Vous y allez à ma place.
– Et je dois me présenter en demandant ma femme… ou j’expose miss Sylvestre à de désagréables conséquences.
– Vous n’avez pas d’objection à faire ?
– Non, je ne me soucie guère de ce que j’aurais à dire aux gens de l’auberge ; c’est l’entrevue avec miss Sylvestre qui m’effraye.
– Je vais tout arranger à votre satisfaction, ne craignez rien !
Il s’approcha de la table et griffonna rapidement quelques lignes, puis s’arrêta et se mit à réfléchir.
« Cela suffira-t-il ? se demandait-il à lui-même. Non. Il faut lui dire quelques bonnes paroles pour la tranquilliser. »
Il réfléchit encore, ajouta une ligne, et posa sa main sur la table en faisant claquer sa langue d’un air satisfait.
– Voilà l’affaire faite ! Lisez, Arnold… Ce n’est pas si mal tourné.
Arnold lut la lettre sans paraître partager la bonne opinion qu’en avait son ami.
– C’est un peu bref, dit-il.
– Ai-je le temps d’en écrire plus long !
– Peut-être avez-vous raison. Mais mettez miss Sylvestre à même de juger que vous n’aviez pas le temps de vous étendre davantage. Le train part dans moins d’une demi-heure. Indiquez l’heure à laquelle vous écrivez.
– Oh ! très bien, et la date aussi, si vous voulez.
Il venait d’ajouter les mots et les chiffres demandés par Arnold et lui avait remis la lettre ainsi achevée, quand sir Patrick reparut.
Le phaéton les attendait.
– Allons, dit-il, vous n’avez pas un moment à perdre.
Geoffrey se leva vivement, Arnold hésita.
– Il faut que je voie Blanche, dit-il. Je ne puis quitter Blanche sans lui dire adieu. Où est-elle ?
Sir Patrick montra les marches en souriant. Blanche l’avait suivi lorsqu’il avait quitté la maison. Arnold courut près d’elle.
– Vous partez ? dit-elle un peu tristement.
– Je serai de retour dans deux jours, murmura Arnold.
– Tout va bien… Sir Patrick consent !…
Elle prit vivement son bras. Ces adieux précipités devant témoins ne semblaient pas être de son goût.
– Vous manquerez le train, dit sir Patrick.
Geoffrey saisit le bras par lequel Blanche tenait Arnold et l’arracha littéralement à l’étreinte de la jeune fille. Tous deux avaient déjà disparu derrière les arbustes avant que l’indignation de Blanche eût pu se faire jour.
– Pourquoi ce brutal s’en va-t-il avec Mr Brinkworth ? demanda-t-elle.
– Mr Delamayn est appelé à Londres par la maladie de son père, répondit sir Patrick. Vous ne l’aimez pas.
– Je le hais.
Sir Patrick réfléchit un instant.
« Blanche est une jeune fille de dix-huit ans, se disait-il, et moi, je suis un vieillard de soixante-dix ans. Il est assez curieux que nous puissions être du même avis sur quelque chose ; et, ce qui est plus curieux encore, c’est que nous puissions nous trouver d’accord tous deux pour ne pas aimer Mr Delamayn. »
Il sortit de sa méditation pour regarder Blanche. Elle était assise devant la table la tête appuyée sur sa main. Rêveuse, l’esprit perdu dans le vague, elle pensait à Arnold. L’avenir s’ouvrait devant elle, et pourtant ses pensées ne semblaient pas la rendre heureuse.
– Eh bien ! Blanche ! Blanche ! s’écria sir Patrick, on croirait qu’il est parti pour un voyage autour du monde. Folle enfant ! il sera de retour après-demain.
– J’aurais désiré qu’il ne partît pas avec cet homme ! dit Blanche, j’aurais désiré qu’il n’eût pas cet homme pour ami.
– Dame ! dame ! cet homme-là est assez brutal, j’en conviens. Mais rassurez-vous, il doit le quitter à la deuxième station. Retournons à la salle de bal. Dansez, ma chère, dansez pour chasser les idées sombres.
– Non, répliqua Blanche, je ne suis pas en humeur de danser, je veux causer avec Anne.
– C’est ce que vous ne ferez pas, dit la voix d’une troisième personne, prenant soudainement part à la conversation.
L’oncle et la nièce relevèrent tous deux la tête et virent lady Lundie au haut des marches de la serre.
– Je vous défends de prononcer encore le nom de cette femme devant moi, poursuivit Sa Seigneurie. Sir Patrick, je vous avais averti, si vous voulez bien vous le rappeler, que la question de l’institutrice n’était pas matière à plaisanterie. Mes plus mauvais soupçons sont réalisés, miss Sylvestre a quitté la maison !
8
LE SCANDALE
Il était encore de bonne heure dans l’après-midi, quand les hôtes de lady Lundie commencèrent à chuchoter dans les coins. La conviction générale était que quelque chose allait mal.
Blanche avait mystérieusement disparu, laissant en souffrance ses engagements envers ses danseurs. Lady Lundie avait non moins mystérieusement abandonné ses hôtes.
Blanche n’était pas revenue. Lady Lundie au contraire avait reparu avec un sourire contraint sur les lèvres. Elle avoua qu’elle ne se portait pas bien. La même excuse avait été donnée pour Blanche, la même excuse pour expliquer la retraite de miss Sylvestre de la partie de croquet. Un homme d’esprit parmi les hôtes déclara que cela lui suggérait l’envie de conjuguer le verbe : Je ne suis pas bien ; tu n’es pas bien ; elle n’est pas bien, etc.
Sir Patrick également ; le sociable sir Patrick, se tenait à l’écart et se promenait de long en large dans la partie la plus solitaire du jardin. Et les domestiques (cette influence semblait avoir aussi gagné les domestiques) se permettaient de tenir des conciliabules, tout comme leurs maîtres.
Les femmes de chambre apparaissaient brusquement dans des lieux où elles n’avaient que faire.
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