Rentrez dans votre chambre. Il n’est pas impossible que lady Lundie se soit décidée à venir elle-même.
L’état ordinaire des relations entre les deux amies était complètement renversé. Anne était comme une enfant entre les mains de Blanche. Elle se leva et sortit.
Restée seule, Blanche retira la lettre de son corsage et la relut, tout en attendant l’arrivée de la voiture.
Cette seconde lecture la confirma dans la résolution qu’elle avait prise mentalement, tandis qu’elle était assise sur le sofa d’Anne, résolution destinée à amener dans l’avenir de plus sérieux résultats qu’il ne lui était aisé de le prévoir. Sir Patrick était la seule personne qu’elle connût, sur la discrétion et sur l’expérience de laquelle elle pût implicitement se reposer. Elle était donc décidée, dans l’intérêt d’Anne, à mettre son oncle dans sa confidence et à lui dire tout ce qui s’était passé à l’auberge.
« J’obtiendrai d’abord mon pardon, pensait-elle, et alors je verrai s’il pense comme moi, quand je lui aurai tout dit au sujet d’Anne. »
La voiture s’arrêta, et Mrs Inchbare introduisit dans sa maison, non pas lady Lundie, mais la femme de chambre de cette dame.
La relation faite par cette femme de ce qui était arrivé à Windygates fut assez brève. Lady Lundie, comme de raison, ne s’était pas trompée sur la cause du départ de Blanche dans sa voiture.
Elle avait ordonné à l’instant qu’on attelât un autre véhicule avec l’intention de se mettre elle-même à la poursuite de sa belle-fille. Mais les agitations et les tourments de la journée l’avaient trouvée sans force suffisante. Elle avait été saisie par une de ces crises de vertiges et d’étourdissements auxquelles elle était toujours sujette après une violente irritation, et toute désireuse qu’elle fût, pour plus d’une raison, de se rendre elle-même à l’auberge, elle avait été forcée, en l’absence de sir Patrick, de charger du soin de se mettre à la poursuite de Blanche sa femme de chambre, dans l’âge et le bon sens de laquelle elle pouvait avoir toute confiance.
Cette femme, voyant l’état du temps, avait eu la judicieuse pensée d’apporter un carton contenant ce qui était nécessaire à Blanche pour changer de vêtements. En présentant le carton à Blanche, elle ajouta, avec tout le respect qui lui était dû, qu’elle avait plein pouvoir de sa maîtresse pour se rendre au pavillon de chasse et remettre l’affaire entre les mains de sir Patrick.
Cela dit, elle laissa à sa jeune maîtresse le soin de décider si elle consentait ou non à retourner à Windygates dans les circonstances présentes.
Blanche prit le carton et rejoignit Anne dans la chambre à coucher, afin de s’habiller.
– Je vais trouver au retour une bonne querelle, dit-elle à Anne, mais une querelle n’est pas une nouveauté, dans mes relations avec lady Lundie. Cela ne m’inquiète pas, Anne… je ne suis inquiète que de vous. Puis-je être sûre d’une chose… c’est que vous resterez ici pour le moment ?
Le pire qui pouvait arriver à l’auberge était arrivé. Il n’y avait rien à gagner, maintenant, et il y avait tout à perdre, à quitter l’endroit où Geoffrey avait promis de lui écrire. Anne répondit qu’elle se proposait de demeurer à l’auberge.
– Vous promettez aussi de m’écrire ?
– Oui.
– S’il y a quelque chose que je puisse faire pour vous…
– Il n’y a rien, ma chérie.
– Il peut survenir quelque chose. Si vous avez besoin de me voir, vous pouvez venir à Windygates, sans crainte d’être découverte. Venez à l’heure du lunch, passez par le potager et entrez par la porte-fenêtre dans la bibliothèque. Vous savez aussi bien que moi qu’il n’y a personne dans la bibliothèque à cette heure. Ne dites pas que c’est impossible. On ne sait pas ce qui peut arriver. J’attendrai dix minutes chaque jour la chance de vous voir. C’est convenu. Il est aussi convenu que vous m’écrirez. Avant que je ne parte, ma chérie, tâchons de songer à l’avenir.
À ces mots, Anne secoua soudain la torpeur qui l’accablait, saisit Blanche dans ses bras et la pressa avec énergie contre son sein.
– Serez-vous toujours dans l’avenir ce que vous êtes aujourd’hui pour moi ? demanda-t-elle vivement. Un temps ne viendra-t-il pas où vous arriverez à me haïr ?
Elle prévint toute réponse à ces craintes étranges et poussa Blanche vers la porte.
– Nous avons passé d’heureuses années ensemble, ajouta-t-elle en lui envoyant un adieu de la main, remercions-en Dieu et reposons-nous en Lui pour le reste.
Elle ouvrit la porte de la chambre à coucher et appela la femme de chambre, qui était dans le salon.
– Miss Lundie vous attend, dit-elle.
Blanche lui serra la main et la quitta.
Anne attendit un peu dans la chambre, écoutant le bruit de la voiture qui s’éloignait. Ce bruit alla en diminuant. Quand tout se fut éteint dans le silence de la nuit, elle resta encore quelques instants absorbée dans ses pensées ; puis revenant à elle tout à coup, elle se précipita dans le salon et tira le cordon de la sonnette.
– Je deviendrai folle, s’écria-t-elle, si je reste seule ici.
Bishopriggs lui-même sentit la nécessité de garder le silence, lorsqu’il se trouva en face de la jeune femme.
– J’ai besoin de lui parler. Envoyez-le-moi immédiatement.
Bishopriggs comprit et se retira.
Arnold entra.
– Est-elle partie ?
– Elle est partie. Elle n’aura pas de soupçons contre vous quand elle vous reverra. Je ne lui ai rien dit. Ne me demandez pas les raisons qui m’y ont déterminée.
– Je n’ai pas le désir de vous les demander.
– Fâchez-vous contre moi si vous voulez.
– Je n’ai pas le désir de me fâcher contre vous.
Sa manière de parler, son air étaient ceux d’un autre homme.
1 comment