Il faut commencer à la Chambre des communes, comme je le désirais. Quelles sont vos chances avec vos commettants ? Dites-moi exactement où vous en êtes et comment je dois m’employer pour vous.
– Assurément, monsieur, vous n’êtes pas encore suffisamment rétabli pour vous occuper d’affaires.
– Si fait, je suis très suffisamment rétabli. J’ai besoin d’une chose sérieuse qui m’occupe. Mes pensées commencent à faire un retour sur le passé et sur des événements qu’il vaut mieux oublier.
Une soudaine contraction passa sur son visage livide. Il arrêta son regard sur son fils et aborda brusquement une nouvelle question.
– Julius, reprit-il, avez-vous jamais entendu parler d’une jeune femme nommée Anne Sylvestre ?
Julius répondit négativement. Sa femme et lui avaient échangé des cartes avec lady Lundie et ils s’étaient excusés de ne pouvoir accepter son invitation à la fête de jour.
Tous deux ignoraient complètement la composition du cercle de famille à Windygates.
– Prenez note de ce nom, continua lord Holchester, Anne Sylvestre. Son père et sa mère sont morts. J’ai connu son père autrefois. On a mal agi avec sa mère. Cela a été une triste affaire. J’y ai repensé pour la première fois depuis bien des années. Si la fille est vivante et de ce monde, elle doit se rappeler notre nom. Venez-lui en aide, Julius, si jamais elle a besoin d’assistance et si elle s’adresse à vous.
De nouveau, son pâle visage se contracta douloureusement. Comment sa pensée l’avait-elle ramené au souvenir de cette soirée d’été mémorable, à la villa de Hampstead ? Avait-il revu, dans ses rêves de malade, l’épouse abandonnée, s’évanouissant à ses pieds ?
– Revenons à votre élection, dit-il d’un ton impatient. Mon esprit n’est pas accoutumé à rester inactif. Donnez-lui de quoi se nourrir.
Julius exposa sa situation aussi clairement et aussi brièvement qu’il lui fut possible. Le père ne trouva rien à reprendre à cet exposé. Seulement, il ne pouvait approuver l’absence de son fils du champ de bataille.
Il blâma lady Holchester de l’avoir appelé à Londres. Il se fâcha de la présence de son fils à son chevet, au moment où Julius devait agir auprès de ses électeurs.
– C’est inopportun, Julius, dit-il avec vivacité. Ne devriez-vous pas comprendre cela de vous-même ?
Il était convenu entre Julius et sa mère qu’il profiterait de la première occasion favorable pour risquer une allusion à Geoffrey ; cette occasion se présentait, il la saisit sur l’heure.
– Ce n’était pas inopportun pour moi, monsieur, répliqua-t-il, ni pour mon frère non plus. Geoffrey était également inquiet à votre sujet. Il est venu avec moi à Londres.
Lord Holchester regarda son fils aîné avec une expression de surprise quelque peu railleuse.
– Ne vous ai-je pas déjà dit, répliqua-t-il, que mon esprit n’avait été nullement affecté par ma maladie ? Geoffrey inquiet à mon sujet ! L’inquiétude est une émotion du monde civilisé ; cependant, l’homme à l’état sauvage est incapable de la ressentir.
– Mon frère n’est pas un sauvage, monsieur.
– Il a généralement l’estomac bien garni, et sa peau est couverte de linge et de vêtements au lieu d’être tatouée avec de l’ocre rouge et enduite d’huile. En cela, certainement, votre frère est civilisé. Sous tous les autres rapports, votre frère est un sauvage.
– Je comprends ce que vous voulez dire, monsieur. Mais il y a quelque chose à objecter en faveur du genre de vie de Geoffrey. Il exerce son courage et sa force. Le courage et la force sont de belles qualités dans leur genre.
– Excellentes qualités, quand on les prend pour ce qu’elles valent. Mais prenez la peine de défier Geoffrey d’écrire une seule phrase dans un anglais acceptable, et vous verrez si le courage ne lui manque pas. Mettez-le devant des livres, pour se préparer à prendre ses degrés, et tout fort qu’il est, il tombera malade rien qu’à les voir. Vous désirez que je reçoive votre frère.
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