Ah ! Je n’aurais rien à désirer au monde, si Arnold pouvait me voir !
En regardant dans la glace, elle y aperçut le visage d’Anne qui s’y reflétait derrière le sien, et elle tressaillit.
– Qu’avez-vous ? demanda-t-elle. Votre visage me fait peur.
Il était inutile de prolonger cette situation pénible et ce fatal malentendu. Le seul parti à prendre était de mettre un terme à toutes les questions de Blanche. Quelque fortement convaincue que fût Anne de la nécessité d’agir ainsi, sa longue habitude de sincérité vis-à-vis de Blanche la fit reculer devant l’obligation de lui mentir en face.
« Je puis écrire cela, pensa-t-elle, je ne puis le dire, quand Arnold est ici, sous le même toit qu’elle ! »
Écrire !
En revenant sur ce mot, une idée soudaine la frappa. Elle ouvrit la porte de la chambre à coucher et invita Blanche à la suivre dans le salon.
– Encore parti ! s’écria Blanche qui promenait un regard tout autour de la chambre vide. Anne, il y a quelque chose d’étrange dans tout ceci. Il n’est pas juste, il n’est pas bien, de me refuser votre confiance, après que nous avons vécu comme deux sœurs toute notre vie.
Anne soupira douloureusement et l’embrassa sur le front.
– Vous connaîtrez tout ce que je ne puis… tout ce que je n’ose vous dire, fit-elle tendrement. Ne m’adressez pas de reproches. J’en souffre plus que vous ne pouvez le penser.
Elle alla vers la table et revint avec une lettre à la main.
– Lisez cela, dit-elle en la tendant à Blanche.
Blanche vit son nom sur l’adresse écrite de la main de son amie.
– Qu’est-ce que cela signifie ? demanda-t-elle.
– Je vous ai écrit après le départ de sir Patrick, répondit Anne. Je voulais faire en sorte que ma lettre vous arrivât demain, à temps pour prévenir les imprudences que votre inquiétude pouvait vous pousser à commettre. Tout ce que je puis vous dire est écrit là. Épargnez-moi le tourment de parler. Lisez, Blanche !
– Une lettre de vous… à moi !… quand nous sommes ensemble… quand nous sommes toutes deux seules dans la même chambre !… C’est plus que de la cérémonie, Anne, c’est comme s’il y avait une querelle entre nous. Pourquoi serait-ce un tourment pour vous que de me parler ?
Les yeux d’Anne s’abaissèrent sur le tapis ; elle étendit le doigt et montra la lettre. Blanche brisa le cachet.
Elle passa rapidement sur les premières phrases, toute son attention se concentra sur le second paragraphe.
Et maintenant, ma chérie, vous vous attendez à ce que je m’excuse de la surprise et de la peine que je vous ai causées, en vous expliquant quelle est ma situation réelle et en vous disant tous mes plans d’avenir.
Chère Blanche !
Ne me croyez pas infidèle à l’affection que nous nous sommes vouées l’une à l’autre. Ne croyez pas qu’il y ait quoi que ce soit de changé dans mes sentiments pour vous. Croyez seulement que je suis une femme malheureuse, dans une terrible position, qui me force, bien malgré moi, à garder le silence… même vis-à-vis de vous, ma sœur de mon cœur, la personne au monde qui m’est la plus chère ! Un temps peut venir où il me sera possible de tout vous dire. Oh ! que de soulagement pour moi ! À présent, il faut me taire, et nous devons rester séparées. Dieu sait ce qu’il m’en coûte pour écrire ce mot ! Je pense à ces chers anciens jours qui sont passés. Je me rappelle la promesse que j’ai faite, à votre mère, d’être votre sœur aînée, à votre mère qui a été un ange du ciel pour la mienne. Tout cela me revient à la pensée en ce moment et me brise le cœur. Mais il faut qu’il en soit ainsi, ma chère et bien-aimée Blanche, il le faut. Je vous écrirai souvent. Je penserai à vous, ma chérie, nuit et jour, jusqu’au temps plus heureux où nous pourrons nous retrouver ensemble. Que Dieu vous protège, ma bien-aimée, et qu’il me vienne en aide !
Blanche traversa la pièce en silence, se dirigeant vers le sofa sur lequel Anne était assise et resta un moment debout à la regarder. Puis elle s’assit et appuya sa tête sur l’épaule de son amie. Tristement et tranquillement, elle mit la lettre dans son corsage, prit la main d’Anne et la baisa.
– Toutes mes questions ont reçu leurs réponses, ma chère. J’attendrai votre moment.
Cela était dit avec douceur et générosité.
Anne fondit en larmes.
La pluie tombait toujours, mais l’orage touchait à sa fin.
Blanche quitta le sofa et, allant à la fenêtre, ouvrit les volets pour regarder au-dehors. Elle revint soudain auprès d’Anne.
– Je vois des lumières, dit-elle, les lumières d’une voiture à travers l’obscurité qui couvre le marais. On envoie de Windygates à ma poursuite.
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