Qu’est-ce que la mort, comparée à la vie qui m’attend ?
Elle toisa Geoffrey d’un air dédaigneux, sa voix s’éleva jusqu’au diapason le plus ferme et le plus élevé.
– Vous, oui, même vous, dit-elle, vous auriez le courage de mourir si vous étiez à ma place !
Geoffrey jeta un regard du côté de la pelouse.
– Taisez-vous, dit-il, on va vous entendre.
– Qu’ils m’entendent !… Quand je touche au moment de n’avoir plus à les entendre, moi, que m’importe !
Il la saisit par la main et la força à se rasseoir.
– Dites votre volonté, reprit-il ; je la ferai. Mais je ne puis pourtant vous épouser aujourd’hui.
– Vous le pouvez !
– Quelle absurdité, ma chère. La maison et les jardins regorgent de monde. Est-ce possible ?
– C’est possible. J’ai pensé à tout cela, et sans cesse, depuis notre arrivée dans cette maison. J’ai une proposition à vous faire. Voulez-vous l’entendre, oui ou non ?
– Parlez plus bas.
– Voulez-vous m’écouter ?
– Quelqu’un vient.
– Voulez-vous m’écouter ? répéta-t-elle.
– Que le diable soit de votre obstination ! Oui !
Cette soumission lui était bien arrachée ; mais c’était la réponse que voulait Anne ; cette réponse ouvrait une porte à l’espérance. Du moment qu’il avait consenti à l’écouter, il devenait urgent qu’on ne les découvrît point dans cette serre où quelque désœuvré pouvait venir.
Elle leva la main pour réclamer de Geoffrey un moment de silence et écouter ce qui se passait sur la pelouse.
Le bruit monotone du maillet frappant sur la boule ne se faisait plus entendre. Le jeu s’était arrêté.
Un moment après, elle entendit son nom. On l’appelait, et une voix qu’elle reconnut disait :
– Je sais où elle est. Je vais la chercher.
Elle se retourna vers Geoffrey et lui montra le fond de la serre.
– C’est à mon tour de jouer, dit-elle ; et Blanche vient me chercher. Attendez ici. Je l’arrêterai sur les marches.
Elle sortit aussitôt. Le moment était critique. La découverte de cette intrigue était la ruine morale de cette femme, la ruine pécuniaire de cet homme. Geoffrey n’avait pas exagéré les difficultés de la situation vis-à-vis de son père.
Lord Holchester avait deux fois payé ses dettes, et depuis il refusait de le voir. Un outrage de plus aux sentiments rigides du vertueux lord en matière de convenances sociales, et Geoffrey se voyait mis hors du testament comme il avait été mis hors de la maison.
Il pensait à tout cela dans la serre et il cherchait un moyen de retraite, car il ne pouvait s’échapper sans être vu par l’entrée principale.
Une porte à l’usage des domestiques quand on servait des dîners ou des collations dans la serre était là, au fond, pratiquée dans le mur.
À la vérité, elle était fermée, mais c’était un obstacle qu’avec sa force il lui était facile de vaincre.
Il appuya son épaule contre la porte.
Au moment où elle cédait sous son effort, il sentit une main qui se posait sur son bras.
Anne était derrière lui, elle était seule.
– Vous pourrez avoir besoin de cette issue tout à l’heure, dit-elle. Vous n’en avez pas besoin à présent. Une autre personne jouera pour moi, j’ai dit à Blanche que je n’étais pas bien. Asseyez-vous. J’ai gagné cinq minutes, il faut les mettre à profit. Les soupçons de lady Lundie peuvent l’amener ici sous prétexte de voir comment je me trouve. Pour le moment, refermez cette porte !
– Arrivez au fait, dit-il avec impatience. De quoi s’agit-il ?
– Vous pouvez m’épouser aujourd’hui, répondit-elle ; écoutez-moi, et je vous dirai comment.
5
LE PLAN
Elle lui prit la main ; elle avait un grand art de persuasion quand elle le voulait.
– Un mot, Geoffrey, avant que je n’en vienne aux choses sérieuses. Lady Lundie vous a invité à rester à Windygates. Acceptez-vous son invitation ou retournez-vous ce soir chez votre frère ?
– Je ne puis retourner ce soir chez mon frère. Ils ont mis un visiteur dans ma chambre, et me voilà obligé de rester ici. Mon frère a fait cela avec intention. Julius me vient en aide, quand je suis dans un trop grand embarras, mais il me malmène après. Il m’a envoyé ici, pour y remplir un devoir de famille.
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