Et elle restait sur son séant, défaillante, à regarder les autres malades. Justement, dans le compartiment voisin, en face de M. Sabathier, la Grivotte, jusque-là étendue sans un souffle, comme morte, venait de se soulever. C’était une grande fille qui avait dépassé la trentaine, déhanchée, singulière, au visage rond et ravagé, que ses cheveux crépus et ses yeux de flamme rendaient presque belle. Elle était phtisique au troisième degré.

« Hein ? mademoiselle, dit-elle en s’adressant à Marie de sa voix enrouée, à peine distincte, on serait bien heureuse de s’assoupir un petit peu. Mais pas moyen, toutes ces roues vous tournent dans la tête. »

Malgré la fatigue qu’elle éprouvait à parler, elle s’entêta, donna des détails sur elle-même. Elle était matelassière, elle avait longtemps, avec une de ses tantes, fait des matelas, de cour en cour, à Bercy ; et c’était aux laines empestées, cardées par elle, dans sa jeunesse, qu’elle attribuait son mal. Depuis cinq ans, elle faisait le tour des hôpitaux de Paris. Aussi parlait-elle familièrement des grands médecins. Les sœurs de Lariboisière, en la voyant passionnée des cérémonies religieuses, avaient achevé de la convertir et de la convaincre que la Vierge l’attendait, à Lourdes, pour la guérir.

« Bien sûr que j’en ai besoin, ils disent comme ça que j’ai un poumon perdu et que l’autre ne vaut guère mieux. Des cavernes, vous savez... D’abord, je n’avais mal qu’entre les épaules et je crachais de la mousse. Puis, j’ai maigri, une vraie pitié. Maintenant, je suis toujours en sueur, je tousse à m’arracher le cœur, je ne puis plus cracher, tant c’est épais... Et, vous voyez, je ne me tiens pas debout, je ne mange pas... »

Un étouffement l’arrêta, elle devenait livide.

« N’importe, j’aime mieux encore être dans ma peau que dans celle du frère qui occupe l’autre compartiment, derrière vous. Il a ce que j’ai, mais il est plus avancé que moi. »

Elle se trompait. Il y avait là, en effet, adossé à Marie, un jeune missionnaire, le frère Isidore, couché sur un matelas, et qu’on ne voyait point, parce qu’il ne pouvait même soulever un doigt. Mais il n’était pas phtisique, il se mourait d’une inflammation du foie, prise au Sénégal. Très long, très maigre, il avait une face jaune, sèche et morte comme un parchemin. L’abcès qui s’était formé au foie, avait fini par percer à l’extérieur, et la suppuration l’épuisait, dans un grelottement continu de fièvre, des vomissements et du délire. Seuls, ses yeux vivaient encore, des yeux d’amour inextinguible, dont la flamme éclairait son visage expirant de Christ en croix, un visage commun de paysan que la foi et la passion rendaient par moments sublime. Il était breton, dernier enfant chétif d’une famille trop nombreuse, ayant laissé, là-bas, le peu de terre à ses aînés. Et une de ses sœurs l’accompagnait, Marthe, sa cadette de deux ans, venue en service à Paris, si dévouée dans son insignifiance de bonne à tout faire, qu’elle avait quitté sa place pour le suivre, et qu’elle mangeait ses maigres économies.

« J’étais par terre, sur le quai, quand on l’a fourré dans le wagon, reprit la Grivotte. Quatre hommes le tenaient... »

Mais elle ne put en dire davantage. Un accès de toux la secoua la renversa sur la banquette. Elle suffoquait, les pommettes roses de ses joues devenaient bleues. Et, tout de suite, sœur Hyacinthe lui souleva la tête, lui essuya les lèvres avec un linge, qui se tachait de rouge. Mme de Jonquière, au même instant, donnait des soins à la malade qu’elle avait en face d’elle. On la nommait Mme Vêtu elle était la femme d’un petit horloger du quartier Mouffetard qui n’avait pu fermer la boutique, pour l’accompagner à Lourdes Aussi s’était-elle fait hospitaliser, afin d’être certaine d’avoir des soins. La peur de la mort la ramenait à l’église, où elle n’avait pas remis les pieds depuis sa première communion.