A Tunis, il n'y a pas d'autre jardin que le cimetière. A Alger, au jardin d'Essai (des palmiers de toute espèce), j'ai mangé des fruits que je n'avais auparavant jamais vus. Et de Blidah ! Nathanaël, que te dirai-je ?

Ah ! douce est l'herbe du Sahel ; et tes fleurs d'orangers ! et tes ombres ! suaves les odeurs de tes jardins. Blidah ! Blidah ! petite rose ! au début de l'hiver, je t'avais méconnue. Ton bois sacré n'avait de feuilles que celles qu'un printemps ne renouvelle pas ; et tes glycines et tes lianes semblaient des sarments pour la flamme. La neige descendue des montagnes t'approchait ; je ne pouvais me réchauffer dans ma chambre, et moins encore dans tes jardins pluvieux. Je lisais la Doctrine de la Science de Fichte et me sentais redevenir religieux. J'étais doux ; je disais qu'il faut se résigner à sa tristesse et je tâchais à faire de tout cela de la vertu. Maintenant, j'ai secoué là-dessus la poussière de mes sandales ; qui sait où le vent l'a portée ? Poussière du désert où j'ai rôdé comme un prophète ; pierre trop aride effritée ; à mes pieds elle fut brûlante (car le soleil l'avait énormément chauffée). Dans l'herbe du Sahel, à présent, que mes pieds se reposent ! Que toutes nos paroles soient d'amour !

Blidah ! Blidah ! fleur du Sahel ! petite rose ! Je t'ai vue tiède et parfumée, pleine de feuilles et de fleurs. La neige de l'hiver avait fui. Dans ton jardin sacré luisait mystiquement ta mosquée blanche et la liane ployait sous les fleurs. Un olivier disparaissait sous les guirlandes qu'une glycine lui faisait. L'air suave apportait le parfum qui s'élevait des fleurs d'orangers et même des mandariniers grêles embaumaient. Du plus haut de leurs hautes branches, les eucalyptus délivrés laissaient tomber leur vieille écorce ; elle pendait, protection usée, comme un habit que le soleil rend inutile, comme ma vieille morale qui ne valait que pour l'hiver.

 

Blidah.

 

Les tiges énormes du fenouil (l'éclat de leur floraison d'or verdi, sous la lumière d'or ou sous les feuilles azurées des eucalyptus immobiles) ce matin de premier été, sur la route que nous suivions dans le Sahel, elles étaient d'une splendeur incomparable.

Et les eucalyptus étonnés ou tranquilles.

 

Participation de chaque chose à la nature ; impossibilité d'en sortir. Lois physiques enveloppantes. Wagon s'élançant dans la nuit ; au matin il se couvre de rosée.

 

A bord.

 

Que de nuits, ah ! vitre ronde de ma cabine, hublot fermé, – que de nuits j'ai regardé vers toi, de ma couchette, en me disant : Voici, quand cet œil blanchira, ce sera l'aube ; alors je me lèverai et je secouerai mon malaise ; et l'aube lavera la mer ; et nous aborderons à la terre inconnue. L'aube est venue sans que la mer en soit calmée, la terre était encore lointaine et sur la face mobile des eaux chancelait ma pensée.

Le malaise des flots dont toute la chair se souvient. Accrocherai-je une pensée à cette hune vacillante ? pensai-je. Lames, ne verrai-je que l'eau s'éparpiller au vent du soir ? Je sème mon amour sur la vague ; ma pensée sur la stérile plaine des flots. Mon amour plonge dans les flots qui se suivent et se ressemblent. Ils passent et l'œil ne les reconnaît plus. – Mer informe et toujours agitée ; loin des hommes, tes flots se taisent ; rien ne s'oppose à leur fluidité ; mais nul ne peut entendre leur silence ; sur la plus frêle chaloupe, déjà se heurtent-ils, et leur bruit nous fait croire que la tempête est bruyante. Les grandes vagues avancent et se succèdent sans aucun bruit. Elles se suivent, et chacune soulève à son tour la même goutte d'eau, sans presque la déplacer. Seule leur forme se promène ; l'eau se prête, et les quitte, et ne les accompagne jamais. Toute forme ne prend que pour bien peu d'instants le même être ; à travers chacun, elle continue, puis le laisse. Mon âme ! ne t'attache à aucune pensée. Jette chaque pensée au vent du large qui te l'enlève ; tu ne la porteras jamais toi-même jusqu'aux cieux.