Le soir s'enchantait de pathétiques
rossignols. Leur chant m'alanguissait, comme celui
d'une poésie allemande. Il est une certaine intensité de
délices que l'homme peut à peine dépasser et non sans
larmes. Les délices mêmes de ces jardins me faisaient
presque douloureusement songer que j'aurais aussi
bien pu être ailleurs. C'est pendant cet été que j'appris
à jouir plus particulièrement des températures. Les
paupières sont admirablement aptes à cela. Je me
souviens d'une nuit en wagon, que je passai devant la
fenêtre ouverte, uniquement occupé à goûter l'attouchement du souffle plus frais ; je fermais les yeux, non
pour dormir, mais pour cela. La chaleur avait été,
durant tout le jour, étouffante et, ce soir, l'air encore
tiède pourtant paraissait frais et liquide à mes paupières enflammées.
A Grenade, les terrasses du Generaliffe, plantées de
lauriers-roses, n'étaient pas fleuries lorsque je les vis ;
ni le Campo Santo de Pise ; ni le petit cloître de
Saint-Marc, que j'aurais souhaité plein de roses. Mais à
Rome, le Monte Pincio, je l'ai vu dans la plus belle
saison. Durant les après-midi accablants, on y venait
chercher de la fraîcheur. Demeurant auprès, je m'y
promenais chaque jour. J'étais malade et ne pouvais
penser à rien ; la nature me pénétrait ; aidé par un
trouble des nerfs, je ne sentais parfois plus à mon
corps de limites ; il se continuait plus loin ; ou parfois,
voluptueusement, devenait poreux comme un sucre ; je
fondais. Du banc de pierre où j'étais assis, l'on cessait
de voir Rome qui m'exténuait ; on dominait les jardins
Borghèse, dont le contrebas mettait au niveau de mes
pas les cimes un peu lointaines des plus hauts pins. Ô
terrasses ! Terrasses, d'où l'espace s'est élancé. Ô navigation aérienne !...
J'aurais voulu, la nuit, rôder dans les jardins Farnèse ; mais on n'y laisse pas pénétrer. Admirable végétation sur ces ruines dissimulées.
A Naples, il y a des jardins bas qui suivent la mer
comme un quai et laissent entrer le soleil ;
à Nîmes, la Fontaine, pleine d'eaux claires canalisées ;
à Montpellier, le jardin botanique. Je me souviens
qu'avec Ambroise, un soir, comme aux jardins d'Académus, nous nous assîmes sur une tombe ancienne,
qui y est tout entourée de cyprès ; et nous causions
lentement en mâchant des pétales de roses.
Nous avons, une nuit, vu, du Peyrou, la mer lointaine
et que la lune argentait ; auprès de nous s'ébruitaient
les cascades du château d'eau de la ville ; des cygnes
noirs frangés de blanc nageaient sur le bassin tranquille.
A Malte, dans les jardins du résident, je vins lire ; il y
avait à Cita Vecchia un bois très petit de citronniers ;
on l'appelait « il Boschetto » ; nous nous y plûmes ; et
nous mordîmes des citrons mûrs, dont la saveur
première est d'une acidité intolérable, mais qui laisse
après dans la bouche un arôme rafraîchissant. Nous en
avons mordu aussi, à Syracuse, dans les cruelles
Latomies.
Dans le parc de La Haye circulent des daims point
trop sauvages.
Du jardin d'Avranches, on voit le Mont-Saint-Michel,
et les sables lointains, au soir, semblent une matière
embrasée. Il y a de très petites villes qui ont des
jardins charmants ; on oublie la ville ; on oublie son
nom ; on souhaite revoir le jardin, mais on ne sait plus
y revenir.
Je rêve aux jardins de Mossoul ; on m'a dit qu'ils sont
pleins de roses. Ceux de Nashpur, Omar les a chantés,
et Hafiz les jardins de Shiraz ; nous ne verrons jamais
les jardins de Nashpur.
Mais à Biskra je connais les jardins de Ouardi. Des
enfants y gardent les chèvres.
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