Lâche, soupçonneux, irrésolu et cruel, il abhorrait depuis longtemps l’amant de sa mère, sans oser cependant manifester trop hautement cette haine. Cependant, un jour, il se détermine, en roi de bonne race, à faire assassiner l’homme qu’il exécrait, mande M. de Vitry, l’un de ses capitaines des gardes, et lui propose le bâton de maréchal de France, à la condition de tuer le Concini : marché conclu. M. de Vitry s’associe à son frère et à plusieurs gentilshommes de bon vouloir, et, le 24 avril 1617, le maréchal d’Ancre est assassiné, sur le pont tournant, en face du Louvre. Les meurtriers, en gens de prévoyance, dépouillèrent le cadavre, puis allèrent piller l’appartement et les pierreries de la maréchale d’Ancre. « – Merci à vous, mes amis ; maintenant, je suis roi ! » – dit Louis XIII à M. de Vitry et à ses compagnons de tuerie, ainsi qu’avait dit Henri III à Loignac et aux quarante-cinq, après le meurtre du Balafré. Marie de Médicis fut, par ordre de son fils, gardée prisonnière dans son appartement ; la veuve de Concini, Éléonore Galigaï, eut la tête tranchée, après quoi son corps fut brûlé. Au règne du favori de la reine succéda le règne du favori du roi, un bel adolescent, capitaine de fauconnerie, Albert de Luynes ; il exerçait un empire absolu sur Louis XIII, lequel (alors âgé de quinze ans et demi), après avoir fait assassiner l’amant de sa mère, qu’il exila plus tard, retourna vite, l’innocent jouvenceau ! à ses amusements favoris : « enluminer des gravures, battre du tambour, sonner du cor de chasse et construire de petits jets d’eau avec des tuyaux de plume. » Jeux candides que partageait Anne d’Autriche, aussi jeune que ce roitelet à qui on l’avait mariée l’année précédente. Marie de Médicis, envoyée par son fils prisonnière au château de Blois, s’en échappe, en 1619, avec l’aide du duc d’Épernon, ennemi mortel de Luynes. Ce favori de Louis XIII égalait en insolence le maréchal d’Ancre, et, comme lui, souleva la haine de la seigneurie. Une nouvelle guerre civile s’allume en 1620. Marie de Médicis… touchant exemple de bon accord familial si souvent donné au monde par les races royales !… Marie de Médicis se joint aux mécontents armés contre son fils et commandés par le duc de Longueville. Le roi, d’après les conseils de Condé, sorti de la Bastille, marche contre les rebelles, qui tenaient campagne en Normandie, les met en déroute au pont de Cé, le 8 août, et la reine se soumet à son fils, lui demandant la paix. Elle est signée le 13. Les ducs d’Épernon et de Mayenne, chefs de la révolte, se soumettent également. Depuis la mort de Henri IV, l’édit de Nantes n’était plus observé ; d’atroces persécutions se renouvelaient contre les réformés. Ils sont forcés de reprendre les armes pour défendre leur vie. La place forte du protestantisme était toujours La Rochelle ; les chefs huguenots s’y retirent, organisent la résistance de leur parti et tentent de nouveau de se fédérer républicainement. Ils divisent en huit cercles ou États les provinces où ils sont en majorité, nomment un chef pour diriger le mouvement de chaque cercle, et au jour convenu, ils se lèvent en armes contre la royauté. Le duc de Rohan, choisi pour commander le haut Languedoc et la Guyenne, entre en campagne, ainsi que son frère, le duc de Soubise. Louis XIII et de Luynes, son favori, devenu connétable, investissent Montauban, le 18 juin ; mais après trois mois de siège et des pertes considérables, l’armée royale bat en retraite devant le duc de Rohan, nommé généralissime des Églises réformées. Il semblait avoir hérité du génie militaire et des vertus de Coligny. Enfin, après plusieurs victoires, les huguenots obtiennent, par la force, le rétablissement de l’édit de Nantes, conservent leurs places de sûreté : Montauban et La Rochelle ; à ces conditions, ils déposent les armes et signent la paix, le 9 octobre 1623. Cette paix ne devait pas être de longue durée ; les protestants allaient avoir à combattre l’un de leurs plus redoutables ennemis, non pas au point de vue religieux, car ce prêtre, non plus que Henri IV, se souciait aussi peu de la messe que du prêche, mais il se souciait fort du côté politique et républicain du protestantisme ! Cet homme redoutable était Armand Duplessis, CARDINAL DE RICHELIEU, appelé au conseil de Louis XIII depuis deux ans à peine, et déjà devenu, d’évêque de Luçon, prince de l’Église et premier ministre. Amant de Marie de Médicis, ainsi que l’avait été Concini, le cardinal de Richelieu devait à la dépravation de cette reine le commencement de la prodigieuse fortune qu’il couronna par son génie ; génie incomplet, souvent aveugle, hautain, inexorable, irascible, pervers, mais puissant… Doué d’un empire absolu sur lui-même, d’une volonté de fer, d’une sagacité profonde, confiant en lui, méprisant les hommes, diplomate habile et tortueux, négociateur souterrain et corrupteur, sans scrupule sur le choix ou la nature des expédients, et, comme Louis XI, capable d’atrocités, non par cruauté native, mais par calcul d’intérêt politique ou particulier ; fastueux et cupide, avide et prodigue, pillant sans honte et à ce point le trésor public, qu’à sa mort il laissa deux cents millions à ses héritiers, le cardinal de Richelieu, maître de la France, voulait, à sa manière, au moins autant par orgueil personnel que par patriotisme, la grandeur du pays qu’il gouvernait despotiquement. Il fut le plagiaire des vastes projets de Sully et d’Henri IV ; mais en cela seulement qu’il poursuivait par la guerre l’abaissement de l’Empire et de l’Espagne. Là s’arrêta son inflexible et étroite ambition ; ce prêtre sans foi, cet homme sans mœurs, cet égoïste au cœur de roc, ce sceptique contempteur de l’humanité, ce politique à courtes ailes, était incapable de s’élever à la hauteur de la féconde et sublime pensée de Sully, qui, dans cet abaissement de l’Espagne et de l’Empire, puissances si longtemps ennemies et rivales de la France, voyait, non point une coûteuse et stérile satisfaction d’amour-propre national, mais l’unique moyen d’assurer à l’avenir la paix, la liberté, l’union, la richesse, la prospérité de l’Europe, en la sauvegardant désormais des ruineuses horreurs de la guerre, par la fondation de LA RÉPUBLIQUE CHRÉTIENNE, dont le conseil fédéral et suprême devait pacifiquement arbitrer toutes les questions que la force des armes avait jusqu’alors décidées parmi les peuples. Le cardinal de Richelieu déchaîna d’interminables guerres sur l’Europe, épuisa le sang du pays, l’écrasa d’impôts, l’appauvrit, sans d’autre but que le triomphe éphémère des armes de la France, appuyée d’alliances incertaines et sans lendemain. Funeste triomphe ! La défaite resserrait les liens des vaincus, leurs rancunes éternisaient les motifs ou les prétextes de nouvelles guerres, que Sully et Henri IV eussent conjurées en leur opposant de nombreux et redoutables États, indissolublement confédérés au nom de leurs plus chers intérêts.

Le cardinal de Richelieu voulut, louable tentative, imprimer un vif élan au commerce, à la marine, à l’industrie, à l’agriculture, suivant encore l’exemple de Sully ; mais dans le système de ce grand homme, tout était logique : il savait que la paix peut seule assurer le développement de l’industrie, du commerce, de l’agriculture ; enfin, il voulait à tout prix la paix, même au prix d’une dernière guerre européenne, tandis que, dans la bataille, le cardinal de Richelieu ne cherchait que les fanfares sonores de la gloire militaire, dont s’enivrait son orgueil. Il est cependant une œuvre utile, considérable, qu’il accomplit admirablement, et seul il pouvait l’accomplir. Son despotisme ombrageux, son implacable jalousie de tout pouvoir rival du sien, sa haine féroce contre ceux qui voulaient attenter ou résister à son autorité, le prédestinaient à combattre, à anéantir l’esprit de rébellion des seigneurs, des gouverneurs royaux et des princes du sang, qui, depuis tant d’années, reconstituaient une féodalité nouvelle et plongeaient le pays dans les désastres de la guerre civile, en prenant les armes lorsque le pouvoir royal se refusait à reconnaître leurs prétentions souveraines ou de satisfaire leur cupidité.