Notre écrasement accepté aura été le point de départ de la résistance au nazisme. L'arbre de la résistance sortira un jour de notre sacrifice, comme d'une graine !

LUTTE CONTRE LE DÉCOURAGEMENT

(Alger. 1943)

Débarqué en Afrique avec les Américains, Antoine lance un appel qui est radiodiffusé :

 

Français, réconcilions-nous pour servir, [...] ne nous disputons pas pour des questions de puissance ou de priorité, il y a des fusils pour tout le monde. Notre vrai chef est la France aujourd'hui condamnée au silence. Haïssons les partis, les clans, les divisions de toutes sortes.

 

Lassé des polémiques, il multiplie les démarches afin d'obtenir de rejoindre le groupe 2/33. Mais les formalités sont longues, il est triste et solitaire, comme en témoigne cette prière :

 

Seigneur, donnez-moi la paix des étables, des choses rangées, des moissons faites.

Laissez-moi être, ayant achevé de devenir, je suis fatigué des deuils de mon cœur, je suis trop vieux pour recommencer toutes mes branches, j'ai perdu l'un après l'autre mes amis et mes ennemis, et s'est faite sur ma route une lumière de loisirs tristes.

Je me suis éloigné, je suis revenu, j'ai regardé les hommes autour du veau d'or, non intéressés mais stupides, et les enfants qui naissent aujourd'hui me sont plus étrangers que de jeunes barbares. Je suis lourd de trésors inutiles comme d'une musique qui jamais plus ne sera comprise. J'ai commencé mon œuvre avec la hache du bûcheron dans la forêt, et j'étais ivre du cantique des arbres, mais maintenant que de trop près j'ai vu les hommes, je suis las.

Apparais-moi, Seigneur, car tout est dur lorsque l'on perd le goût de Dieu.

En quoi se retrouver, maison, coutumes, croyances, voilà qui est tellement difficile aujourd'hui et qui rend tout tellement amer.

J'essaie de travailler mais le cœur est difficile ; cette atroce Afrique vous pourrit le cœur, c'est une tombe ; il serait si simple de voler en mission de guerre sur Lightning.

LUTTE SUPRÊME

(Borgo. 1944)

Mais le 4 juin 1943, Antoine débarque sur le terrain de La Marsa en Tunisie avec un sourire de victoire.

Il a conquis sa paix, une certaine paix de l'esprit, quoique sa lucidité, sur les problèmes de l'heure, ne lui laisse pas grand espoir dans l'avenir.

 

Il écrit :

 

Ça m'est bien égal d'être tué en guerre. De ce que j'ai aimé, que restera-t-il ? Autant que des êtres, je parle des coutumes, des intonations irremplaçables, d'une certaine lumière spirituelle, du déjeuner dans la ferme provençale sous les oliviers, mais aussi de Haendel5.

 

Les pilotes de l'escadrille sont entassés trois par chambre, tel est le cadre de la vie d'Antoine. De ses pensées mélancoliques, ses camarades n'ont jamais rien su, il veut favoriser leur paix.

Mais il écrit à un ami :

 

Je fais la guerre le plus profondément possible, je suis le doyen des pilotes du monde, je paie bien, je ne me sens pas avare.

Ici, on est loin du bain de haine, mais malgré la gentillesse de mon escadrille, c'est tout de même un peu la misère.

Je n'ai personne avec qui parler, c'est quelque chose d'avoir avec qui vivre, mais quelle solitude spirituelle6 !

 

Le 31 juillet 1944, il apparaît au mess équipé pour le vol.

« Pourquoi ne vouliez-vous pas me réveiller, c'était mon tour»

Il boit son café brûlant et sort. On entend le vrombissement du décollage.

Il est parti pour une reconnaissance en Méditerranée et sur le Vercors. Le radar le suit jusqu'aux côtes de France, puis c'est le silence.

Le silence s'installe et c'est l'attente.

Le radar essaie d'accrocher une note qui serait un signe de vie. Si l'avion et ses feux de bord remontent vers les étoiles, peut-être va-t-on entendre chanter les étoiles.

Les secondes s'écoulent, elles s'écoulent comme du sang, le vol dure-t-il encore ?

Chaque seconde emporte une chance, et voici que le temps passe, et détruit ; comme en vingt siècles il touche un temple, fait son chemin dans le granit et réduit ce temple en poussière, voici que des siècles d'usure se ramassent dans chaque seconde et menacent l'avion.