’écuyer de ses écuries, l’écuyer de sa chambre, l’écuyer de sa vénerie, de sa fauconnerie, de sa table, et autres dignitaires ; ces gens, au lieu d’être payés par les seigneurs, achetaient d’eux ces offices héréditaires dans les familles ; hérédité parfois étrange par le contraste de la fonction et du fonctionnaire : ainsi, une charge de Coureur vendue en fief à un homme agile, vigoureux, souvent devenait l’héritage de son fils, aussi impropre à la course qu’un bœuf poussif. Les seigneurs, afin de tirer profit de la vente de ces offices, les multipliaient à l’infini ; leurs acquéreurs cédaient moins à l’orgueil d’appartenir aux maisons seigneuriales qu’au désir de se mettre ainsi à peu près à l’abri des violences du maître, ou de participer aux profits de ses brigandages. Hélas ! en ces temps maudits, il faut choisir, être opprimé ou oppresseur, subir les horreurs du servage ou devenir l’instrument des tyrans féodaux, se joindre à eux pour violenter, larronner, torturer ses frères, ou souffrir ce qu’ils souffrent. Oui, telles sont les exécrables suites de la conquête franque, appelée par l’Église catholique ! Les seigneurs ont imposé la servitude, les prêtres ont prêché une résignation couarde, stupide, honteuse. Alors le peuple des Gaules, de plus en plus dégradé, abruti, est devenu lâche, égoïste, cruel, et aveuglé par la terreur, il se déchire de ses propres mains en se faisant le complice de ses bourreaux !

En outre des premiers domestiques de Neroweg VI assistant à ce plaid justicier, qui remplaçait le mâlh germanique des premiers temps de la conquête de Clovis, on voyait encore le prévôt, le baillif et le tabellion de la seigneurie ; ce dernier, assis sur un escabeau, ses parchemins sur ses genoux, son écritoire au côté, sa plume entre ses dents, attendait l’ouverture de la séance. Les premiers domestiques du comte, tous plus ou moins complètement armés, ressemblaient à des bandits. Respectueux et craintifs, ils se tenaient debout en demi-cercle derrière leur maître, seul assis ; il régnait entre eux et lui l’immense distance du vassal au suzerain. L’ingratitude, puis, plus tard, le farouche orgueil féodal avaient, depuis quatre ou cinq siècles, supprimé la classe intermédiaire des Leudes, qui, aux premiers temps de la conquête franque, vivaient en commun et en égaux avec leur chef, partageant sa table, ses grossiers plaisirs et ses violences, ainsi que cela se passait alors que les Neroweg étaient comtes au pays d’Auvergne ; mais à mesure que la conquête s’affermit, ces chefs ingrats, seuls bénéficiers titulaires des terres de la Gaule, choqués des habitudes d’égalité contractées par leurs anciens compagnons d’armes, dont l’aide leur devenait de moins en moins nécessaire, les évincèrent peu à peu de ces domaines, où chef et leudes avaient toujours vécu en commun. La descendance de ces obscurs guerriers francs, sacrifiés à l’orgueil et à la cupidité des bénéficiers, tomba bientôt dans la misère, et de la misère dans une servitude pareille à celle des Gaulois ; dès lors, Franks et Gaulois déshérités, les premiers par l’ingratitude, les seconds par la conquête, unis dans le malheur et le servage, oubliant leur origine, ressentirent une haine commune contre l’Église et les seigneurs ; la diversité des races se fondit dans l’égalité de l’infortune, il n’y eut plus désormais que deux classes d’hommes : les roturiers, serfs, manants ou bourgeois, et les nobles, chevaliers ou seigneurs ; ceux-ci, de siècle en siècle, s’isolant ainsi de plus en plus, vécurent en souverains absolus dans la sombre solitude de leurs châteaux forts, n’ayant pas d’égaux, mais des serviteurs complices de leurs brigandages, ou des serfs hébétés par la terreur ; de là l’ennui farouche où vivaient grand nombre de seigneurs, bloqués dans leurs repaires, dont ils n’osaient sortir de crainte de leurs voisins.

Guy et Gonthram, les deux fils de Neroweg VI, le plus jeune à gauche et l’aîné à droite du siège de leur père, assistaient aussi à ce plaid justicier ; l’aîné venait d’atteindre l’âge de Chevalerie, glorieux avènement, si chèrement payé par les serfs de la seigneurie. Gonthram, l’aîné, ressemblait beaucoup à son père ; le louveteau devait valoir le loup ; Guy, le puîné, âgé de dix-sept ans, rappelait la physionomie sardonique et vindicative de sa mère Hermangarde. Ces deux jeunes gens, élevés au milieu de cette vie de guerre, de rapine et de débauche, abandonnés à la violence de leurs passions sauvages, maîtres absolus d’une population craintive et abrutie, n’avaient aucun des charmes de l’adolescence ; souvent, après boire, de terribles disputes éclataient entre eux ou contre leur père. Dans l’un des angles de la salle se tenaient des bourgeois de la petite ville de Plouernel, venant humblement réclamer contre les exactions des gens du comte, s’excuser non moins humblement de n’avoir point encore payé les tailles en argent et les redevances en marchandises qu’il plaisait à leur seigneur de leur imposer(21), remontrer timidement que les crédits qu’ils devaient accorder audit seigneur(22) étaient dès longtemps expirés ou dépassés ; ils venaient encore déclarer qu’ils s’étaient empressés d’ôter du faîte de leurs maisons les girouettes audacieusement placées là au mépris des droits seigneuriaux, et que les colombiers que ces bourgeois avaient commencé de bâtir contre tout droit seraient abattus(23). À ce plaid se trouvaient aussi de nobles vassaux de Neroweg VI, possesseurs de maisons fortes ou de châtellenies, relevant du comte de Plouernel, suzerain de ces fiefs, de même que Neroweg VI, vassal de Wilhelm IX, duc d’Aquitaine, relevait de ce suzerain, lequel, vassal de Philippe Ier, relevait à son tour de ce roi des Français, suzerain suprême ; cette hiérarchie de toute seigneurie féodale existait de nom, jamais de fait : les grands vassaux, véritables souverains retranchés dans leurs duchés, se raillaient de l’impuissante autorité du roi ; la suzeraineté des ducs était à son tour presque toujours méprisée, contestée ou attaquée par leurs vassaux, maîtres absolus dans leurs seigneuries, comme le duc dans sa duché ; mais le vasselage immédiat, pareil à celui que subissaient les vassaux de la seigneurie de Plouernel, s’exerçait toujours dans sa pleine et tyrannique dureté, car à chaque instant l’implacable vengeance du suzerain pouvait directement atteindre les biens et les personnes des vassaux récalcitrants. Parmi ces gens venus de la ville, de leurs maisons fortes ou de leurs châtellenies, se trouvait une belle jeune fille, accompagnée de sa mère ; toutes deux tristes, inquiètes, échangèrent un regard alarmé lorsque le seigneur de Plouernel, entrant d’un air sombre dans la salle du plaid, s’assit sur son siège, l’un de ses fils à sa droite, l’autre à sa gauche, et dit à Garin-Mange-Vilain : – Baillif, appelle les causes. – Garin ne portait d’autre trace de la blessure que, la veille, il avait reçue de Perrine-la-Chèvre, qu’un emplâtre sur le front. Prenant un parchemin, il lut ce qui suit : – « Gerhard, fils de Hugh, mort le mois passé, succède à son père dans le fief de Heurte-Mont, relevant de la comté de Plouernel ; il vient acquitter le droit de relief et prêter foi et hommage à son suzerain. » – Alors, un homme jeune encore, coiffé d’un casque de cuir, portant au côté une longue épée, sortit du groupe des personnages venus pour le plaid, s’avança, tenant à la main une grosse bourse remplie d’argent, et la déposa en soupirant sur la table de pierre, acquittant ainsi le droit de relief dû au seigneur par tout vassal qui prend possession de son héritage. Puis, à un signe du baillif, le châtelain de Heurte-Mont, ôtant son casque, débouclant le ceinturon de son épée, se mit humblement à deux genoux devant le seigneur de Plouernel ; mais le baillif, remarquant que le jeune homme, venu à cheval, conservait ses éperons, lui dit d’un ton courroucé : – Vassal ! oses-tu prêter hommage et foi à ton seigneur avec des éperons aux talons(24) ?

Le châtelain répara cette incongruité en ôtant ses éperons, se remit à genoux aux pieds de Neroweg VI ; et, les mains jointes, la tête baissée, il attendit humblement que son seigneur eût prononcé, d’un air sombre et distrait, la formule consacrée : – Tu reconnais être mon homme lige, en raison de ce que tu possèdes à fief une châtellenie dans ma seigneurie ?

– Oui, – répondit humblement Gerhard ; – oui, mon seigneur.

– Tu jures, par la foi de ton âme, – reprit Neroweg VI, – tu jures de ne jamais porter les armes contre moi, de me servir et de me défendre contre mes ennemis ?

– Je le jure ! – ajouta le châtelain, – je le jure, mon seigneur.

– Tiens ton serment… sinon, à ta première félonie, ton fief est à moi(25)… – dit Neroweg VI. Et se retournant vers son baillif, il lui ordonna d’un geste de faire approcher une autre personne. Gerhard se relevant rechaussa ses éperons et reboucla le ceinturon de son épée en jetant un dernier regard d’adieu sur sa grosse bourse d’argent laissée sur la table de pierre en payement du droit de relief ; tandis que, par ordre du baillif, s’avançait, inquiète, tremblante et les yeux pleins de larmes, la jeune fille richement vêtue ; sa mère, non moins émue, l’accompagnait. Lorsque toutes deux furent à quelques pas de la table de pierre, le seigneur de Plouernel dit à la damoiselle : – Cette fois, as-tu réfléchi ?… es-tu décidée ?

– Monseigneur, – dit-elle d’une voix faible et suppliante, – il m’est impossible de me résigner à… – Elle ne put achever, les sanglots étouffèrent sa parole et, fondant en larmes, elle appuya son front sur l’épaule de sa mère, qui dit au comte : – Mon bon seigneur, soyez juste et généreux, ma fille aime Eucher, un de vos vassaux ; Eucher aime non moins tendrement ma fille Yolande, l’union de ces deux enfants ferait le bonheur de ma vie… et…

– Encore ce mariage ! – s’écria le seigneur de Plouernel d’un ton courroucé en interrompant la mère d’Yolande. – Ta fille, par la mort de son père, possède un fief relevant de ma suzeraineté : à moi seul appartient le droit et le pouvoir de marier ta fille(26). Je lui ai, selon notre coutume, donné le choix entre trois de mes hommes, trois hommes francs, c’est-à-dire nobles : Richard, Enguerrand et Conrad ; le plus vieux n’a pas encore soixante ans, il s’en faut de deux mois(27), les conditions d’âge sont donc observées. Veux-tu, oui ou non, un de mes trois hommes-liges pour époux ?

– Hélas ! monseigneur, – reprit d’une voix suppliante la mère d’Yolande, tandis que celle-ci sanglotait toujours, incapable de prononcer une parole, – Richard est borgne et d’une laideur repoussante ; Conrad a tué sa première femme dans un accès de colère ; Enguerrand, redouté de tout le monde, aura soixante ans dans deux mois, et…

– Ainsi ta fille refuse d’épouser un de ces trois hommes ? – dit Neroweg VI en interrompant la mère d’Yolande ; – elle refuse ?

– Seigneur, jamais elle ne voudra choisir un autre époux que Eucher ; et moi, je vous le jure, ce jouvenceau est digne de l’amour de ma fille.

– Par le diable ! assez de paroles ! – s’écria Neroweg VI ; – si ta fille, refusant de choisir parmi mes hommes, épouse son Eucher, le fief m’appartiendra ; c’est mon droit(28)… j’en userai !

– Au nom du ciel, mon seigneur ! si vous vous emparez de notre bien, de quoi vivrons-nous ? Faudra-t-il donc mendier notre pain ?

Yolande releva son beau visage, pâle et baigné de larmes, fit un pas vers Neroweg VI et lui dit avec dignité : – Gardez l’héritage de mon père, j’aime mieux vivre misérable avec l’homme de mon choix, que d’épouser l’un de vos bandits !

– Ma fille ! – s’écria la mère désolée, – si tu désobéis au seigneur de Plouernel, hélas ! c’est la misère pour nous !

– Et pour moi, ma mère, épouser l’un des trois hommes que l’on me propose, c’est la mort ! – dit la pauvre enfant ; – à un si odieux mariage, je ne survivrais pas !

– Seigneur, mon bon seigneur ! – dit la mère éplorée, – souffrez du moins qu’Yolande reste fille ? Hélas ! voudrez-vous la contraindre à choisir entre notre ruine et un mariage dont la seule idée l’épouvante !

– Aucun fief ne peut demeurer en possession d’une femme, – dit sentencieusement le baillif, – notre coutume s’y oppose.

– Assez de paroles ! – s’écria Neroweg VI en frappant du pied avec colère ; – cette fille refuse d’épouser l’un de mes hommes, le fief m’appartient ! Baillif, tu enverras ce soir prendre possession de la maison et de tout ce qui s’y trouve !

– Viens, ma mère, – reprit fièrement Yolande contraignant sa douleur, – nous étions libres et heureuses, nous voici aussi misérables que des serves. Va, Neroweg ! l’on t’a justement nommé Pire-qu’un-Loup ! car tu es plus rapace, plus cruel qu’un loup… Garde mes biens, tu as la force, use de ta force ! – Et Yolande se dirigea vers la porte de la salle, suivie de sa mère qui murmurait en gémissant : – Hélas ! nous voici dans la misère, qu’allons-nous devenir, mon Dieu ? qu’allons-nous devenir ?

Le seigneur de Plouernel se fût sans doute vengé des amers reproches d’Yolande, s’il n’eût été distrait par la soudaine venue de l’un de ses hommes qui, accourant du dehors tout essoufflé, entra en criant : – Monseigneur ! monseigneur ! l’évêque de Nantes vient d’être arrêté au péage de la chaussée… Il était déguisé en moine mendiant… mais Robin-le-Nantais l’a reconnu. On amène l’évêque avec d’autres voyageurs !

– L’évêque de Nantes en mon pouvoir ! – s’écria Neroweg, – Azénor l’avait prédit ; son charme magique opère déjà ! – Et à cette nouvelle, qui lui annonçait l’arrestation de l’un de ses mortels ennemis, le comte bondit de joie ; puis, suivi de ses fils et de plusieurs de ses écuyers, il courut au-devant des prisonniers, amenés par les hommes d’armes postés dans le corps de garde du péage. Bezenecq-le-Riche et sa fille Isoline accompagnaient Simon, l’évêque de Nantes, et Yéronimo, vêtu en moine comme le prélat ; celui-ci, après ses vains efforts pour engager les voyageurs à ne pas traverser la seigneurie de Plouernel, s’était cependant joint à eux, n’osant s’aventurer, seul avec Yéronimo, sur les terres du seigneur de Castel-Redon, non moins pillard et féroce que son voisin, espérant d’ailleurs n’être pas reconnu au milieu d’une troupe nombreuse. Malheureusement parmi les hommes d’armes postés au corps de garde de la chaussée, se trouvait Robin-le-Nantais, longtemps habitant de la cité de Nantes, il y avait vu ses notables habitants ; aussi désigna-t-il tout d’abord Bezenecq-le-Riche comme un citadin dont on pourrait tirer une grosse rançon ; puis, remarquant ensuite un moine qui affectait de rabaisser jusqu’à son menton le capuchon de son froc, les soupçons de Robin s’éveillèrent, et découvrant la figure de ce mystérieux personnage, il s’écria : – C’est l’évêque de Nantes. – Les hommes d’armes de Neroweg VI, sachant sa haine contre le prélat, s’applaudirent de cette importante capture, le garrottèrent ainsi que Yéronimo, Bezenecq et sa fille, exigèrent le péage des autres voyageurs, larronnèrent à leur convenance, dans leurs bagages ou marchandises, et en pieux catholiques, pillèrent complètement la balle de Harold-le-Normand ; celui-ci, peu soucieux du larcin, se promit de bientôt renouveler sa provision de reliques aux premiers gibets venus, et ils ne manquaient point sur la route. Les voyageurs ainsi à demi dévalisés continuèrent leur route, et cinq ou six des hommes du comte amenèrent au château le bourgeois de Nantes lié sur sa mule, ayant en croupe sa fille éplorée ; l’évêque et Yéronimo, les mains attachées derrière le dos, suivaient à pied. Lorsque les captifs arrivèrent dans la première enceinte du château, Bezenecq descendit de sa monture, et délivré de ses liens, il put soutenir les pas de sa fille, prête à défaillir. L’évêque, pâle comme un mort, s’appuyait sur le bras de Yéronimo, dont la figure résolue ne trahissait aucune crainte.