Tous ces villages détruits, ces familles dispersées, la mort, ça m'est égal, mais je ne voudrais pas
qu'on touche à la communauté spirituelle.
Je ne vous dis pas grand'chose de ma vie, il n'y a
pas grand'chose à en dire : mission dangereuse, repas,
sommeil ; je suis terriblement insatisfait, il faut
d'autres exercices pour le cœur. Le danger accepté et
subi ne suffit pas à apaiser en moi une sorte de lourde
conscience.
C'est l'âme aujourd'hui qui est tellement déserte, on
meurt de soif.
LUTTE CONTRE LES HOMMES (SUITE)
(New York, 1941)
Après l'armistice, Antoine, désolé, malheureux, part
pour l'Amérique. Il écrit4:
Puisque je suis d'eux, je ne renierai jamais les
miens, quoi qu'ils fassent. Je ne prêcherai jamais
contre eux devant autrui. S'il est possible de prendre
leur défense, je les défendrai. S'ils me couvrent de
honte, j'enfermerai cette honte dans mon cœur et je
me tairai. Quoi que je pense sur eux, je ne servirai
jamais de témoin à charge...
Ainsi je ne me désolidariserai pas d'une défaite qui
souvent, m'humiliera. Je suis de France. La France
formait des Renoir, des Pascal, des Pasteur, des Guillaumet, des Hochedé. Elle formait aussi des incapables, des politiciens et des tricheurs. Mais il me
paraît trop aisé de se réclamer des uns et de nier toute
parenté avec les autres.
Si j'accepte d'être humilié par ma maison, je puis
agir sur ma maison. Elle est de moi comme je suis
d'elle.
Mais, si je refuse l'humiliation, la maison se démantibulera comme elle voudra, et j'irai seul, tout glorieux, mais plus vain qu'un mort.
Son livre, Pilote de guerre, réhabilitera la France
aux yeux des Américains. Ses articles les encourageront à participer à la guerre. Il écrit :
Les responsables de la défaite, c'est vous. Nous
étions quarante millions d'agriculteurs contre quatre-vingts millions d'industriels. Un homme contre deux,
une machine-outil contre cinq. Si même un Daladier
avait réduit le peuple français en esclavage, il n'eût pu
tirer de chaque homme cent heures de travail quotidien. Il n'est que vingt-quatre heures dans la journée.
Quelle qu'eût été la gestion de la France, la course aux
armements se fût soldée par un homme opposé à
deux, un canon opposé à cinq. Nous acceptions de
nous mesurer à un contre deux, nous voulions bien
mourir. Mais pour que notre mort fût efficace, il nous
eût fallu recevoir de vous les quatre canons, les quatre
avions qui nous manquaient. Vous prétendiez être
sauvés par nous de la menace nazie, mais vous
construisiez exclusivement des Packard et des frigidaires pour vos week-ends. Telle est la seule cause de
notre défaite. Mais cette défaite aura quand même
sauvé le monde.
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