Vous ne me paraissez pas suffisamment impatient de voir votre propriété.
– Je ne suis nullement impatient de quitter Blanche, monsieur, voilà la vérité.
– Ne songez pas à Blanche. Blanche n’a rien de commun avec les affaires. J’ai entendu dire qu’il vous était échu en partage l’une des plus belles résidences de cette partie de l’Écosse. Combien de temps allez-vous y rester ?
– Il est entendu, comme je vous l’ai déjà dit, que je dois être de retour à Windygates après-demain.
– Comment ! voilà un homme qu’un palais attend pour le recevoir et il n’y restera qu’un jour !
– Je n’y vais pas pour y séjourner du tout, sir Patrick… C’est l’intendant surtout que je veux voir. Je suis attendu demain pour un dîner donné à mes fermiers ; quand ce dîner aura eu lieu, rien au monde ne pourra m’empêcher de revenir. L’intendant m’a écrit lui-même, dans sa dernière lettre, que rien ne m’en empêcherait.
– Oh ! si l’intendant vous l’a écrit, il n’y a plus un mot à dire.
– Ne faites pas d’opposition à mon retour, je vous en prie, sir Patrick ! Je vous promets de vivre dans ma nouvelle demeure quand je pourrai y conduire Blanche avec moi. Si vous le permettez, j’irai à l’instant lui dire que tout ce qui m’appartient est à elle aussi bien qu’à moi-même.
– Doucement !… doucement !… vous parlez comme si, déjà, vous étiez marié.
– C’est comme si c’était fait, monsieur…
Arnold fut interrompu par l’ombre d’une tierce personne qui se projeta sur un espace éclairé par le soleil, au sommet de l’escalier. Un moment après, l’ombre fut suivie par un corps, sous la forme d’un groom revêtu de sa livrée de cheval. Cet homme était complètement étranger à la maison. Il porta la main à son chapeau en voyant les deux gentlemen dans la serre.
– Que demandez-vous ? dit sir Patrick.
– Pardon, monsieur, j’étais envoyé par mon maître…
– Qui est votre maître ?
– L’Honorable Mr Delamayn, monsieur.
– Voulez-vous parler de Mr Geoffrey Delamayn ? demanda Arnold.
– Non, monsieur. Du frère de Mr Geoffrey… de Mr Julius. Je suis parti à cheval de la maison avec un message de mon maître pour Mr Geoffrey.
– N’avez-vous pas pu le trouver ?
– On m’a dit qu’il était dans ces environs ; mais je suis étranger ici et je me suis égaré.
Il s’arrêta et tira une carte de sa poche.
– Mon maître m’a dit qu’il était très important de lui remettre cette carte immédiatement. Seriez-vous assez bon, messieurs, pour me dire si vous savez où est Mr Geoffrey ?
Arnold se retourna du côté de sir Patrick.
– Je ne l’ai pas vu… et vous ?
– Je l’ai senti, répondit sir Patrick, depuis le moment où je suis entré dans cette serre. Il y a ici une détestable odeur de tabac dans l’air qui rappelle, désagréablement, à mon esprit, le voisinage de votre ami Mr Delamayn.
– Si vous êtes dans le vrai, sir Patrick, dit Arnold en riant, nous allons le trouver à l’instant même.
Il regarda tout autour de lui et cria :
– Geoffrey !
Une voix partant du jardin des roses répondit.
Geoffrey s’avança, l’air de mauvaise humeur, sa pipe à la bouche et les mains dans ses poches.
– Qui me demande ?
– Un domestique de votre frère.
Cette réponse parut secouer la torpeur de l’athlète. Geoffrey se dirigea d’un pas plus vif vers la serre, et s’adressant au groom, l’inquiétude peinte sur le visage, il s’écria :
– Par Jupiter ! Ratcatcher a eu une rechute.
Sir Patrick et Arnold se regardèrent avec étonnement.
– Le meilleur cheval des écuries de mon frère ! reprit Geoffrey, leur donnant ses explications tout d’une haleine. J’ai laissé des instructions écrites au cocher. J’ai mesuré ses médecines pour trois jours. Je l’ai saigné, ajouta-t-il d’une voix brisée par l’émotion, je l’ai saigné moi-même hier au soir.
– Je vous demande pardon, monsieur, murmura le groom.
– À quoi bon me demander pardon ? Vous êtes un tas d’imbéciles. Où est votre cheval ? Je vais le monter, retourner à la maison, et rompre les os au cocher ! Où est votre cheval ?
– Sous votre bon plaisir, monsieur, il ne s’agit pas de Ratcatcher… Ratcatcher est très bien.
– Ratcatcher est très bien ? De quoi s’agit-il alors ?
– C’est un message, monsieur.
– Au sujet de quoi et de qui ?
– Au sujet de Mylord.
– Oh ! mon père ?
Il tira son mouchoir et le passa sur son front de l’air d’un homme soulagé d’une cruelle angoisse.
– Je pensais qu’il s’agissait de Ratcatcher, reprit-il en regardant Arnold avec un sourire.
Il remit sa pipe à sa bouche et même la ralluma.
– Eh bien, continua-t-il, quand la pipe fonctionna régulièrement, et cette fois sa voix était parfaitement calme, qu’y a-t-il au sujet de mon père ?
– Un télégramme arrivé de Londres ; de mauvaises nouvelles de Mylord.
Le groom tendit la carte de son maître.
Geoffrey y lut ces mots de la main de son frère :
Je n’ai que le temps de vous écrire ces quelques mots sur cette carte. Notre père est dangereusement malade. Son homme de loi a été appelé auprès de lui. Venez avec moi à Londres par le premier train. Nous nous rencontrerons au point de jonction des deux lignes.
Sans un mot adressé à l’une des trois personnes qui l’observaient en silence, Geoffrey regarda sa montre. Anne lui avait dit d’attendre une demi-heure, et de la considérer comme partie s’il n’avait pas entendu parler d’elle. Le temps était passé, et aucune nouvelle d’Anne, de quelque sorte que ce fût, ne lui était arrivée.
Sa fuite de la maison s’était donc accomplie sans obstacle. Anne Sylvestre était, en ce moment, en route pour l’auberge de la montagne.
7
LA DETTE
Arnold fut le premier à rompre le silence.
– Votre père est-il sérieusement malade ? demanda-t-il.
Geoffrey lui répondit en lui tendant la carte.
Sir Patrick, qui s’était tenu à l’écart pendant que la question de la rechute de Ratcatcher était sur le tapis, étudiant les mœurs et les manières de la jeunesse anglaise, s’avança et prit part à la conversation. Lady Lundie elle-même aurait été obligée de convenir qu’il parla et qu’il agit en cette occasion comme il convenait au chef de la famille.
– Ai-je lieu de supposer que le père de Mr Delamayn est dangereusement malade ? demanda-t-il en s’adressant à Arnold.
– Dangereusement malade, à Londres, répondit Arnold. Geoffrey est dans l’obligation de quitter Windygates avec moi. Le train que je prends rencontre celui qu’a pris son frère, au point de jonction des deux lignes. Je le quitterai à la dernière station.
– Ne m’avez-vous pas dit que lady Lundie devait vous faire conduire à la station dans un phaéton ?
– Oui.
– Si le domestique conduit, vous serez trois, et vous n’auriez pas assez de place, nous pouvons demander qu’on attelle une autre voiture.
Sir Patrick consulta sa montre.
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