– Il n’y avait point de lois qui m’empêchassent de faire ce que j’ai fait.

LE PRÉSIDENT. – Vous avez fait marcher une armée contre Paris, vos soldats ont fait couler le sang des citoyens ; vous n’avez fait éloigner cette armée qu’après que la prise de la Bastille vous eut appris la victoire de l’insurrection ; vos discours tenus les 9, 12 et 14 juillet 1789, aux diverses députations de l’Assemblée nationale, témoignent de vos intentions, et les massacres de Paris déposent contre vous. Louis, qu’avez-vous à répondre ?

LOUIS XVI. – J’étais, dans ce temps-là, le maître de faire marcher les troupes, mais je n’ai jamais eu l’intention de répandre le sang…

L’hypocrisie et la cruelle bêtise de cette réponse causent de nouvelles rumeurs. Ainsi Louis XVI déclare avoir, selon son droit, fait marcher ses troupes contre les citoyens (massacrés par elles, entre autres, aux Tuileries par les dragons du ci-devant prince de Lambesc) ; mais Louis XVI n’avait pas, dit-il, l’intention de répandre le sang ! !… Les rumeurs cessent au bruit de la sonnette du président ; il continue en ces termes :

– Louis, après ces événements, et malgré vos promesses réitérées, le 15 juillet à l’Assemblée, le 17 à l’Hôtel de Ville, vous avez poursuivi vos projets liberticides, éludé l’exécution des décrets du 11 août 1789, qui abolissent la servitude personnelle, la dîme et le droit féodal ; vous avez refusé de reconnaître la déclaration des droits de l’homme, vous avez augmenté le nombre de vos gardes du corps et appelé à Versailles des régiments étrangers ; des orgies ont eu lieu dans votre palais sous vos yeux ; la cocarde nationale a été foulée aux pieds, la cocarde blanche arborée, la nation blasphémée. Vous avez provoqué une nouvelle insurrection, occasionné la mort de plusieurs citoyens, lors des 5 et 6 octobre 1789 ; et la défaite de vos gardes a seule pu vous faire changer de langage et renouveler vos promesses perfides. Louis, qu’avez-vous à répondre ?

LOUIS XVI. – J’ai fait, sur les décrets, des observations que j’ai crues justes ; quant à la cocarde, c’est faux ; cela ne s’est pas passé devant moi.

LE PRÉSIDENT. – Vous aviez solennellement prêté, à la fête de la fédération, le 14 juillet 1790, un serment que vous n’avez pas tenu. Bientôt vous avez tenté de corrompre l’esprit public à l’aide de Talon, qui agissait dans Paris, et de Mirabeau, qui devait imprimer aux provinces un mouvement contre-révolutionnaire ; ces faits résultent d’un mémoire de Talon apostillé de votre main, et d’une lettre de Laporte du 19 avril 1790, où il vous disait que les millions dépensés par vous à cet effet n’avaient rien produit. Louis, qu’avez-vous à répondre ?

LOUIS XVI. – Je ne me rappelle pas ce qui s’est passé dans ce temps-là ; mais le tout est antérieur à mon acceptation de la constitution.

L’Assemblée et les tribunes avaient dominé leur dégoût en entendant Louis XVI nier impudemment sa présence aux orgies de Versailles, alors que, de notoriété publique, il était entré dans la salle de spectacle du château, théâtre de l’orgie, accompagné de la reine et du dauphin, au moment où les gardes du corps et les officiers des régiments étrangers, échauffés par le vin, tirant leurs épées, avaient proféré les cris de : Vive le roi ! À bas la cocarde nationale ! et vociféré contre l’Assemblée nationale des menaces sanguinaires ; mais lorsque l’on entendit Louis XVI répondre à l’énonciation de faits précis, prouvés par des lettres apostillées de sa main : – Je ne me rappelle pas ce qui s’est passé dans ce temps-là, – l’indignation universelle éclata ; elle s’apaisa cependant, et l’interrogatoire se poursuivit ainsi :

LE PRÉSIDENT. – Dès longtemps vous aviez médité un projet de fuite ; il vous a été remis à ce sujet un mémoire sur les moyens à employer ; vous l’avez annoté de votre main. Louis, qu’avez-vous à répondre ?

LOUIS XVI. – Je ne me rappelle pas ce mémoire-là.

LE PRÉSIDENT. – Louis, le 21 juin 1790, vous avez pris la fuite avec un faux passe-port ; vous laissiez en partant une déclaration contre la Constitution, vous défendiez aux ministres de signer les décrets rendus par l’Assemblée. La force publique devait protéger votre fuite et votre trahison. Bouillé, naguère coupable du massacre des patriotes de Nancy, commandait ces troupes ; ces faits sont prouvés par le mémoire du 23 février 1790, annoté de votre main ; par votre déclaration du 20 juin, tout entière de votre écriture ; par votre lettre du 7 septembre à Bouillé et par une note de celui-ci, où il vous rend compte de l’emploi des 993.000 livres données par vous et employées à la corruption des troupes qui devaient vous escorter. Louis, qu’avez-vous à répondre ?

LOUIS XVI. – Je me réfère, quant à mon voyage de Varennes, à ce que j’ai dit aux commissaires en ce temps-là.

LE PRÉSIDENT. – Après votre arrestation à Varennes, vous avez continué à conspirer. Le 17 juillet 1790, le sang des citoyens a coulé au champ de Mars. Une lettre de votre main, écrite en 1790 à La Fayette, prouve l’existence d’une coalition criminelle entre vous, La Fayette et Mirabeau. Vous avez payé des libelles, des pamphlets, destinés à discréditer les assignats, à soutenir la cause des émigrés ; les registres de Septeuil indiquent quelles sommes énormes vous avez employées à ces manœuvres liberticides. Louis, qu’avez-vous à répondre ?

LOUIS XVI. – Ce qui s’est passé le 17 juillet 1790 au champ de Mars ne me regarde point. Quant au reste, je n’en ai aucune connaissance.

L’Assemblée, obéissant au sentiment de respect que des juges se doivent à eux-mêmes, et respectant aussi le droit sacré de la libre défense, se contint en entendant Louis XVI s’opiniâtrer dans son système de lâches mensonges et d’impudente négation des faits les plus avérés, les plus flagrants, et répondre d’un ton sec « que ce qui s’était passé au champ de Mars ne le regardait point ! » Dieu juste ! des hommes inoffensifs, des vieillards, des femmes, des enfants massacrés, parce que, paisiblement assemblés selon leur droit, ils avaient signé une pétition demandant sa déchéance à lui, Louis XVI, et ce massacre ne le regardait point ! Quoi ! pas un mot de compassion pour les innocentes victimes de ce carnage ! Les patriotes des tribunes, moins réservés que les conventionnels, éclatent en imprécations contre Louis XVI ; mais quelques dignes paroles du président les rappellent au silence, et le calme se rétablit.

LE PRÉSIDENT. – Louis, le 24 septembre 1791, vous avez juré la Constitution, et dès lors vous avez incessamment conspiré pour la renverser. Une convention avait été signée, le 24 juillet 1791, à Plinitz, entre Léopold d’Autriche et le roi de Prusse, qui s’étaient engagés à relever en France la monarchie absolue ; vous vous êtes tu sur cette convention, jusqu’au moment où elle a été connue de l’Europe entière. Louis, qu’avez-vous à répondre ?

LOUIS XVI.