Le 5 septembre 1638, Anne d’Autriche, femme de Louis XIII, met au monde un fils, qui régna sous le nom de Louis XIV. La guerre contre l’Espagne et l’Empire persévère, mêlée de succès et de revers ; la misère publique est à son comble. En 1639 éclate une nouvelle Jacquerie, celle des Pieds-Nus ou Va-nu-Pieds, ayant, ainsi que le soulèvement des Croquants, sous le règne de Henri IV, une horrible détresse pour cause ! Le maréchal de Gassion est envoyé contre les insurgés ; ils sont exterminés près d’Avranches, après une résistance désespérée. Le Roussillon tombe au pouvoir des Français, en 1642 ; mais les Espagnols restent vainqueurs dans les Pays-Bas. La reine Marie de Médicis meurt, le 5 juillet 1642, à Cologne, et Richelieu meurt, à Paris, le 4 décembre de la même année, après avoir réjoui son agonie par le supplice de Cinq-Mars, grand-écuyer, et de M. de Thou, accusés de complot contre l’État. À la mort du cardinal, qui, disait-il lui-même, couvrait tout de sa grande robe rouge, disposait en maître du trésor de l’État, tenait les clefs des prisons et dressait les échafauds, l’allégresse générale fut aussi grande que la terreur avait été profonde. L’indignation publique fut à son comble lorsqu’on apprit que Richelieu laissait plus de deux cents millions d’héritage, dont une grande partie revenait à sa nièce, la duchesse d’Aiguillon, avec qui ce prêtre entretenait un commerce adultère et incestueux. Le 14 mai 1643, Louis XIII meurt, à l’âge de quarante-deux ans. Ce roi fainéant, dont Richelieu fut le maire du palais, laisse deux fils d’Anne d’Autriche : Louis XIV, né le 5 septembre 1638, et Philippe, duc d’Orléans, né le 21 septembre 1640.
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Louis XIV, ayant succédé à la couronne, le 14 mai 1643, à l’âge de quatre ans, est respectueusement porté au Parlement, dans les bras de son gouverneur, et ce marmot, selon l’antique usage des monarchies et au mépris du sens commun, de la dignité des peuples, tient ce qu’on appelle : son lit de justice, après quoi la régence est dévolue à ANNE D’AUTRICHE, non moins dissolue que sa belle-mère, Marie de Médicis. Un prélat italien, souvent employé par Richelieu à des négociations délicates, et nommé MAZARIN, était alors l’amant d’Anne d’Autriche. Souple, habile, rusé, sans foi ni loi, débauché jusqu’à la crapule, orgueilleux, insolent, plus avide, plus cupide encore, s’il est possible, que le cardinal son maître, mais sans vues, sans portée, sans grandeur, et suppléant ou croyant suppléer à tout par l’astuce et par l’intrigue, ce Mazarin, faux, perfide, insinuant, visant surtout à se créer des partisans, en gagnait autant par d’adroites flatteries que par ses largesses. Toujours jaloux de détacher de la reine ceux dont il redoutait l’influence, il ne reculait devant aucune noirceur afin d’amener leur disgrâce. Doué d’ailleurs de beaucoup d’esprit et d’une prodigieuse aptitude au travail, il possédait l’art de rendre lucides et attrayantes pour la reine les affaires d’État dont il la devait entretenir, à son double titre d’amant et de premier ministre. Anne-Marie d’Autriche, née le 22 septembre 1602, avait quarante et un ans à la mort de Louis XIII. Grande, belle et bien faite, indolente, lubrique et dévote, orgueilleuse, jalouse et hautaine, elle regardait comme un outrage à sa royale majesté la moindre entrave à l’absolutisme royal. Louis XIII, ou plutôt Richelieu en mourant, avait limité sagement l’autorité de la régente ; ces mesures la révoltèrent, non qu’elle voulût exercer le pouvoir par elle-même, sa paresse et le temps que réclamaient ses galanteries ne lui permettaient guère de régner effectivement ; mais elle voulait déférer le pouvoir à ses créatures. En 1643, la guerre engagée par Richelieu contre l’Empire et l’Espagne se poursuit souvent avec succès, grâce au génie militaire de M. de Turenne et du prince de Condé ; mais le poids des impôts et la misère deviennent si intolérables en France, qu’en 1644 Jacques Bonhomme se révolte de nouveau. Les paysans du Rouergue, du Dauphiné, se soulèvent ; cette insurrection s’étend, prend des proportions formidables ; mais soldats et bourreaux font justice de ces nouveaux Jacques, poussés à bout par l’excès de leurs maux. Enfin, après de longues et ruineuses guerres, la paix est signée à Munster, le 24 octobre 1648, entre la France et les autres parties belligérantes. Cette même année, le royaume de Naples, las du joug affreux des Espagnols, se révolte contre eux, les chasse après des prodiges de bravoure et, sachant ce que l’on doit attendre des royautés, s’érige en république. Cette même année 1648, l’un des plus puissants peuples du monde, l’Angleterre, cite son roi, CHARLES Ier, à la barre de la chambre des Communes, en vertu de la souveraineté du peuple, instruit le procès de ce monarque, le juge, le condamne légitimement à mort, fait exécuter la sentence, et s’érige aussi en république, sous le protectorat d’Olivier Cromwell. Vous le voyez, fils de Joel, l’antique esprit républicain, dont la renaissance date du siècle passé, où la réforme religieuse a affirmé le droit de libre examen, l’esprit républicain, après avoir laissé en France des racines profondes, assuré l’indépendance des sept Provinces-Unies de Hollande, dont la grandeur et la richesse vont toujours croissant, se propage, s’étend, devient de plus en plus pratique en ce siècle-ci… Pourtant, – malgré ces enseignements redoutables pour les porte-couronne, malgré l’exemple foudroyant du peuple anglais qui, résolu de se soustraire à une tyrannie séculaire, révoltante pour sa dignité, funeste à ses plus chers intérêts, juge et frappe son roi, redevient maître de ses destinées en proclamant la république, le gouvernement des peuples libres, forts et éclairés, – Anne d’Autriche, au lieu de tressaillir au bruit de la hache sous laquelle tombe la tête de Charles Ier, son frère en royauté, Anne d’Autriche, par ses prodigalités, son altier despotisme, son insolent mépris pour les misères de la France, arrivées à leur comble, allait provoquer de nouvelles guerres civiles durant cette même année 1648 ; l’énormité des impôts ruinait le commerce, l’agriculture, l’industrie, en affamant le peuple des villes, en écrasant les paysans, dont on vendait les chevaux et le bétail ; la gabelle le forçait d’acheter le sel comptant, lorsque la capitation lui enlevait son dernier sou, afin de subvenir aux prodigalités de la cour. Le croirait-on, en cette année 1648, tandis que toutes les classes laborieuses, productrices, étaient épuisées, pressurées par le fisc, la reine dépensait cent mille écus pour bâtir l’Opéra au Palais-Royal ! Depuis plus d’un demi-siècle, la royauté ne convoquait plus les États généraux. Leurs dernières assemblées, sous le règne de Henri III, de plus en plus imbues de l’esprit républicain, avaient déclaré que les rois n’étaient que les présidents des États généraux, et qu’il fallait procéder envers le pouvoir royal, non plus par suppliques, mais par résolutions. La royauté se débarrassa donc de ces surveillants incommodes en ne les convoquant plus, et frappant les impôts sous son bon plaisir. Cependant, il restait une ombre de représentation nationale, à savoir : les parlements, chargés d’enregistrer les édits, ce à quoi, en 1648, le parlement de Paris ne voulut consentir que sous de graves réserves, effrayé des ruineuses dépenses de la reine et de ses créatures. Furieuse colère à la cour ! Anne d’Autriche, révoltée de ce que ces canailles de robins hésitent à enregistrer les édits, se rend au Parlement (le 15 janvier 1648), accompagnée de son fils, le jeune roi Louis XIV, persuadée qu’intimidées par la majestueuse et royale présence de leurs souverains, ces récalcitrantes canailles du Parlement n’oseront refuser d’enregistrer purement et simplement les cinq édits bursaux nécessaires à remplir le trésor, complètement à sec. Ainsi dit, ainsi fait. Le roitelet, nourri, embecqué du despotisme maternel, et déjà aussi insolent que rogue, se rend en grande pompe au Parlement avec Anne d’Autriche ; celle-ci, le front menaçant, le sourcil froncé, l’altitude olympienne, prend un masque de Junon courroucée, pendant que le chancelier du roi expose les besoins de son sire. OMER TALON, avocat général du Parlement, répond simplement, dignement, ces nobles et austères paroles, adressées au roitelet :
– Il y a dix ans, sire, que la campagne est ruinée, les paysans réduits à coucher sur la paille, leurs meubles vendus pour le payement des taxes, qu’ils sont incapables de payer et qui servent à entretenir le luxe de Paris ; des millions de malheureux sont obligés de se nourrir de pain de son et d’avoine.
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