Je vous quitte pour aller faire de l'algèbre. Je vous embrasse de tout mon cœur.

Votre fils respectueux,

 

ANTOINE.

20

[Besançon, 1918]

Ma chère maman,

 

Le grand jour est arrivé : je passe demain mon conseil. Je serai incorporé dans l'artillerie comme candidat aux grandes écoles et partirai le 15 octobre.

J'obtiendrai de mon chef de corps l'autorisation de continuer mes études et pourrai suivre les cours à Saint-Louis (mais il n'est pas tenu à m'accorder cette autorisation). Si je suis reçu à Navale tout sera bien ; si je suis recalé, je demanderai à passer dans les chasseurs, ce qui, d'après le général, est très facile, d'autant plus qu'on peut dans ce cas choisir son bataillon assez facilement : je me rencontrerai aussi avec pas mal de camarades, ayant décidé de nous engager tous en cas d'échec dans le même bataillon de chasseurs. Une fois sur le front je demanderai l'aviation, si on veut bien me l'accorder. En tout cas, je serai soldat à partir du 15 ou 30 octobre.

[...]

Je fais évidemment de grands progrès en boche, mais vu ma nullité, j'ai beaucoup à faire. Pourtant je crois être à peu près sûr maintenant de ne pas avoir de note éliminatoire, ce qui est déjà énorme.

Je sais très bien mon « optique » en physique, je n'ai plus que « le magnétisme » à repasser. Comment tout cela va-t-il se passer, je l'ignore. Nous entrons dans le grand inconnu...

J'espère que vous allez bien et que vous ne vous fatiguez pas trop.

Comment va Mimma ? Va-t-elle mieux ?

Je vous embrasse de tout mon cœur.

Votre fils respectueux,

 

ANTOINE.

 

Je viens de passer mon conseil où j'ai été examiné sous toutes les coutures. On est là une trentaine de types en habit d'Adam devant le jury qui, lui, est sur une estrade. Naturellement, je suis bon, on m'a même félicité.

21

[Besançon, 1918]

 

Ma chère maman,

 

Avez-vous mes papiers ? Ils sont très pressés.

Comment allez-vous, j'espère que vous vous portez bien et qu'un de ces jours vous prendrez le train pour Besançon...

Je fais en allemand pas mal de progrès. Je me mets aussi aujourd'hui à réparer mes malles et en plus de tout cela je fais quelques vers.

Mon écriture, horrible et zigzagante, est due à ce que j'écris sur mon genou, position instable entre toutes.

Monot m'a écrit comment finissent les amours du noble et gentil chevalier de La Poisette. Quel homme ! C'est fantastique tout de même...

J'ai reçu une lettre de Bonnevie, qui, voulant s'engager, ne l'a pu : si je suis recalé, on essaiera d'aller dans le même régiment, car je ne compte pas rester au Ve d'artillerie, à moins qu'il ne puisse y venir aussi, mais l'artillerie ne me tente pas. Peut-être aussi serai-je reçu ; et alors... en route pour Brest (quart de place...)

Les Vidal sont toujours charmants pour moi. Madame Vidal, chez qui j'ai déjeuné dimanche, m'a emmené faire une excursion aux environs avec Madame de je ne sais plus qui et on a emporté le goûter qui était exquis d'ailleurs.

Que se passe-t-il de neuf à Saint-Maurice ? La poucelette roucoule-t-elle souvent et s'affuble-t-elle de vêtements si pleins de discrétion et d'élégance qu'elle se ferait suivre même par des réverbères : c'est pire qu'Orphée.