XXIX, p 231) ; je le joins à notre légende à l’appui du jugement porté par Allan Lebrenn sur ce misérable roi qui abandonna Jeanne Darc aux fureurs de l’Inquisition et causa la mort de Jacques Cœur, après l’avoir dépouillé :
« … Icelui, le roi Charles VII, menait très-sainte vie et disait ses heures canoniaux ; et quoiqu’il se continuât au service de Dieu, lorsque la belle Agnès fut morte, le roi s’enamoura de la nièce de ladite Agnès, mariée au seigneur de Villequier. Elle était aussi belle que sa tante, et son mari se tenait avec elle à la cour ; elle avait toujours cinq à six damoiselles des plus belles de France et de petite condition, lesquelles suivaient ledit roi Charles partout où il allait. Madame de Villequier se fit céder par ses parents Blanche de Rebreuve, pour la bailler au roi, bien que celle-ci protestât en pleurant qu’elle aurait mieux aimé conserver sa vertu, dût-elle seulement vivre de pain et d’eau claire ; mais bientôt elle se consola et partagea les faveurs du roi avec la dame de Villequier et ses demoiselles suivantes. »
Le même Jacques Duclerc (Liv. XXIX, p. 222), parlant des mœurs des prêtres de son temps, disait :
« …… Il est vrai d’assurer que le plus grand nombre des gens d’église, en ce temps-ci et auparavant, étaient si dissolus au péché de luxure et avarice, ambitions et délices mondaines, que ce serait pitié à les mettre par écrit ; et aussi bien les grands comme prélats et autres que les pauvres prêtres et ordres mendiants. Ces désordres du clergé irritèrent profondément les gens de bien ; mais l’Inquisition veillait, et tous ceux qui osaient hautement blâmer ces scandales étaient accusés d’hérésie, d’affiliation aux Vaudois, descendants des Albigeois, puis arrêtés et soumis à des tortures épouvantables, jusqu’à ce qu’ils eussent confessé leur hérésie. La plupart confessaient par terreur ; grand nombre de ces malheureux furent suppliciés à Arras en 1460. L’un d’entre eux, échevin d’Arras, l’un des hommes les plus honorables de la ville, après avoir été souventefois torturé, déclara, au moment de périr sur l’échafaud (toujours selon Jacques Duclerc, liv. XIV, p. 67), que tous ceux qu’il avait accusé d’être Vaudois, dont aucuns étaient là présents, échevins et autres, ne l’étaient point ; il ajouta que ce qu’il avait dit, écrit et confessé là-dessus, il l’avait dit, écrit ou confessé par la force de la torture, et qu’autant de gens qu’il connaissait, il les avait tous nommés, et si plus il en eût connu, plus il en aurait nommés, pour faire cesser la torture qui brisait ses membres tandis que l’on approchait de la plante de ses pieds des flambeaux de cire bien allumés et bien ardents. »
Ceci se passait, fils de Joel, à la fin du règne de Charles VII, ce dévot qui disait ses heures canoniaux et menait très-sainte vie (dit ici le chroniqueur), en ayant un sérail comme le sultan des Turcs.
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Moi, Christian Lebrenn, fils de Mélar et petit-fils de Stéphan Lebrenn, qui eut pour père Allan et pour aïeul Mahiet-l’Avocat d’armes, témoin du supplice de Jeanne Darc à Rouen, je veux, avant d’ajouter une nouvelle légende et une nouvelle relique à celles de notre famille, relater sommairement ici les principaux événements des règnes de Louis XI, de Charles VIII et de Louis XII ; j’y ajouterai ce qui s’est passé de plus important sous la royauté de François Ier jusqu’à l’année 1534, où commence le récit écrit par moi. Mon grand-père avait laissé à mon père, et mon père m’a laissé cette lacune à remplir ; à l’aide de quelques notes, j’ai complété ces renseignements par des informations prises à Paris auprès de personnes très-bien instruites de l’histoire du dernier siècle et de celui-ci, entre autres MM. Henri et Robert ESTIENNE, grands érudits, célèbres imprimeurs chez qui mon père, moi et mon fils aîné, nous avons été employés en qualité d’artisans d’imprimerie.
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Le 22 juillet de l’an 1461, Louis XI, fils de Charles VII et de Marie d’Anjou, né à Bourges le 3 juillet 1423, monta sur le trône. Autant son père s’était montré indolent, peu soucieux des affaires de l’État, abandonnées à ses conseillers ou à ses favoris, autant Louis XI se montrait actif, jaloux de sa puissance ; il n’aimait personne, se méfiait de tout le monde. Froidement calculateur, ne ressentant ni pitié, ni colère, ni affection, ni entraînement, il se bornait à faire le mal nécessaire à la réussite de ses projets ; en ce cas, il allait jusqu’aux plus terribles extrémités. Plein de défiance, de mépris pour les hommes, comptant uniquement sur les ténébreuses ressources de son esprit astucieux, subtil et tenace, il voulut tout accomplir par lui-même, et se passer de conseillers ; il voyait en eux des traîtres ou des incapables. Son modèle était Pierre Sforza, devenu tyran de Lombardie par la fourberie, l’audace, la trahison et d’implacables cruautés ; Louis XI n’avait point à usurper un trône, mais à défendre le sien de l’envahissement des princes du sang et des grandes seigneuries. À ce but il marcha droit, résolu de l’atteindre par tous les moyens, depuis la flatterie qui séduit, la ruse qui divise, jusqu’au meurtre qui vous débarrasse d’un ennemi redoutable.
Louis XI apprend la mort de son père ; sans dissimuler sa joie parricide, il quitte aussitôt la cour du duc Philippe de Bourgogne et va se faire sacrer à Reims. Une seule idée le préoccupe tout d’abord : détruire la puissance des princes du sang, des grands vassaux, éternels rivaux de la royauté, et achever ainsi l’œuvre commencée par Charles VII. Les maisons princières de France, depuis l’expulsion des Anglais, semblaient devenues presque aussi indépendantes de la couronne qu’au beau temps de la féodalité ; les comtes d’Albret, de Foix, d’Armagnac, les ducs de Bretagne, de Bourgogne et d’Anjou, souverains dans leurs provinces, reconnaissaient à peine la suzeraineté du roi de France, accablaient d’impôts les villes et les campagnes. Louis XI, despote cupide, entreprit de rester seul maître, seul exacteur de ses peuples. Habile et dissimulé, il feignit d’abord de s’appuyer sur les bourgeoisies, connaissant leur haine invétérée contre les seigneuries ; il affecta de s’entourer de petites gens. Sobre, avare, ennemi du luxe des cours, parce que la royauté payait toujours ce luxe, n’ayant qu’une passion : la chasse ; sordide dans ses vêtements, vêtu d’une casaque grise, coiffé d’un vieux chapeau orné de reliques de plomb, chaussé de gros houseaux de voyage, il plut d’abord aux bonnes gens par sa simplicité goguenarde et familière ; il voulait, disait-il, rendre aux villes leurs franchises, abolir les taxes les plus pesantes. En effet, il sembla tout d’abord fidèle à ses promesses, à en juger du moins d’après sa parcimonie : à la cour, plus de fêtes, plus de tournois, plus de mascarades, plus de festins somptueux, plus de galas ; Louis XI préférait consacrer à l’entretien d’une compagnie de cent lances la somme qu’il eût dépensée en un seul jour de liesse. Les courtisans, habitués aux prodigalités de Charles VII, à faire chère lie dans le palais royal, se montrèrent déconvenus et courroucés de l’avarice, de la bassesse de ce roi : ne prenait-il pas pour chambellan son barbier Olivier-le-Diable, et pour compère Tristan-l’Hermite, prévôt des bourreaux. Les princes du sang, les grands vassaux, instruits des projets de Louis XI à leur égard, n’attendirent pas d’être frappés ; ils se liguèrent avec la noblesse, ayant à leur tête Charles-le-Téméraire, fils du duc de Bourgogne, ancien hôte de Louis XI.
Jean de Calabre, le duc de Bourbon, le duc de Nemours, le comte d’Armagnac, le duc de Bretagne, le sire d’Albret, et enfin le duc de Berry, frère du roi, étaient les principaux moteurs de cette ligue, qu’ils appelaient LIGUE DU BIEN PUBLIC, afin de donner à croire au peuple qu’ils se liguaient dans son intérêt. Les révoltés levèrent une armée de plus de cent mille hommes ; ils voulaient réduire Louis XI à la royauté de l’Île-de-France, et le forcer de les reconnaître princes souverains indépendants de la couronne. Le rusé sire opposa bientôt à la ligue des seigneuries la ligue des bourgeoisies ; il abolit d’un trait dans toutes les villes tailles, gabelles, aides, taxes et surtaxes ; il rendit aux communes leurs franchises ; il se déclara le très-cher ami et bon compère des bourgeois et du populaire. Les simples ajoutèrent foi à la sincérité de ces actes ; Paris s’enthousiasma du roi réformateur. N’accordait-il pas de son plein gré les réformes poursuivies d’âge en âge, avant Marcel, par les communes, et depuis lui, par les Maillotins et les Cabochiens ? Paris fournit vingt mille hommes à Louis XI pour l’aider à combattre la Ligue du Bien public… Et ici, fils de Joel, remarquez quel progrès accompli à travers les siècles : les seigneuries, les princes du sang, n’osent avouer ouvertement que leur orgueil et leur cupidité sont les mobiles de leur révolte ; pour lui créer des partisans, ils sont obligés de la colorer du prétexte du bien public. La guerre civile éclate ; et après la sanglante bataille de Montlhéry (1465), Louis XI, forcé de traiter avec les princes coalisés, leur accorde toutes leurs demandes, secrètement résolu de ne tenir aucune de ses promesses. Dissoudre la ligue en satisfaisant ses chefs, afin de pouvoir ensuite triompher d’eux isolément, tel était son but ; il cède donc au duc de Berry, son frère, la Normandie en apanage ; à Charles-le-Téméraire, une partie de la Picardie ; enfin, il accorde libéralement à un chacun tout ce qu’il exigeait.
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