Le cardinal de Richelieu leur prouva que toute attaque à l’autorité royale, en lui personnifiée, entraînerait pour les rebelles la mort… si haut placé que fût le coupable… fût-il né sur les marches du trône… Il frappa donc les grands de terreur, les écrasa sous son terrible niveau ; la tête de plusieurs d’entre eux tomba sur l’échafaud. C’était justice ! Mais ce prêtre, dans l’aveugle vertige de son inflexible despotisme, n’admit aucune différence entre la rébellion du seigneur qui veut continuer de tyranniser, de piller impunément les faibles, et la légitime révolte d’hommes paisibles, industrieux, que la défense de leurs droits, de leur liberté, de leur foi, de leur vie et de celle de leur famille poussent à une résistance légitime et sainte ! Oui, le cardinal de Richelieu voyait un crime dans leur révolte contre un pouvoir qui, au mépris des édits, leur voulait imposer une croyance qui n’était pas la leur ou s’opposer arbitrairement à l’exercice de leur culte, reconnu par les lois. Ainsi fut-il de la haine de Richelieu à l’égard des huguenots. Il les abhorrait, les redoutait, non en raison de leur hérésie, mais en raison de leur esprit républicain, né de la doctrine du libre examen. Le cardinal, résolu d’anéantir le protestantisme, met, en 1627, le siège devant La Rochelle, place forte des réformés ; ils se préparent à soutenir ce nouveau siège avec la même vaillance que nos pères lors du siège de 1573. Ils veulent élire pour maire le capitaine GUITON, corsaire intrépide ; il refuse, on insiste ; alors, tirant son poignard : « – Vous le voulez ? Je serai maire ; mais à la condition qu’il me sera permis de poignarder le premier qui proposera de se rendre, et que l’on me poignardera moi-même si j’ose de capituler. Ce poignard restera sur la table du conseil de la ville jusqu’à la fin du siège. » – Guiton fut fidèle à sa parole. La force défensive de La Rochelle consistait surtout, vous vous le rappelez, fils de Joel, dans la libre communication du port avec l’Océan ; la cité pouvait ainsi, toujours ravitaillée, échapper au blocus, et, de plus, recevoir des munitions, des renforts, envoyés par les protestants d’Angleterre. Richelieu entreprit une œuvre jusqu’alors inouïe : isoler La Rochelle de la mer en fermant sa rade par une jetée gigantesque, construite hors de la portée du canon des assiégés ; en outre, du côté de terre, le cardinal établit autour de la ville une immense ligne de circonvallation, renforcée de tours et de redoutes, aussi solidement édifiée que les murailles d’enceinte d’une place forte. Ainsi, complètement bloqués par terre et par mer, les Rochelois sont peu à peu réduits à une horrible famine. La flotte anglaise tente vainement, à deux reprises, de démolir, à coups de canon, la jetée qui fermait le port : les vaisseaux anglais s’éloignent, abandonnant La Rochelle à son terrible sort. Le maire Guiton conservait un courage indomptable. Plus de douze mille personnes étaient mortes de faim depuis le commencement du siège. « – Pourvu qu’il reste moi ou un autre pour garder les clefs de la ville, cela suffit, » – disait le capitaine Guiton. Il poignarda, selon qu’il en avait pris l’engagement, il poignarda un échevin qui proposait de rendre la ville, et opposa un refus invincible aux offres de capitulation, indigne de l’honneur des Rochelois, ainsi qu’avaient fait nos pères en 1573 !… L’armée du cardinal fut aussi impitoyable aux prisonniers que le fut jadis celle de Charles IX ! Le lâche, le cruel Louis XIII se divertissait à regarder, du haut d’une fenêtre, les blessés huguenots, laissés sans eau, malgré la chaleur caniculaire ; les mouches dévoraient les plaies de ces malheureux, et Louis XIII contrefaisait les tressaillements, les convulsions de ceux qui expiraient au milieu de ces tortures. Ayant un jour envoyé l’un de ses officiers demander des nouvelles de M. de La Roche-Guyon, alors mourant, celui-ci lui répondit : « – Dites au roi que je commencerai bientôt mes dernières grimaces ; je l’ai souvent aidé à contrefaire celles des huguenots mourants, je vais avoir mon tour. » – Enfin, après une résistance héroïque, prolongée près d’une année durant !… les rues s’encombrant de cadavres que les survivants, mourants eux-mêmes, n’avaient pas la force d’ensevelir, et qui mettaient la peste dans la ville, le maire Guiton crut pouvoir écouter sans déshonneur pour les Rochelois les propositions de Richelieu. Les envoyés protestants furent amenés au camp royal, dans les carrosses du duc de Bassompierre : leur épuisement ne leur permettait pas de marcher. Le cardinal, en leur présence, le 23 octobre 1628, écrivit de sa main cette promesse : « – L’on assure la vie aux habitants, – la jouissance de leurs biens, – le pardon de leur crime, – et le libre exercice de leur religion, dans une certaine mesure. » – Les troupes royales entrèrent dans la ville. Le temple protestant devint une église catholique ; La Rochelle, le siège d’un évêché. Les fortifications de la ville furent rasées ; – défense faite à tout habitant de détenir aucune arme ou munition de guerre. – Les huguenots, vaincus, mais non soumis, inébranlables dans leur foi religieuse et républicaine, attendirent des jours meilleurs et se préparèrent secrètement à lutter de nouveau pour la revendication de leurs droits.
En 1630, la guerre continue avec succès dans le duché de Savoie et contre l’Espagne ; Richelieu atteignait son but dans cette campagne : il assurait temporairement la suprématie militaire de la France sur l’Empire et sur l’Espagne, relevait notre influence en Italie, soit en recouvrant un passage à travers les Alpes pour nos armées, dans l’éventualité de nouveaux combats, soit en rattachant à l’alliance de la France les ducs de Savoie et de Mantoue ; succès stériles, en fin de compte, et achetés au prix de dépenses énormes et d’effroyables calamités déchaînées sur le théâtre de la guerre. On reprochait au cardinal ce désastreux triomphe, où des milliers de soldats avaient succombé à la peste, à la famine ! Malgré la terreur dont Richelieu frappait les grands, Gaston, frère de Louis XIII, se révolte en 1631, et Marie de Médicis se joint à cette nouvelle rébellion contre son fils aîné. Le cardinal établit un tribunal pour juger les complices de la reine-mère et de Gaston, duc d’Orléans ; le maréchal de Montmorency a la tête tranchée, le 16 octobre 1631. Marie de Médicis se retire à Gand. La guerre contre le duc de Lorraine continue en 1633, le roi déclare le duché de Bar réuni à la couronne. L’armée française prend Lunéville, assiège Nancy. Richelieu poursuit, en 1635, sa lutte acharnée contre l’Espagne et l’Empire ; il les attaque dans les Pays-Bas, en Allemagne, en Italie, en Catalogne. Mais l’année suivante, la France est à son tour envahie. Les Espagnols, sous les ordres de Piccolomini et de Jean de Vert, s’emparent de la Capelle, de Catelet et de Corbie ; le duc Charles de Lorraine et le général espagnol Galas pénètrent au cœur de la Bourgogne, y portent le ravage, tandis que l’amiral d’Aragon s’empare de Saint-Jean-de-Luz. Une nouvelle campagne s’ouvre en 1637 ; la France reconquiert plusieurs des villes qu’elle avait perdues.
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