– Il est bon là, monseigneur ; on se retire… Est-ce que si l’insurrection est vaincue, un seul de ceux qui y auront pris part pourra s’échapper ? Ils seront tous massacrés ou guillotinés.
LE COMTE DE PLOUERNEL. – Eh bien ! nos amis et l’étranger nous vengeront ! Il ne restera pas pierre sur pierre de cet infernal Paris !
LE JÉSUITE MORLET. – Et le roi ?
LE COMTE DE PLOUERNEL. – Quoi, le roi ?
LE JÉSUITE MORLET. – Il aura été, je suppose, délivré par un hardi coup de main ; mais, l’insurrection vaincue, il n’échappera pas à la mort !
LE COMTE DE PLOUERNEL. – Hé bien ! lui aussi sera vengé par la guerre civile et par l’étranger !
LE JÉSUITE MORLET. – En ce cas, puisque, de votre aveu, il y a cent contre un à parier qu’alors même que vous parviendriez à le délivrer momentanément, Louis XVI sera sacrifié, à quoi bon votre insurrection ?… Laissez-lui donc tout simplement couper le cou à cet excellent prince ; son supplice sera le signal de la guerre civile, de l’invasion étrangère et de l’extermination de la république, ainsi que je l’ai clairement démontré. Ne risquez point inutilement votre vie et celle de nos amis : ils peuvent, ainsi que vous, le moment venu, rendre de grands services. Donc, je me résume : notre intérêt à tous, bourgeoisie, noblesse et clergé, est que Louis XVI soit guillotiné dans le plus bref délai. J’ai dit.
La froide et inflexible logique de ce prêtre impressionne vivement ses auditeurs ; il disait vrai en ce qui touchait la certitude de la défaite de l’insurrection royaliste et du redoublement de fureur où la mort de Louis XVI jetterait les souverains étrangers. Rien de plus formidable, en effet, que le concert de leurs efforts, de leurs immenses moyens d’action contre la république appauvrie, déchirée par les factions, et presque sans armées disciplinées. Mais le jésuite ne soupçonnait pas, ne pouvait pas soupçonner, malgré sa profonde sagacité, quels prodiges devaient enfanter bientôt le patriotisme et la foi républicaine.
LE COMTE DE PLOUERNEL. – Morbleu ! mon révérend, eussiez-vous cent fois raison, ce que je n’admets pas, pourquoi avez-vous jusqu’ici pris part à nos projets ? pourquoi les avez-vous approuvés ? pourquoi avez-vous mis à notre disposition votre âme damnée, Lehiron et sa bande, afin d’engager l’affaire ?
LE JÉSUITE MORLET. – Premièrement, je puis m’être trompé jusqu’ici dans mes conjectures : errare humanum est. Or, le fait de l’homme sensé est de ne point s’opiniâtrer dans son erreur. Secondement, et ceci pour moi est capital, car, fussé-je partisan déterminé de l’insurrection, j’y renoncerais sur l’heure ; secondement, dis-je, j’ai reçu du général de notre ordre, séant à Rome, cette significative et brève instruction : Il importe excessivement à notre sainte mère, l’Église, que Louis XVI soit couronné des palmes immortelles du martyre.
LE MARQUIS. – hi ! hi ! hi ! il est impossible de parler plus congrûment, plus galamment de la machine de ce bon M. Guillotin. Ah ! ah ! ah ! qu’ils sont donc plaisants, ces bons pères ! qu’ils sont donc divertissants !
LE JÉSUITE MORLET. – Donc, après avoir prouvé le péril, l’inutilité de la conspiration, je déclare nettement ne vouloir plus prendre la moindre part, directe ou indirecte, à la chose ; lui refuser les moyens d’action dont je puis disposer, m’y opposer enfin par tous les moyens possibles, licites ou illicites, parce que la chose me paraît, après mûr examen : pernicieuse, absurde, folle, et allant directement contre le but que nous nous proposons, à savoir, l’intérêt bien entendu de l’Église, de la monarchie, de la noblesse et de la bonne bourgeoisie. Sur ce (ajoute le jésuite en se levant et saluant), je tirerai, s’il vous plaît, mon humble révérence à votre honorable compagnie.
LE COMTE DE PLOUERNEL. – Un instant, mon révérend, vous ne nous quitterez pas ainsi ! nous ne sommes point, morbleu ! des marionnettes destinées à agir selon le caprice de votre général !
M. HUBERT. – Vous avez déclaré, mon révérend, que vous vous opposeriez à la conspiration par tous les moyens possibles, licites ou illicites… Qu’entendez-vous par là, expliquez-vous ?
L’ÉVÊQUE. – Il serait capable de nous dénoncer ; il faut s’attendre à tout de la part des jésuites !
LE MARQUIS. – Nous dénoncer ! ah ! ah ! ah ! Tête bleue ! que ce serait donc bouffon ! d’honneur, je le voudrais, et j’en rirais longtemps ! ah ! ah ! ah !
LE JÉSUITE, impassible, et se dirigeant vers la porte. – J’ai dit…
M. HUBERT, l’arrêtant au passage. – Sacrebleu ! mon révérend, seriez-vous, en effet, capable de nous dénoncer ?
LE JÉSUITE. – Je suis capable de tout, est-ce clair ?… Oui, je suis capable de tout, afin d’empêcher un acte désapprouvé par le général de mon ordre et par la saine raison. Avis aux étourneaux qui, demain, tenteraient quelque sottise…
Ceci dit, le jésuite, profitant de la stupeur où son audace et son sang-froid jettent les autres conspirateurs, quitte la chambre, tandis que le marquis, trouvant l’aventure du dernier plaisant, se tient les côtes, se tord et rit à perdre haleine.
Le jésuite traverse la pièce voisine, où Lehiron fumait sa pipe en buvant bouteille avec l’ex-bedeau, tandis que le petit Rodin, agenouillé, récitait dévotement son oraison mentale.
– Eh bien ! mon révérend, – dit Lehiron au jésuite, – que fait-on demain ?
– Rien.
– Et mes hommes qui sont commandés, mon révérend ?
– Décommande-les.
– Suffit, mon colonel.
– Allons, en route, fillot, – dit le jésuite se dirigeant vers la porte, – viens, mon enfant.
– Me voici, – répond le petit Rodin se signant et se relevant, – je vous suis… doux parrain.
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Jean Lebrenn, officier municipal, était chargé, cette nuit-là, de concourir à la surveillance de Louis XVI, détenu au Temple avec sa famille, depuis le 10 août 1792.
En France, les écrivains royalistes, et à l’étranger, les émigrés, ont répandu et répandent les calomnies les plus absurdes ou les plus noires sur : – « les privations de toutes sortes, les persécutions odieuses, les mauvais traitements auxquels la famille royale est exposée de la part de ses impitoyables geôliers. Le roi et les siens manquent souvent du nécessaire ; la reine est obligée de rapiécer son unique robe et celle de sa fille, etc., etc. »
À ces absurdes et noires calomnies, il faut répondre en quelques lignes par des faits, par des chiffres irrécusables, puisés dans les procès-verbaux officiels de la commune de Paris ou dans les rapports des commissaires municipaux chargés de la surveillance du ci-devant roi ; voici donc quelques extraits de ces procès-verbaux, de ces rapports, dont l’authenticité ne saurait être mise en doute :
« … L’appartement occupé par Louis Capet au Temple est situé dans la grosse tour et composé d’une antichambre, d’une chambre à coucher et de deux cabinets pratiqués dans chaque tourelle ; les dépendances de cet appartement consistent en une salle pour les commissaires municipaux et une pièce où se tiennent les domestiques de Louis Capet. Au premier étage et au troisième, sont établis des corps de garde.
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