est-ce la mort, ça ? la basse voilure

Battant à travers l’eau ! — Ça se dit encombrer...

Un coup de mer plombé, puis la haute mâture

Fouettant les flots ras — et ça se dit sombrer.

― Sombrer — Sondez ce mot. Votre mort est bien pâle

Et pas grand’chose à bord, sous la lourde rafale...

Pas grand’chose devant le grand sourire amer

Du matelot qui lutte. — Allons donc, de la place ! —

Vieux fantôme éventé, la Mort change de face :

   La Mer !...

Noyés ? — Eh ! allons donc ! Les noyés sont d’eau douce.

― Coulés ! corps et biens ! Et. jusqu’au petit mousse,

Le défi dans les yeux, dans les dents le juron !

A l’écume crachant une chique râlée,

Buvant sans hauts-de-cœur la grand’tasse salée...

 — Comme ils ont bu leur boujaron. —

― Pas de fond de six pieds ni rats de cimetière :

Eux, ils vont aux requins ! L’âme d’un matelot,

Au lieu de suinter dans vos pommes de terre,

  Respire à chaque flot.

― Voyez à l’horizon se soulever la houle ;

  On dirait le ventre amoureux

D’une fille de joie en rut, à moitié soûle...

  Ils sont là ! — La houle a du creux. —

― Écoutez, écoutez la tourmente qui beugle !...

C’est leur anniversaire. — Il revient bien souvent ! —

O poète, gardez pour vous vos chants d’aveugle ;

― Eux : le De profundis que leur corne le vent,

...Qu’ils roulent infinis dans les espaces vierges !...

  Qu’ils roulent verts et nus,

Sans clous et sans sapin, sans couvercle, sans cierge.

― Laissez-les douc rouler, terriers parvenus !

II

ARTHUR RIMBAUD

Nous avons eu la joie de connaître Arthur Rimbaud. Aujourd’hui des choses nous séparent de lui sans que, bien entendu, notre très profonde admiration ait jamais manqué à son génie et à son caractère.

A l’époque relativement lointaine de notre intimité, Arthur Rimbaud était un enfant de seize à dix-sept ans, déjà nanti de tout le bagage poétique qu’il faudrait que le vrai public connût et que nous essaierons d’analyser en citant le plus que nous pourrons.

L’homme était grand, bien bâti, presque athlétique, au visage parfaitement ovale d’ange en exil, avec des cheveux châtain-clair mal en ordre et des yeux d’un bleu pâle inquiétant. Ardennais, il possédait en plus d’un joli accent de terroir trop vite perdu, le don d’assimilation prompte propre aux gens de ce pays-là, — ce qui peut expliquer le rapide dessèchement sous le soleil fade de Paris, de sa veine, pour parler comme nos pères, de qui le langage direct et correct n’avait pas toujours tort, en fin de compte !

Nous nous occuperons d’abord de la première partie de l’œuvre d’Arthur Rimbaud, œuvre de sa toute jeune adolescence, — gourme sublime, miraculeuse, puberté ! — pour ensuite examiner les diverses évolutions de cet esprit impétueux, jusqu’à sa fin littéraire.

Ici une parenthèse, et si ces lignes tombent d’aventure sous ses yeux, qu’Arthur Rimbaud sache bien que nous ne jugeons pas les mobiles des hommes et soit assuré de notre complète approbation (de notre tristesse noire, aussi) en face de son abandon de la poésie, pourvu, comme nous n’en doutons pas que cet abandon soit, pour lui, logique, honnête et nécessaire.

L’œuvre de Rimbaud, remontant à la période de son extrême jeunesse, c’est-à-dire 1869, 70, 71, est assez abondante et formerait un volume respectable. Elle se compose de poèmes généralement courts, de sonnets, triolets, pièces en strophes de quatre, cinq et de six vers. Le poète n’emploie jamais la rime plate. Son vers, solidement campé, use rarement d’artifices. Peu de césures libertines, moins encore de rejets. Le choix des mots est toujours exquis, quelquefois pédant à dessein. La langue est nette et reste claire quand l’idée se fonce ou que le sens s’obscurcit. Rimes très honorables.

Nous ne saurions mieux justifier ce que nous disions-là qu’en vous présentant le sonnet des

VOYELLES

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles,

Je dirai quelque jour vos naissances latentes.

A, noir corset velu des mouches éclatantes

Qui bombillent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d’ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,

Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ;

I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles

Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,

Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides

Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux

O, suprême Clairon plein de strideurs étranges,

Silences traversés des Mondes et des Anges :

― O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

La Muse (tant pis ! vivent nos pères !) la Muse, disons-nous, d’Arthur Rimbaud prend tous les tons, pince toutes les cordes de la harpe, gratte toutes celles de la guitare et caresse le rebec d’un archet agile s’il en fut.

Goguenard et pince-sans-rire, Arthur Rimbaud l’est, quand cela lui convient, au premier chef, tout en demeurant le grand poète que Dieu l’a fait.

A preuve l’Oraison du soir, et ces Assis à se mettre à genoux devant !

ORAISON DU SOIR

Je vis assis tel qu’un ange aux mains d’un barbier,

Empoignant une chope à fortes cannelures,

L’hypogastre et le col cambrés, une Gambier

Aux dents, sous l’air gonflé d’impalpables voilures.

Tels que les excréments chauds d’un vieux colombier

Mille rêves en moi font de douces brûlures ;

Puis par instants mon cœur triste est comme un aubier

Qu’ensanglante l’or jaune et sombre des coulures.

Puis quand j’ai ravalé mes rêves avec soin,

Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,

Et me recueille pour lâcher l’âcre besoin.

Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes,

Je pisse vers les cieux bruns très haut et très loin,

Avec l’assentiment des grands héliotropes.

Les Assis ont une petite histoire qu’il faudrait peut-être rapporter pour qu’on les comprit bien.

Arthur Rimbaud, qui faisait alors sa seconde en qualité d’externe au lycée de ***, se livrait aux écoles buissonnières les plus énormes et quand il se sentait — enfin ! fatigué d’arpenter monts, bois et plaines nuits et jours, car quel marcheur ! il venait à la bibliothèque de ladite ville et y demandait des ouvrages malsonnants aux oreilles du bibliothécaire en chef dont le nom, peu fait pour la postérité danse au bout de notre plume, mais qu’importe ce nom d’un bonhomme en ce travail malédictin ? L’excellent bureaucrate, que ses fonctions mêmes obligeaient à délivrer à Rimbaud, sur la requête de ce dernier, force Contes Orientaux et libretti de Favart, le tout entremêlé de vagues bouquins scientifiques très anciens et très rares, maugréait de se lever pour ce gamin et le renvoyait volontiers, de bouche, à ses peu chères études, à Cicéron, à Horace, et à nous ne savons plus quels Grecs aussi. Le gamin, qui, d’ailleurs, connaissait et surtout appréciait infiniment mieux ses classiques que ne le faisait le birbe lui-même, finit par « s’irriter », d’où le chef-d’œuvre en question.

LES ASSIS

Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues

Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs,

Le sinciput plaqué de hargnosités vagues

Comme les floraisons lépreuses des vieux murs,

Ils ont greffé dans des amours épileptiques

Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs

De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques

S’entrelacent pour les matins et pour les soirs,

Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges,

Sentant les soleils vifs percaliser leurs peaux,

Ou les yeux à la vilre où se fanent les neiges,

Tremblant du tremblement douloureux des crapauds.

Et les Sièges leur ont des bontés ; culottée

De brun, la paille cède aux angles de leurs reins.

L’âme des vieux soleils s’allume, emmaillotée

Dans ces tresses d’épis où fermentaient les grains.

Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,

Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour,

S’écoutent clapoter des barcarolles tristes

Et leurs caboches vont dans des roulis d’amour.

Oh ! ne les faites pas lever ! C’est le naufrage.

Ils surgissent, grondant comme des chats giflés,

Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage !

Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.

Et vous les écoutez cognant leurs têtes chauves

Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors,

Et leurs boutons d’habit sont des prunelles fauves

Qui vous accrochent l’œil du fond des corridors.

Puis ils ont une main invisible qui tue ;

Au retour, leur regard filtre ce venin noir

Qui charge l’œil souffrant de la chienne battue,

Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.

Rassis, les poings crispés dans des manchettes sales,

Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever,

Et de l’aurore au soir des grappes d’amygdales

Sous leurs mentons chétifs s’agitent à crever.

Quand l’austère sommeil a baissé leurs visières

Ils rêvent sur leurs bras de sièges fécondés,

De vrais petits amours de chaises en lisières

Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés.

Des fleurs d’encre, crachant des pollens en virgules,

Les bercent le long des calices accroupis,

Tels qu’au fil des glaïeuls le vol des libellules,

― Et leur membre s’agace à des barbes d’épis !

Nous avons tenu à tout donner de ce poème savamment et froidement outré, jusqu’au dernier vers si logique et d’une hardiesse si heureuse. Le lecteur peut ainsi se rendre compte de la puissance d’ironie, de la verve terrible du poète dont il nous reste à considérer les dons plus élevés, dons suprêmes, magnifique témoignage de l’intelligence, preuve fière et française, bien française, insistons-y par ces jours de lâche internationalisme, d’une supériorité naturelle et mystique de race et de caste, affirmation sans conteste possible de cette immortelle royauté de l’Esprit, de l’Ame et du Cœur humains : la Grâce et la Force et la grande Rhétorique niée par nos intéressants, nos substils, nos pittoresques, mais étroits et plus qu’étroits, étriqués Naturalistes de 1883 !

La Force, nous en avons eu un spécimen dans les quelques pièces insérées ci-dessus, mais encore y est-elle à ce point revêtue de paradoxe et de redoutable belle humeur qu’elle n’apparaît que déguisée en quelque sorte. Nous la retrouverons dans sont intégrité, toute belle et toute pure, à la fin de ce travail. Pour le moment, c’est la Grâce qui nous appelle, une grâce particulière, inconnue certes jusqu’ici, où le bizarre et l’étrange salent et poivrent l’extrême douceur, la simplicité divine de la pensée et du style.

Nous ne connaissons pour notre part dans aucune littérature quelque chose d’un peu farouche et de si tendre, de gentiment caricatural et de si cordial, et de si bon, et d’un jet franc, sonore, magistral, comme

LES EFFARÉS

Noirs dans la neige et dans la brume,

Au grand soupirail qui s’allume,

  Leurs culs en rond,

A genoux les petits — misère !

Regardent le boulanger faire

  Le lourd pain blond.

Ils voient le fort bras blanc qui tourne

La pâte grise et qui l’enfourne

  Dans un trou clair.

Ils Écoutent le bon pain cuire.

Le boulanger au gros sourire

  Chante un vieil air.

Ils sont blottis, pas un ne bouge,

Au souffle du soupirail rouge

  Chaud comme un sein.

Quand pour quelque médianoche,

Façonné comme une brioche

  On sort le pain,

Quand sous les poutres enfumées

Chantent les croûtes parfumées

  Et les grillons,

Que ce trou chaud souffle la vie,

Ils ont leur âme si ravie

  Sous leurs haillons,

Ils [Ile] se ressentent si bien vivre,

Les pauvres Jésus pleins de givre,

  Qu’ils sont là tous,

Collant leurs petits museaux roses

Au treillage, grognant des choses

  Entre les trous,

Tout bêtes, faisant leurs prières

Et repliés vers ces lumières

  Du ciel rouvert,

Si fort qu’ils crèvent leur culotte

Et que leur chemise tremblotte

  Au vent d’hiver.

Qu’en dites-vous ? Nous, trouvant dans un autre art des analogies que l’originalité de ce « petit cuadro » nous interdit de chercher parmi tous poètes possibles, nous dirions, c’est du Goya pire et meilleur. Goya et Murillo consultés nous donneraient raison, sachez-le bien.

Du Goya encore les Chercheuses de Poux, cette fois du Goya lumineux exaspéré, blanc sur blanc avec les effets roses et bleus et cette touche singulière jusqu’au fantastique. Mais combien supérieur toujours le poète au peintre et par l’émotion haute et par le chant des bonnes rimes !

Soyez témoins :

LES CHERCHEUSES DE POUX

Quand le front de l’enfant, plein de rouges tourmentes,

Implore l’essaim blanc des rêves indistincts,

Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes

Avec de frêles doigts aux ongles argentins.

Elles assoient l’enfant devant une croisée

Grande ouverte où l’air bleu baigne un fouillis de fleurs,

Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée

Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.

Il écoute chanter leurs haleines craintives

Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés

Et qu’interrompt parfois un sifflement, salives

Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.

Il entend leurs cils noirs battant sous les silences

Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux

Font crépiter parmi ses grises indolences

Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.

Voilà que monte en lui le vin de la Paresse,

Soupir d’harmonica qui pourrait délirer ;

L’enfant se sent, selon la lenteur des caresses,

Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.

Il n’y a pas jusqu’à l’irrégularité de rime de la dernière stance, il n’y a pas jusqu’à la dernière phrase, restant entre son manque de conjonction : et le point final, comme suspendue et surplombante, qui n’ajoutent en légèreté d’esquisse, en tremblé de facture au charme frêle du morceau. Et le beau mouvement, le beau balancement lamartinien, n’est-ce pas ? dans ces quelques vers qui semblent se prolonger dans du rêve et de la musique ! Racinien même, oserions-nous ajouter, et pourquoi ne pas aller jusqu’à cette confession, virgilien ?

Bien d’autres exemples de grâce exquisement perverse ou chaste à vous ravir en extase nous tentent, mais les limites normales de ce second essai déjà long nous font une loi de passer outre à tant de délicats miracles et nous entrerons sans plus de retard dans l’empire de la Force splendide où nous convie le magicien avec son

BATEAU IVRE

Comme je descendais des Fleuves impassibles

Je ne me sentis plus guidé par les haleurs ;

Des Peaux-rouges criards les avaient pris pour cibles,

Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J’étais insoucieux de tous les équipages,

Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.

Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages

Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,

Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants,

Je courus ! Et les Péninsules démarrées,

N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.

Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots

Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,

Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots.

Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sures

L’eau verte pénétra ma coque de sapin

Et des taches de vins bleus et des vomissures

Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors je me suis baigné dans le poème

De la mer, infusé d’astres et latescent,

Dévorant les azurs verts où, flottaison blême

Et ravie, un noyé pensif parfois descend,

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires

Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,

Plus fortes que l’alcool, plus vastes que vos lyres,

Fermentent les rousseurs amères de l’amour.

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes,

Et les ressacs, et les courants, je sais le soir,

L’aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,

Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir.

J’ai vu le soleil bas taché d’horreurs mystiques

Illuminant de longs figements violets,

Pareils à des acteurs de drames très antiques,

Les flots roulant au loin leurs frissons de volets ;

J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,

Baisers montant aux yeux des mers avec lenteur,

La circulation des sèves inouïes

Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs.

J’ai suivi des mois pleins, pareille aux vacheries

Hystériques, la houle à l’assaut des récifs,

Sans songer que les pieds lumineux des Maries

Pussent forcer le muffle des Océans poussifs ;

J’ai heurté, savez-vous ? d’incroyables Florides,

Mêlant aux fleurs des yeux de panthères, aux peaux

D’hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides,

Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux ;

J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses

Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan,

Des écroulements d’eaux au milieu des bonaces

Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises,

Échouages hideux au fond des golfes bruns

Où les serpents géants dévorés des punaises

Choient des arbres tordus avec de noirs parfums.

J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades

Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants.

Des écumes de fleurs ont béni mes dérades

Et d’ineffables vents m’ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,

La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux

Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes

Et je restais ainsi qu’une femme à genoux,

Presqu’île ballottant sur mes bords les querelles

Et les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds,

Et je voguais lorsqu’à travers mes liens frêles

Des noyés descendaient dormir à reculons.

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,

Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau,

Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses

N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau,

Libre, fumant, monté de brumes violettes,

Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur

Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,

Des lichens de soleil et des morves d’azur,

Qui courais taché de lunules électriques,

Planche folle, escorté des hippocampes noirs,

Quand les Juillets faisaient croûler à coups de triques

Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs,

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues

Le rut des Béhémots et des Maelstroms épais,

Fileur éternel des immobilités bleues,

Je regrette l’Europe aux anciens parapets.

J’ai vu des archipels sidéraux ! Et des îles

Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :

― Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t’exiles,

Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les aubes sont navrantes,

Toute lune est atroce et tout soleil amer.

L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes,

O que ma quille éclate ! O que j’aille à la mer !

Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache

Noire et froide où, vers le crépuscule embaumé,

Un enfant accroupi, plein de tristesses, lâche

Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,

Enlever leur sillage aux porteurs de cotons.

Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes.

Ni nager sous les yeux horribles des pontons !

Maintenant quel avis formuler sur les Premières Communions, poème trop long pour prendre place ici, surtout après nos excès de citations, et dont d’ailleurs nous détestons bien haut l’esprit, qui nous paraît dériver d’une rencontre malheureuse avec le Michelet sénile et impie, le Michelet de dessous les linges sales de femmes et de derrière Parny (l’autre Michelet, nul plus que nous ne l’adore), oui, quel avis émettre sur ce morceau colossal, sinon que nous en aimons la profonde ordonnance et tous les vers sans exception ? Il y en a d’ainsi :

Adonaï ! Dans les terminaisons latines

Des cieux moirés de vert baignent les Fronts vermeils

Et, tachés du sang pur des célestes poitrines,

De grands linges neigeux tombent sur les soleils.

Paris se repeuple, écrit au lendemain de la « Semaine sanglante, » fourmille de beautés.

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