Très bien. Et que dit-on ?… que dit-on ?… Que vous devez revenir après-demain ? Pourquoi reviendriez-vous ? Quelque attraction toute particulière vous rappelle ici, je suppose ? Je pense que c’est une attraction légitime. Vous êtes très jeune… Vous êtes exposé à toutes sortes de tentations. Avez-vous dans le cœur un fonds solide de bon sens ? Vous n’en avez pas hérité de votre pauvre père, si vous le possédez. Vous ne deviez être qu’un tout petit garçon quand votre père a ruiné l’avenir de ses enfants. Comment avez-vous vécu depuis ce temps ?… Que faisiez-vous quand le testament de votre tante est venu vous permettre de n’être plus qu’un oisif pour le reste de vos jours ?

La question était inquisitoriale.

Arnold y répondit sans la moindre hésitation, avec une modestie et une simplicité naturelles qui lui gagnèrent à l’instant le cœur de sir Patrick.

– J’étais écolier à Eton, monsieur, dit-il, quand les pertes faites par mon père le ruinèrent. Il me fallut quitter l’école et gagner ma vie, et je l’ai gagnée, dans un rude métier. En bon Anglais, j’ai suivi la carrière maritime… dans la marine marchande.

– En meilleur Anglais encore, vous avez accepté la lutte avec l’adversité en brave garçon, et vous avez bien gagné la bonne chance qui vous est échue, reprit sir Patrick. Donnez-moi votre main, je me suis pris d’affection pour vous. Vous n’êtes pas comme les autres jeunes gens du temps présent. Je vous appellerai Arnold ; vous ne pouvez pas me rendre la pareille et m’appeler Patrick, je suis trop âgé pour être traité avec cette familiarité. Bon, et comment êtes-vous venu ici ? Quelle sorte de femme est ma belle-sœur ? et quel genre de maison est celle où nous sommes ?

Arnold partit d’un grand éclat de rire.

– Ce sont de singulières questions faites à moi et par vous, dit-il ; vous parlez, monsieur, comme si vous étiez ici un étranger.

Sir Patrick toucha le ressort de la pomme de sa canne. Un petit couvercle d’or se leva et découvrit la tabatière cachée à l’intérieur. Il aspira une prise, ricana d’un air sardonique à quelque pensée qui lui passait par l’esprit et qu’il ne jugea pas nécessaire de communiquer à son jeune ami.

– Je parle comme si j’étais un étranger ici, n’est-il pas vrai ? reprit-il ; c’est exactement ce que je suis. Lady Lundie et moi nous correspondons dans d’excellents termes ; mais nos façons de vivre sont différentes, et nous nous voyons aussi rarement que possible. Mon histoire, continua l’aimable vieillard, avec une charmante franchise qui faisait disparaître toute différence d’âge et de rang entre Arnold et lui, n’est pas entièrement dissemblable de la vôtre. Je gagnais ma vie à ma manière, en vieil encroûté d’homme de loi écossais, quand mon frère se remaria. Sa mort, survenue sans qu’il eût laissé un fils de l’une ou de l’autre de ses deux femmes, me donna, comme à vous, une entrée dans le monde. Me voilà donc, à mon très sincère regret, porteur actuel du titre de baronnet. Oui, à mon très sincère regret ! Toutes sortes de responsabilités que je n’ai jamais cherchées retombent sur mes épaules. Je suis le chef de la famille, je suis le tuteur de ma nièce. Je suis obligé de me mêler à cette partie de plaisir et, entre nous, je me trouve hors de mon élément. Pas une figure qui me soit familière dans tout ce beau monde. Connaissez-vous quelqu’un dans cette réunion ?

– J’ai un ami à Windygates, dit Arnold. Il y est arrivé ce matin comme vous. C’est Geoffrey Delamayn.

Comme il faisait cette réponse, miss Sylvestre apparut à l’entrée de la serre.

Une ombre de contrariété obscurcit son visage quand elle vit que la place était occupée ; elle disparut sans avoir été remarquée et retourna au jeu.

Sir Patrick regarda le fils de son ancien ami, pour la première fois, avec un air désappointé.

– Le choix d’un tel ami a quelque lieu de me surprendre de votre part, dit-il.

Arnold accepta ces paroles tout naturellement, comme une invitation qui lui était faite à donner des explications rapides.

– Je vous demande pardon, monsieur, il n’y a rien de surprenant à cela, répliqua-t-il. Nous étions camarades de collège à Eton, dans l’ancien temps ; j’ai rencontré depuis Geoffrey Delamayn faisant des excursions en yacht pendant que j’étais sur mon navire. Geoffrey m’a sauvé la vie, sir Patrick, ajouta-t-il en élevant la voix et les yeux brillant d’une honnête admiration pour son ami. Sans lui, je me noyais dans un accident de canot. N’est-ce pas là une bonne raison pour qu’il soit mon ami ?

– Cela dépend entièrement du prix auquel vous estimez votre vie, dit sir Patrick.

– Du prix auquel j’estime ma vie ?… répéta Arnold.