Est-elle ici avec Anne, et Anne va-t-elle mieux ?

Lady Lundie s’avança, se chargeant de répondre elle-même à ces questions.

– Miss Sylvestre s’est retirée dans sa chambre. Miss Sylvestre persiste à se dire malade. Avez-vous remarqué, sir Patrick, que ces sortes de personnes, à demi bien élevées, sont presque invariablement impolies quand elles sont malades.

Le joli visage de Blanche se colora vivement.

– Si vous pensez qu’Anne est une personne à demi bien élevée, lady Lundie, vous serez seule de votre avis. Mon oncle ne se rangera pas à votre opinion, j’en suis bien sûre.

L’intérêt que prenait sir Patrick au premier quadrille devint presque pénible à voir.

– Dites-moi, ma chère, je vous prie, quand la danse va-t-elle commencer ?

– Le plus tôt sera le mieux, dit lady Lundie. Il faut danser avant que Blanche n’ait trouvé l’occasion d’une nouvelle querelle avec moi, au sujet de miss Sylvestre.

Blanche regarda son oncle.

– Commencez !… commencez !… ne perdez pas de temps ! s’écria l’ardent sir Patrick, en montrant du bout de sa canne le chemin de la maison.

– Certainement, cher oncle ! Tout pour vous être agréable.

Après ce trait lancé en partant à sa belle-mère, Blanche s’éloigna. Arnold, qui avait attendu à distance, en bas des marches, implora sir Patrick du regard.

Le train qu’il devait prendre pour se rendre à la propriété dont il venait d’hériter partait dans moins d’une heure, et il ne s’était pas encore présenté au tuteur de Blanche dans son nouveau caractère de prétendant à la main de sa pupille ! Mais l’indifférence de sir Patrick pour ses devoirs de famille, qu’il s’agît de ceux qu’il aimait ou de ceux qu’il n’aimait pas, restait parfaitement indomptable.

Le baronnet restait là debout, appuyé sur sa canne, chantonnant tout bas un vieil air écossais et, près de lui, restait également lady Lundie, résolue à ne pas le quitter avant d’avoir réussi à lui faire voir l’institutrice comme ses yeux à elle la voyaient, à la lui faire juger, comme sa droite raison la jugeait.

Elle revint donc à la charge, en dépit de l’affectation de sir Patrick à continuer sa petite chanson, en dépit de la présence d’Arnold et de son impatience.

Les ennemis de Milady disaient :

– Il n’y a pas à s’étonner que le pauvre sir Thomas soit mort si vite après son mariage !

Malheureusement, nos ennemis ont quelquefois raison.

– Je dois vous rappeler encore une fois, sir Patrick, que j’ai de fortes raisons de douter que miss Sylvestre soit une compagne convenable pour Blanche. Notre institutrice a quelque chose dans la tête. Ce sont des accès de larmes quand elle est seule. Elle reste debout et se promène dans sa chambre aux heures où elle devrait être couchée et dormir. Elle met elle-même ses lettres à la poste et… tout récemment, elle a été excessivement insolente avec moi. Il y a quelque chose dans tout cela qui n’est pas naturel. Il faut que je prenne un parti à son égard… et les plus simples convenances veulent que je n’agisse qu’avec votre assentiment, puisque vous êtes le chef de la famille.

– Lady Lundie, j’abdique mes droits en votre faveur.

– Sir Patrick, permettez-moi de vous faire observer que je parle sérieusement… J’attends une réponse sérieuse.

– Ma chère dame, demandez-moi tout ce que vous voudrez, et je suis entièrement à votre service ; mais pour une réponse sérieuse, je n’en ai pas fait depuis que j’ai dit adieu aux affaires et quitté le barreau écossais. À mon âge, rien n’est sérieux que l’indigestion. Je dis avec le philosophe : « La vie est une comédie pour celui qui pense. »

Il prit en même temps la main de sa belle-sœur et la baisa.

– Chère lady Lundie, vous êtes trop sensible !

Lady Lundie, qui de sa vie n’avait été sensible, et qui le savait bien, pensa que son beau-frère se moquait d’elle. Elle était offensée et le fit voir clairement.

– Quand je vous ai appelé, sir Patrick, à juger la conduite de miss Sylvestre, reprit-elle, je me serais bien mal exprimée sans doute, sans quoi vous auriez bien compris que vous deviez considérer mes inquiétudes comme n’étant pas du tout plaisantes.

Sur ces mots, elle sortit de la serre et favorisa ainsi les intérêts d’Arnold, en rendant enfin la liberté au tuteur de Blanche.

L’occasion était excellente. Les hôtes étaient rentrés dans la maison, il n’y avait pas à craindre d’être interrompu. Arnold entra. Sir Patrick, qui n’avait en aucune façon troublé la sortie de lady Lundie, prit un siège sans remarquer son jeune ami, tout en s’adressant à lui-même une question reposant sur une profonde étude du sexe féminin.

« Y a-t-il jamais eu une femme en querelle avec une autre femme, pensa le vieux gentleman, qui n’ait senti le besoin d’y mêler un homme ? »

Arnold avança d’un pas.

– J’espère n’être pas importun, sir Patrick ?

– Importun ! certainement non ! Miséricorde, comme ce garçon a l’air sérieux ! Êtes-vous aussi sur le point d’en appeler à moi comme au chef de la famille ?

C’était justement ce qu’Arnold voulait faire. Mais il comprit que s’il le faisait trop vite, sir Patrick, par quelque raison nouvellement survenue, se refuserait à l’écouter. Il répondit prudemment :

– Je vous ai demandé la permission de vous consulter sur mon avenir, et vous m’avez répondu que vous m’en donneriez l’occasion avant mon départ de Windygates.

– Oui ! oui ! c’est positif ; je me le rappelle. Nous étions tous deux engagés dans la sérieuse affaire du croquet, et il y avait doute sur lequel de nous deux s’en tirerait le plus maladroitement. Eh bien ! voici l’occasion trouvée. Je suis là ; et toute mon expérience du monde est à votre service. J’ai seulement un avertissement à vous donner. N’en appelez pas à moi en qualité de chef de la famille ; j’ai abdiqué entre les mains de lady Lundie.

Il parlait comme d’habitude, moitié sur le ton plaisant, moitié sur le ton sérieux. Le rictus creusé par son humeur sarcastique grimaçait au coin de ses lèvres. Arnold était fort embarrassé pour savoir comment aborder, avec sir Patrick, ce qui regardait sa nièce, sans lui rappeler ses responsabilités domestiques, et surtout sans attirer sur lui les traits railleurs du baronnet. Dans cette position difficile, il commit une maladresse dès le début ; il hésita.

– Ne vous pressez pas, dit Sir Patrick, rassemblez vos idées… Je puis attendre !

Arnold, en effet, rassemblait ses idées et commit une seconde maladresse ! Il se détermina à tâter prudemment le terrain avant de commencer. Dans les circonstances présentes, et avec un homme comme celui auquel il avait affaire, c’était peut-être le plus mauvais parti qu’il pût prendre. La souris essayait de jouer avec le chat.

– Vous avez été très bon, monsieur, en m’offrant de me faire bénéficier de votre expérience, dit-il.