Après s’être assis tranquillement devant la table, il appuya sa tête sur sa main et garda le silence. Anne demeura muette de surprise.
Elle s’approcha et se mit à l’observer avec curiosité. Dans quelque disposition d’esprit que soit une femme, elle sent toujours l’influence d’un changement inattendu dans les manières d’un homme lorsque cet homme l’intéresse.
Il n’en faut pas chercher la cause dans les variations de son humeur, et il est bien plus probable qu’on en doive trouver l’explication dans cette abnégation noble et tendre qui est une des plus grandes vertus des femmes et leur éternel honneur. Petit à petit, le charme tout féminin du visage d’Anne reparut lentement au milieu même de sa tristesse.
La noblesse innée de la nature féminine répondait à cet appel inconscient qu’elle lisait sur les traits d’Arnold. Elle toucha l’épaule du jeune homme.
– Cette épreuve a été bien dure pour vous, dit-elle, et le blâme doit retomber sur moi. Faites un effort pour me pardonner, Mr Brinkworth. J’en éprouve un chagrin sincère. Je voudrais de tout mon cœur pouvoir vous consoler.
– Merci, miss Sylvestre. Ce n’était pas bien agréable de me cacher de Blanche, comme si j’avais eu peur d’elle, et cela m’a fait réfléchir peut-être pour la première fois de ma vie. Ne songez plus à cela, c’est fini maintenant. Puis-je faire quelque chose pour vous ?
– Que comptez-vous faire cette nuit ?
– Ce que je me suis toujours proposé : remplir mon devoir envers Geoffrey. Je lui ai promis de venir vous voir au milieu de vos embarras ici et de pourvoir à votre sûreté jusqu’à son retour. Je ne puis arriver à ce but, avec certitude, qu’en gardant les apparences et en passant la nuit dans ce salon. Lorsque nous nous reverrons, j’espère que ce sera dans de plus agréables circonstances. Je serai toujours heureux de penser que j’ai pu vous être utile. Selon toutes probabilités, je serai parti demain matin bien avant que vous ne soyez levée.
Anne lui tendit la main pour prendre congé de lui. Il n’y avait à revenir sur rien de ce qui était arrivé. Le temps des avis et des remontrances était passé.
– Vous n’aurez pas obligé une ingrate, dit-elle. Un jour peut venir, Mr Brinkworth, où il me sera possible de le prouver.
– J’espère que non, miss Sylvestre. Adieu et bonne chance !
Elle se retira dans sa chambre. Arnold ferma la porte du salon et s’étendit sur le sofa pour y passer la nuit.
La matinée était superbe, l’air délicieux après l’orage.
Arnold était parti, comme il l’avait promis, avant qu’Anne fût sortie de sa chambre. On savait dans l’auberge qu’une importante affaire l’appelait à l’improviste dans le Sud. Maître Bishopriggs avait reçu une généreuse rémunération et Mrs Inchbare avait été informée que l’appartement était loué pour une semaine, au moins.
La marche des événements semblait désormais devoir être plus tranquille. Arnold était en route pour se rendre dans son domaine ; Blanche était en sûreté à Windygates ; la résidence d’Anne à l’auberge était assurée.
Mais que faisait Geoffrey ?
Sa conduite était subordonnée à une question de vie ou de mort dont on attendait la solution à Londres.
Et Anne ne savait rien !…
Si lord Holchester vivait, Geoffrey était libre de revenir en Écosse et de se marier secrètement avec elle. Si lord Holchester mourait, Geoffrey était libre de faire venir Anne et de l’épouser publiquement à Londres.
Mais pouvait-elle compter sur Geoffrey ?
Elle se rendit sur la terrasse devant l’auberge. La brise fraîche du matin soufflait avec force. Une longue procession de gros nuages blancs traversait le ciel ; le soleil tantôt s’obscurcissait, tantôt reparaissait dans son éclat radieux.
Une lumière blanche et une ombre bleuâtre se succédaient sur la surface du marécage, comme les alternatives de crainte et d’espoir dans l’esprit d’Anne Sylvestre, pendant qu’elle méditait sur son destin.
Elle quitta la place, fatiguée d’interroger l’impénétrable avenir, et rentra dans l’auberge.
En traversant la salle, elle consulta la pendule.
L’heure de l’arrivée du train du comté de Perth à Londres était passée.
Geoffrey et son frère étaient à ce moment en route pour se rendre à la demeure de lord Holchester.
TROISIÈME SCÈNE
LONDRES
14
ÉCRIRE OU NE PAS ÉCRIRE
Les domestiques de lord Holchester, le sommelier à leur tête, veillaient à la porte extérieure, attendant l’arrivée de Mr Julius Delamayn. L’apparition des deux frères sembla les bien surprendre. Julius, seul, interrogea le sommelier ; Geoffrey, se tenant à l’écart, se contentant d’écouter.
– Mon père est-il vivant ?
– Sa Seigneurie, je suis heureux d’avoir à vous l’annoncer, a étonné les docteurs, monsieur. Il est revenu à lui, la nuit dernière, d’une façon merveilleuse.
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