– Notre société porte le nom des jacobins amis de la Constitution ! La constitution reconnaît la royauté ! – Nous avons juré obéissance à la loi !

L’orateur des cordeliers attend que l’agitation soit apaisée ; puis il poursuit ainsi la lecture de l’adresse à l’Assemblée :

« – Législateurs ! vous aviez investi Louis XVI d’un pouvoir démesuré… vous aviez de nouveau consacré la tyrannie en instituant un roi inamovible, inviolable… héréditaire ! »

– Non, non ! – exclament violemment les jacobins. – Le roi ne peut plus être un tyran ; – il n’est que le représentant héréditaire de la nation ; – il est soumis à l’Assemblée nationale !

– Mais, citoyens, puisque l’individu royal s’est sauvé en injuriant, en reniant la constitution ! – réplique un auditeur des tribunes, – la royauté est donc déchue de fait, sacrebleu !

– C’est vrai !… – répétèrent les tribunes en applaudissant. – Il ne nous faut plus de rois ! – il y en a assez ! – il y en a trop ! puisqu’on en parle encore ! !

– Citoyen orateur, – s’écrie un membre des jacobins s’adressant au cordelier, – vous outragez la constitution… et nous avons juré de la défendre jusqu’à la mort !

– Lisez… lisez… – reprennent d’autres membres du club s’adressant à l’orateur des cordeliers ; il continue ainsi :

« – Les bons citoyens ont gémi de la renaissance d’une royauté qu’ils croyaient à jamais anéantie par la déclaration des droits de l’homme.

» Les opinions se sont violemment heurtées ; mais la loi existait, nous lui avons obéi, attendant notre salut du progrès des lumières et de la philosophie.

» Les temps sont changés. LOUIS, par sa fuite, abdique la royauté… il n’est plus rien pour nous, sinon un ennemi… Nous voici donc ce que nous étions le jour de la prise de la Bastille, libres et sans rois ! »

Ce langage mâle, concis, logique, qui entrait si profondément dans le vif de la question, et répondait si bien et si juste aux aspirations et aux instincts du peuple, qui n’avait durant cette soirée que marché de déceptions en déceptions, excite par cela même chez lui un indicible enthousiasme. Un tonnerre d’applaudissements succède aux dernières paroles de l’orateur des cordeliers. Elles sont répétées dans les tribunes qui, se levant par un mouvement spontané, s’écrient tout d’une voix :

– Oui, oui… restons libres et sans rois !

– À bas les factieux des tribunes ! – À bas les anarchistes ! – s’écrie un Jacobin exaspéré.

– Nous, des anarchistes ! nous, des factieux ! ! – répond d’un accent de reproche amer et courroucé un citoyen placé près de Victoria. Celle-ci, effrayée ainsi que moi des conséquences déplorables que pouvait avoir pour la révolution une scission entre le peuple et les jacobins, ses amis dévoués malgré leur erreur d’un jour, se retourne vers les tribunes et d’une voix à la fois touchante et sonore :

– Je vous en adjure, citoyens ! au nom de la sainte patrie, notre mère ! restons fraternellement unis ! Notre désaccord, à qui profiterait-il ? À nos ennemis… Ah ! vous le savez, la révolution n’a pas de soldats plus dévoués que les jacobins et les cordeliers ! Ils marchent vaillamment vers le même but par des voies différentes : l’une plus rapide, l’autre plus prudente peut-être… Qu’importe ! L’avenir n’est-il pas à nous ? L’avenir décidera qui se trompe ! Mais le passé vous prouve que cordeliers et jacobins ne peuvent s’égarer que par patriotisme !

Ces sages et conciliantes paroles de Victoria, son émotion, sa beauté, produisent une vive impression sur les tribunes ; leur irritation momentanée s’apaise, et ces cris s’élèvent presque instantanément : – Vivent les jacobins ! – Vivent les cordeliers ! – Vive la nation !

Malgré ce patriotique élan de concorde et de fraternité soulevé par les paroles de Victoria, les jacobins à tort, à grand tort, il est vrai, mais consciencieusement persuadés de la dangereuse inopportunité de la pétition des cordeliers, persistent, à ce sujet, dans leur attitude hostile, et ne dissimulent pas leur impatience lorsque l’orateur du club rival poursuit ainsi la lecture de l’adresse à l’Assemblée nationale :

« – Législateurs ! Nous sommes pénétrés de la vérité de ce principe, que la royauté héréditaire est incompatible avec la liberté des peuples… Nous venons vous demander, vous conjurer, au nom de la patrie, de déclarer que la France n’est plus une monarchie, et qu’elle se constitue en RÉPUBLIQUE !… »

Ces derniers mots exaltent à son comble l’irritation des jacobins ; leurs cris, leurs interpellations adressées à l’orateur des cordeliers, couvrent les applaudissements frénétiques des tribunes. Le tumulte devient inexprimable. Le président du club fait longtemps et en vain retentir sa sonnette. Enfin l’orage s’apaise peu à peu, et le président, d’une voix ferme qui domine les dernières rumeurs, dit à l’Assemblée :

« – Citoyens, il me paraît inutile de s’appesantir sur l’objet de la pétition des cordeliers dont vous venez d’entendre la lecture. Vous êtes les défenseurs de la constitution : je propose donc de repousser, par l’ordre du jour, la pétition des cordeliers. »

L’assemblée entière se lève pour l’ordre du jour, et le citoyen Gorguereau s’écrie avec indignation :

« Je déclare, moi, que l’adresse des cordeliers est une scélératesse ! »

– Oui, oui, – répètent grand nombre de jacobins, tandis que l’orateur des cordeliers descend de la tribune profondément attristé, mais calme et digne, quitte la salle du club avec la députation dont il a été accompagné. Danton, soit qu’il eût attendu la réponse de La Fayette à ses véhémentes apostrophes pour s’exprimer ensuite sur les événements du jour avec sa décision et son énergie habituelles, soit qu’il reconnût tardivement l’immense parti que les constitutionnels devaient tirer de l’inconcevable attitude des révolutionnaires en présence de la fuite de Louis XVI, s’élance à la tribune aussitôt après le départ de la députation des cordeliers :

« – Un dernier mot, citoyens, – dit Danton, – l’individu déclaré roi des Français, après avoir juré la constitution, s’est enfui… et l’on prétend qu’il n’est pas déchu de sa couronne ?… »

– Non, non ! – s’écrient quelques jacobins. – La déchéance de Louis XVI n’entraînerait pas d’ailleurs l’abolition de la royauté, – ajoutent d’autres membres du club, – la royauté est écrite dans la constitution !

– Mais Louis Capet a déserté avec son mioche ! Toute la famille royale a émigré par-dessus le marché ! Où diable voulez-vous donc, citoyens jacobins, aller pécher ce produit héréditaire et heureusement rare qu’on appelle : un roi ? – crie un bonnet rouge des tribunes.

Cette question d’un bon sens très-embarrassant est couverte des murmures des jacobins, et Danton continue ainsi :

« – N’oublions pas que l’individu déclaré roi des Français a signé un écrit dans lequel il déclare sa volonté de détruire la constitution. L’Assemblée, en ce cas, doit, si le fugitif lui est ramené, lui présenter le manifeste signé de sa main et laissé par lui en partant ; or, si Louis Capet reconnaît cet écrit comme émanant de lui… certes, ce roi est criminel, à moins qu’on ne le répute imbécile. Donc, un individu, convaincu de crime ou d’imbécillité, ne peut plus être roi… En ce cas, ce n’est pas un régent qu’il vous faut pour le remplacer, mais un conseil à cet interdit Louis Capet ! Ce conseil peut-il être pris dans l’Assemblée nationale ? Évidemment non ! puisque la constitution a séparé le pouvoir exécutif du pouvoir législatif… Je demande donc que les départements s’assemblent, et chacun d’eux nommera un électeur. Ces électeurs choisiront les dix ou douze membres qui devront composer le conseil exécutif. Il sera changé tous les deux ans, lors du renouvellement de la législature et… »

Danton est violemment interrompu par les murmures, les interpellations des jacobins, qui objectent avec raison (à leur point de vue) qu’un gouvernement composé d’une Assemblée législative et d’un conseil exécutif électif et temporaire est essentiellement républicain, tandis que la constitution qu’ils ont juré de défendre est monarchique. Danton, malgré ses efforts opiniâtres, est forcé d’abandonner la tribune, convaincu de l’impossibilité d’arracher les jacobins à leur erreur aussi consciencieuse qu’elle est funeste à la révolution, et que je me suis ainsi expliquée : l’immense majorité des jacobins appartient à la bourgeoisie, et, quoique révolutionnaires, ils partagent encore les défiances, les préjugés de leur caste au sujet du gouvernement républicain, gouvernement essentiellement populaire et dont la portée sociale inquiète ou effraye la bourgeoisie, plus ou moins jalouse de ses privilèges et qui règne de fait, moyennant un roi constitutionnel.

La nuit s’écoulait, le peuple des tribunes, fatigué, consterné de ces débats qui contrariaient si profondément ses aspirations, ne conservant plus le moindre espoir dans les résultats de cette séance, subissant enfin par l’habitude, et quoique en ce jour il se révoltât contre elle, l’influence des jacobins, dont il ne pouvait suspecter le patriotisme ; le peuple, se disant avec sa naïve modestie et sa confiance généreuse que, sans doute, ses instincts républicains le trompaient, ainsi que les cordeliers, quitta tristement la salle des Jacobins. Le vœu que nous entendîmes émettre, Victoria et moi, par différents groupes cheminant autour de nous, fut « que les commissaires, si malheureusement dépêchés par l’Assemblée à la recherche du roi fuyard, auraient le bonheur de ne pas le rejoindre ou l’intelligence de le laisser gagner le territoire étranger ; là, il resterait parmi les autres émigrés ses complices. – En ce cas, disait-on, l’Assemblée sera bien forcée de proclamer la république, à moins qu’elle ne proclame LA FAYETTE Ier, roi des Français et des bleuets. » (Allusions à la couleur de l’uniforme des gardes nationales)

Il faut cependant le dire en toute sincérité, fils de Joël, les événements n’ont que trop prouvé la sûreté de l’instinct du peuple et des cordeliers. Il est certain que si, ensuite de la fuite de Louis XVI, l’abolition de la monarchie et l’avènement de la république eussent été proclamés le 21 juin 1791, par une Convention nationale élue à cet effet sur la motion de l’Assemblée constituante (ainsi qu’il en advint forcément le 21 septembre de l’année suivante), de grands malheurs auraient été épargnés à la révolution, entre autres : – le massacre du champ de Mars, – la journée du 10 août, – l’invasion des frontières par l’ennemi, invasion due à l’inertie ou à la trahison des généraux royalistes, trahison infâme, qui exaspéra la fureur populaire jusqu’au vertige et fut l’une des causes les plus décisives des déplorables et terribles vengeances exercées dans les prisons les 2 et 3 septembre ; ainsi encore l’on eût évité le procès, le jugement et l’exécution de Louis Capet, exécution cependant impolitique aux yeux de plusieurs excellents révolutionnaires dissidents de la majorité de la Convention ; en cette circonstance suprême, ils prétendaient (à tort selon l’opinion de la majorité, opinion que je partage), ils prétendaient que frapper de mort Louis Capet, quoiqu’il fût convaincu du crime de lèse-nation à la face du monde, était changer le criminel avéré en martyr… et qu’il eût été préférable de le bannir à perpétuité… Quoi qu’il en soit, sa déchéance et sa libre émigration en juin 1791, suivies de la proclamation de la république, auraient épargné la nécessité de ce procès, et surtout, malheur irréparable, la division fratricide, insensée, qui éclata bientôt entre les conventionnels régicides (ils s’honoraient de ce titre) et les conventionnels qui demandaient l’emprisonnement de Louis Capet jusqu’à la paix ; ensuite de quoi il serait, lui et sa famille, banni à perpétuité. Hélas ! fils de Joël, ainsi que vous venez de le voir par cette séance des Jacobins, au sujet de laquelle je me suis appesanti à dessein dans ce journal, hélas ! l’humanité est ainsi faite, que les hommes apportent fatalement l’intraitable absolutisme de leurs passions jusque dans ces nobles rivalités de convictions tendant également à un but sublime ! Les fractions du parti révolutionnaire, incarnées dans leurs chefs, ne pourront dépouiller leur personnalité… leur orgueil ! disons mieux, disons plus équitablement, ne pourront, en leur âme et conscience, abdiquer leur inexorable certitude d’être appelés, eux seuls, à maintenir, à défendre ou à sauver la chose publique. En cela céderont-ils à une basse, à une coupable jalousie de leurs rivaux, patriotes sincères, désintéressés, dévoués ? Non… ils obéiront à cette conviction généreuse, mais parfois aveugle, qu’eux seuls possèdent la vérité ; qu’eux seuls possèdent les moyens de salut… C’est ainsi que peu à peu, au nom de ce terrible principe, « LE SALUT PUBLIC, » qui souvent cache tant d’arbitraire sous son manteau sacré, les gouvernants du jour en viendront malgré eux à voir sincèrement des ennemis… des traîtres à la patrie, dans les citoyens qui auront donné, qui donneront les preuves les plus éclatantes de leur civisme, de leur dévouement à la république ! Hélas ! fils de Joël… c’est ainsi qu’au nom du salut public… redoutable enseignement !… vous verrez couler à torrents sur l’échafaud le sang glorieux et pur des grands hommes de la révolution ! Tour à tour sacrificateurs et victimes ! effroyable holocauste offert au salut de la patrie ! aberration sacrilège ! pertes irréparables ! deuil éternel ! ô patrie ! mère divine et sainte ! c’est en ton nom béni qu’ils se décimeront, tes plus chers, tes plus héroïques enfants ! La conscience de ceux qui tuent sera aussi sereine, irréprochable, que la conscience de ceux qui meurent !… Et tu couvriras de tes larmes les vaincus et les vainqueurs de ces luttes fratricides ! !

Ne l’oubliez pas, fils de Joël, cette journée du 21 juin 1791, où se prononça la scission des jacobins et des cordeliers, fut le germe de ces discordes intestines qui, depuis, allèrent toujours s’envenimant, toujours se creusant de plus en plus entre les diverses fractions du parti patriote, qui voulaient toutes sincèrement le triomphe de la révolution, et amenèrent successivement des luttes mortelles entre les constitutionnels et les républicains, les girondins et les montagnards, la commune de Paris et la Convention nationale, et causèrent enfin l’exécrable réaction du 9 thermidor, dont Robespierre et plusieurs membres du COMITÉ DE SALUT PUBLIC et du comité de sûreté générale, furent les martyrs immortels… Ils avaient du moins, par leur infatigable énergie, sauvé les conquêtes de 1789 et de 1792, terrifié les ennemis de la république et refoulé bien loin de nos frontières les tyrans étrangers ligués contre la France…

Dieu juste ! ce triomphe de la république ne pouvait-il donc s’obtenir qu’au prix du sang des géants de la révolution s’immolant les uns les autres au nom du salut public ?… Erreur funeste ! erreur impie ! Ces valeureux soldats de l’affranchissement du monde ne portaient-ils pas sur leur bannière : – LIBERTÉ, – ÉGALITÉ, – FRATERNITÉ ? – Ne devaient-ils pas se serrer en un bataillon sacré, fraternelle phalange, commandée par celui ou par ceux que le génie, l’aptitude, la nécessité du moment ou le choix du peuple portaient au commandement, et chefs ou soldats, tous pour chacun, chacun pour tous, abdiquant toute personnalité, solidaires les uns des autres, ne devaient-ils pas servir, de toutes les forces de leur esprit, de leur âme, de leur cœur, la grande cause de l’humanité, conservant ainsi entières les forces vives de la révolution ! Mais que les révolutionnaires l’aient, de leurs mains parricides, saignée aux quatre veines ! Mais que les montagnards aient envoyé les girondins à l’échafaud pour y être envoyés ensuite eux-mêmes par l’influence de la commune… et cela pourquoi… uniquement parce que celui-ci différait avec celui-là sur les moyens d’arriver à la même FIN ? Quoi ! le parti dominant aujourd’hui ne pouvait pas se borner à tenir éloigné des affaires publiques le parti dominateur hier, afin que demain la patrie le trouvât prêt à la servir… puisque, par la nature des choses, le flot de la démocratie est mobile et changeant ? Mais tuer… tuer sans relâche… et tuer… qui ?… des ennemis avérés ? Non ! des amis connus, souvent bien chers, et toujours vaillamment éprouvés au service de la chose publique ! Quoi ! faire des cadavres… des plus pures, des plus belles, des plus puissantes intelligences de ces temps homériques ? Quoi ! la révolution… tuer Camille Desmoulins, tuer Vergniaud, tuer Danton, tuer Saint-Just, tuer Robespierre ! et tant d’autres, et tant d’autres ! Quoi ! la révolution elle-même offrir cette hécatombe du génie révolutionnaire à ses ennemis éternels ! ! Ah ! ce fut un grand crime, et il eût tué la république… si elle avait été incarnée dans quelques hommes, au lieu d’être la formule la plus complète, la plus élevée du progrès humain !

Pleurez, fils de Joël, pleurez ces morts illustres ! leur crime, du moins, fut héroïque comme leur vie, comme leur trépas… ils vous ont légué les impérissables conquêtes de la révolution ; depuis longtemps ils seront cendre et poussière, tandis que, paisible, heureuse, et désormais affranchie, votre descendance jouira de leurs sanglants triomphes, consécration suprême des combats séculaires de nos aïeux !

Tenez, fils de Joël, j’ai été le témoin obscur, mais sincère, de ces luttes à jamais déplorables entre les grands hommes de la révolution, qui se frappaient tour à tour au nom de leur commun principe. Ces luttes m’ont d’abord paru inexplicables… puis je les ai comprises, grâce à cette comparaison peut-être juste, malgré son apparente frivolité… Dans la RÉPUBLIQUE, éclatant symbole de la patrie régénérée, prospère, victorieuse et libre, ils voyaient une maîtresse… Chacun la voulait à lui seul, parce que tous l’adoraient avec l’ardeur fiévreuse, égoïste, jalouse, impitoyable d’une passion effrénée, qui, ne connaissant plus ni amis ni frères, quels que soient leur mérite, leurs vertus, ne voit partout que des rivaux haïssables à la mort… par cela seulement qu’ils aiment ce que vous aimez… qu’ils désirent posséder… ce que vous possédez… tandis que vous, vous vous croyez… vous vous sentez seul capable de rendre heureux, de servir, de protéger, de défendre, de sauver l’objet de votre idolâtrie !

Oui, selon moi, telle fut la coupable erreur des grands hommes de la révolution… ils aimèrent la RÉPUBLIQUE comme une maîtresse… et ils devaient l’aimer comme une MÈRE… Oh ! s’il en eût été ainsi, quel changement ! Au lieu de ces haines farouches, mortelles, dont se poursuivent des rivaux, c’était la tendre affection qui unit les enfants d’une même famille… c’était leur généreuse émulation à servir, à protéger, à défendre une mère chérie.

Ah ! que du moins les terribles enseignements du passé, écrits avec le sang de vos immortels aïeux de la révolution, vous soient profitables, fils de Joël… ne voyez jamais que des FRÈRES dans ceux-là qui ont prouvé leur dévouement sincère à la RÉPUBLIQUE ! ! Si, à vos yeux… vos frères ont erré dans le moyen de servir la cause commune, pardonnez-leur et aimez-les toujours, au nom de la sainte fraternité ! !

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26 JUIN 1791. – Hier soir, Victoria et moi, nous avons été témoins du retour de Louis XVI à Paris. Il a été arrêté à Varennes, dans la nuit du 22 au 23 juin. Le citoyen Drouet, ancien dragon et maître de poste à Sainte-Menehould, avait, au moment où les voitures du roi fuyard relayaient dans cette ville, reconnu Louis XVI sous son déguisement de valet de chambre (la reine, munie d’un faux passe-port, voyageait sous le nom de la baronne DE KORFF et de sa suite). Le citoyen Drouet n’osa pas arrêter le fugitif à Sainte-Menehould, les voitures étant escortées par l’un des détachements de dragons et de hussards que le marquis de Bouillé, général commandant à Metz et complice de la fuite du roi, avait échelonnés sur la route depuis Paris jusqu’à la frontière ; mais Drouet, montant aussitôt à cheval avec Guillaume, l’un de ses postillons, partit à toute bride, prit un chemin de traverse, devança les voitures à Varennes, où il arriva au milieu de la nuit et donna l’alarme. La garde nationale se rassembla, et lorsque le roi et son escorte de cavalerie arrivèrent à Varennes, il fut arrêté par ordre de la municipalité de cette ville, puis ramené à Paris par les commissaires de l’Assemblée, Barnave et Pétion.

Pendant les quelques jours qui s’écoulèrent entre la fuite du roi et son retour forcé à Paris, les diverses nuances de l’opinion se sont vivement manifestées. Ainsi, à l’Assemblée nationale, deux cent soixante dix royalistes ont protesté contre les décrets suspensifs du pouvoir royal, arrêts attentatoires à l’inviolabilité de la personne SACRÉE du roi, selon les royalistes purs.