Il ne savait que faire et qui dire… il garda le silence.
Anne répéta sa question un peu plus haut :
– Est-ce vous ?
Il allait l’alarmer si elle ne recevait pas de réponse. D’ailleurs il ne pouvait plus reculer. Quoi qu’il pût en résulter, il répondit donc à voix basse :
– Oui.
La porte s’ouvrit toute grande et Anne parut.
– Mr Brinkworth ! s’écria-t-elle.
Pendant un moment ils demeurèrent muets l’un et l’autre puis Anne avança d’un pas et posa la terrible question – elle venait de passer de la surprise à la méfiance :
– Que venez-vous faire ici ?
Présenter la lettre de Geoffrey, c’était la seule excuse qu’Arnold put invoquer pour le moment.
– Je suis porteur d’une lettre pour vous, dit-il.
Et il lui tendit la lettre.
Elle était désormais sur ses gardes. Ainsi qu’Arnold l’avait dit à Geoffrey, il était à peu près étranger à miss Sylvestre. Anne le regardait ; le vague pressentiment d’une trahison de son amant lui faisait froid au cœur. Elle refusa de prendre le billet que lui présentait Arnold.
– Je n’attends pas de lettre, dit-elle. Qui vous a dit que j’étais ici ?
Elle posa cette seconde question, non seulement sur le ton du plus amer soupçon, mais en l’accompagnant d’un coup d’œil de mépris. Un pareil regard n’était pas chose facile à supporter. Arnold dut exercer une certaine contrainte sur lui-même avant de lui répondre, de peur de ne point le faire avec les égards qu’elle méritait.
– Mes actions sont-elles soumises à un espionnage ? continua-t-elle.
Visiblement, elle se laissait gagner par la colère.
– Et vous êtes-vous chargé du rôle de l’espion ?
– Vous ne me connaissez pas depuis longtemps, miss Sylvestre, répondit tranquillement Arnold ; mais vous devriez me connaître assez cependant pour ne pas dire de ces choses. Je suis porteur d’une lettre de Geoffrey.
– Voulez-vous parler de Mr Delamayn ? demanda-t-elle froidement.
– Oui.
– Quels motifs peut avoir Mr Delamayn pour m’écrire une lettre ?
Elle était résolue à ne rien reconnaître ; elle tenait obstinément Arnold à distance. Celui-ci fit, par instinct, ce qu’un homme ayant une plus grande expérience aurait fait par calcul : il engagea l’action.
– Miss Sylvestre, il est inutile de battre les buissons. Si vous ne voulez pas prendre la lettre, vous me forcerez à parler. Je viens ici chargé d’une désagréable mission. Je commence à regretter au fond du cœur de l’avoir acceptée.
Une violente expression de douleur se peignit sur le visage d’Anne ; elle commençait vaguement à comprendre. Arnold hésita. Sa généreuse nature le faisait encore reculer devant la crainte de la blesser.
– Continuez ! dit-elle avec effort.
– Ne vous mettez pas en colère contre moi, miss Sylvestre. Geoffrey et moi nous sommes de vieux amis ; il sait qu’il peut se fier à Arnold Brinkworth…
– Se fier à vous ? interrompit-elle ; arrêtez !
Arnold attendit. Elle continua, se parlant à elle-même :
– Quand j’étais dans la chambre, j’ai demandé si Geoffrey était là. Et cet homme a répondu pour lui.
Elle bondit en avant avec un cri d’horreur.
– Vous avait-il dit ?…
– Pour l’amour du ciel ! lisez sa lettre.
Elle repoussa violemment la main d’Arnold.
– Vous ne me regardez pas ? Il vous a tout dit !
– Lisez, répéta-t-il, par un sentiment de justice envers lui, si ce n’est par esprit de justice envers moi.
La situation devenant trop cruelle, Arnold avait rassemblé son courage et la regardait, cette fois, avec la résolution d’un homme ; il lui parlait d’un ton ferme. Elle prit le billet.
– Je vous demande pardon, monsieur, dit-elle avec une soudaine humilité douloureuse à voir, je comprends enfin ma position. Je suis une femme doublement trahie. Je vous en prie, excusez ce que je vous ai dit tout à l’heure, quand je supposais encore avoir quelque droit à votre respect. Peut-être consentirez-vous à m’accorder votre pitié. Je ne demande rien de plus.
Arnold gardait le silence. Les paroles étaient inutiles en présence d’un aussi complet abandon d’elle-même. Aucun homme, fût-ce Geoffrey, n’aurait pu s’empêcher de se sentir ému.
Pour la première fois, les regards de miss Sylvestre se portèrent sur la lettre. Elle l’ouvrit du mauvais côté.
– Ma lettre ! se dit-elle à elle-même. Ma lettre entre les mains d’un autre homme !
– Regardez la dernière page, dit Arnold.
Elle retourna le pli et lut les quelques lignes au crayon que Geoffrey y avait tracées à la hâte.
– Misérable !… misérable !… misérable !… s’écria-t-elle.
En répétant ce mot pour la troisième fois, elle froissa la lettre dans sa main et la jeta à l’autre bout de la pièce. Un instant après le feu de sa colère s’éteignit. Sentant ses forces l’abandonner, elle étendit lentement la main vers le dossier de la chaise la plus proche et s’y laissa tomber, tournant le dos à Arnold.
– Il m’a abandonnée !
Ce fut tout ce qu’elle dit.
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