Ah ! j'accepte bien de m'endormir, ou pour la nuit ou pour des siècles ; si je m'endors, je ne sais point la différence et puis quelle paix, mais ces cris que l'on va pousser là-bas, ces grands feux de désespoir, je n'en supporte pas l'image.

Je ne puis me croiser les bras devant ces naufrages, chaque minute de silence assassine un peu ceux que j'aime.

Adieu, vous que j'aimais, à part la souffrance je ne regrette rien, tout compte fait, j'ai eu la meilleure part, si je rentrais, je recommencerais, j'ai besoin de vivre. Dans les villes, il n'y a plus de vie humaine3.

 

Après avoir marché trois jours dans le désert, Antoine est recueilli par des Arabes, alors qu'on le croyait tombé à la mer dans le golfe Persique. Un soir, hâve, déguenillé, fier d'avoir marché contre la mort, il apparaît au seuil du Grand Hôtel du Caire, il est accueilli à bras ouverts par les camarades anglais de la R.A.F.

Redevenu civilisé, il écrit à sa mère :

 

J'ai pleuré en lisant votre petit mot si plein de sens parce que je vous ai appelée dans le désert.

J'avais pris de grandes colères contre le départ de tous les hommes, contre ce silence, et j'appelais ma maman.

C'est terrible de laisser derrière soi quelqu'un qui a besoin de vous comme Consuelo. On sent l'immense besoin de revenir pour protéger et abriter, et l'on s'arrache les ongles contre ce sable qui vous empêche de faire votre devoir, et l'on déplacerait des montagnes. Mais c'est de vous que j'avais besoin ; c'était à vous à me protéger et à m'abriter, et je vous appelais avec un grand égoïsme de petite chèvre.

C'est un peu pour Consuelo que je suis rentré, mais c'est par vous, maman, que l'on rentre. Vous si faible, vous saviez-vous à ce point ange gardienne, et forte, et sage, et si pleine de bénédictions, que l'on vous prie, seul, dans la nuit ?

LUTTE CONTRE LES HOMMES

(Guerre, 1939)

La guerre est déclarée. Malgré tous les arguments de ceux qui voudraient le mettre à l'abri, Antoine écrit à un ami influent :

 

On veut faire de moi, ici, un moniteur, non seulement de navigation mais de pilotage de gros bombardiers. Alors j'étouffe, suis malheureux, et ne puis que me taire. Sauve-moi. Fais-moi partir dans une escadrille de chasse. Tu sais bien que je n'ai pas le goût de la guerre, mais il m'est impossible de rester à l'arrière et de ne pas prendre ma part de risques...

Il y a une grande dégoûtation intellectuelle à prétendre que l'on doit mettre à l'abri ceux qui « ont une valeur ». C'est en participant que l'on joue un rôle efficace. « Ceux qui ont une valeur », s'ils sont le sel de la terre, alors ils doivent se mêler à la terre. On ne peut pas dire « nous » si on se sépare. Ou alors, si on dit « nous » on est un salaud !

Tout ce que j'aime est menacé. En Provence, quand une forêt brûle, tous ceux qui ne sont pas des salauds prennent une pelle et une pioche. Je veux faire la guerre par amour et par religion intérieure. Je ne puis pas ne pas participer. Fais-moi partir le plus vite possible dans une escadrille de chasse.

 

Il est affecté à l'escadrille 2/33 ; dix-sept équipages sur vingt-deux sont sacrifiés à la drôle de guerre.

De la ferme d'Orconte il écrit à sa mère :

 

Je vous écris sur mes genoux, dans l'attente d'un bombardement annoncé et qui ne vient pas, [...] mais c'est pour vous que je tremble, cette menace italienne me fait du mal, parce qu'elle vous met en danger ; j'ai infiniment besoin de votre tendresse, ma petite maman. Pourquoi faut-il que tout ce que j'aime sur cette terre soit menacé ?

Ce qui m'effraie plus que la guerre, c'est le monde de demain.