Arnold commençait à saisir le sens de cette leçon bouffonne. Il vit bien qu’il n’arriverait pas à circonvenir sir Patrick, et il se décida, quoi qu’il en pût arriver, à aborder son sujet en face.

– Tout cela peut être parfaitement vrai de certaines jeunes femmes, monsieur, dit-il ; mais j’en connais une que vous connaissez aussi bien que moi, puisqu’elle est de votre famille, et qui ne mérite pas ce que vous dites des autres personnes de son sexe.

C’était arriver au fait. À la bonne heure ! Sir Patrick montra bien qu’il ne désapprouvait pas la franchise d’Arnold, en répondant cette fois sans figures.

– Cette femme phénomène est ma nièce ? demanda-t-il.

– Oui, sir Patrick.

– Puis-je vous demander comment vous savez que ma nièce n’est pas un article falsifié, au même titre que les autres ?

L’indignation d’Arnold rompit les derniers liens qui enchaînaient sa timidité, et cette indignation généreuse fit explosion en trois mots qui en disaient autant que trois volumes des cabinets de lecture du royaume.

– Je l’aime !

Sir Patrick se renversa sur le dossier de sa chaise, étendant ses jambes de toute leur longueur.

– C’est la réponse la plus sincère que j’aie entendue de ma vie, dit-il.

– Je parle sérieusement, dit Arnold, indifférent à toute autre considération que le but unique qu’il poursuivait. Mettez-moi à l’épreuve !…

– Oh ! très bien ! L’épreuve est facile à faire.

Sir Patrick regardait Arnold, et le feu de son indomptable malice brillait encore dans ses yeux et dans le pli railleur de ses lèvres.

– Ma nièce a un beau teint… Croyez-vous à ce teint-là ?

– Il y a un beau ciel au-dessus de nos têtes, répondit Arnold, je crois au ciel.

– Bon !… répliqua sir Patrick. On dirait que vous n’avez jamais été surpris par une averse. Ma nièce a une quantité de cheveux. Êtes-vous convaincu qu’ils ont tous poussé sur sa tête ?

– Je défie toute autre femme d’en montrer de semblables.

– Mon cher Arnold, vous vous trompez grandement. Vous ne connaissez point les ressources de ce commerce des cheveux. À votre premier voyage à Londres, regardez les vitrines des boutiques. Mais que pensez-vous de l’ensemble de la personne de ma nièce ?

– Monsieur, tout homme ayant des yeux peut voir que sa personne est la plus gracieuse qui soit au monde.

– C’est bien parler, mon brave garçon ! Mais les personnes à tournure gracieuse sont la chose la plus commune. On peut estimer qu’il y a ici une quarantaine de dames. Chacune d’elles a une charmante tournure. Il y a des degrés sans doute. Quand vous rencontrerez des séductions particulières, vous pourrez être sûr que cette diablerie vient tout droit de Paris. Mais de quel air étonné vous me regardez ! Quand je vous demandais ce que vous pensiez de l’ensemble de la personne de ma nièce, je voulais dire ceci : qu’est-ce qui vient de la nature ? qu’est-ce qui vient de la boutique du marchand ? Je n’en sais rien, remarquez-le… et vous ?

– Je jurerais que tout jusqu’à la plus petite parcelle…

– Vient de chez le marchand ?

– Eh ! non, monsieur, de la nature !

Sir Patrick se leva. Son humeur railleuse était à la fin réduite au silence.

« Si j’ai jamais un fils, pensa-t-il, ce fils ira à la mer. »

Il prit le bras d’Arnold, ce qui était comme un préliminaire de sa bonne intention de mettre un terme à l’état d’incertitude cruelle où il le voyait.

– Si je puis être sérieux en quelque chose, reprit-il, je vais essayer de l’être avec vous. Je suis convaincu de la sincérité de votre attachement pour Blanche, et tout ce que je sais de vous est en votre faveur. Votre naissance, votre position sont en dehors de toute discussion. Si vous avez le consentement de ma nièce, vous avez le mien.

Arnold essaya d’exprimer sa gratitude ; sir Patrick, sans vouloir l’entendre, continua :

– Mais rappelez-vous ceci pour l’avenir. Quand vous aurez quelque chose à me demander qui dépendra de moi, demandez-le clairement ; n’essayez pas de m’envelopper, et je vous promets de ne pas me faire un jeu de vous échapper à mon tour. Voilà qui est bien entendu. Maintenant, parlons de votre voyage dans vos propriétés. La propriété a ses devoirs, maître Arnold, aussi bien que ses droits. Le temps approche à grands pas où ces droits seront discutés si ces devoirs ne sont pas accomplis. J’ai un motif nouveau pour prendre intérêt à vous, et j’entends que vous fassiez votre devoir. Il est arrêté que vous quittez Windygates aujourd’hui ; tout est-il arrangé pour votre départ ?

– Oui, sir Patrick. Lady Lundie a eu la bonté d’ordonner qu’un phaéton me conduise à la station pour le premier train.

– Quand devez-vous être prêt ?

Arnold regarda sa montre.

– Dans un quart d’heure.

– Très bien. Soyez là. Attendez un instant. Vous aurez tout le temps de parler à Blanche quand j’en aurai fini avec vous.