Je ne puis avoir lu déjà ce passage, car je n’ai pas tourné le feuillet.
Blanche se renversa sur son siège et enfin, résignée, se voila le visage avec son mouchoir.
– Les mouches ! dit-elle. Ne croyez pas que je veuille dormir. Essayez de l’autre page, cher Arnold, à partir de l’autre page.
Arnold continua :
Disons d’abord, car le Ciel ne cache rien à ta vue,
Pas plus que les profondeurs de l’enfer, disons d’abord quelle cause
Vint troubler nos premiers parents dans cet heureux état…
Blanche retira vivement son mouchoir et se tint assise toute droite sur son fauteuil.
– Fermez ce livre ! cria-t-elle, je ne puis en supporter davantage. Arnold fermez-le !… Arnold, fermez-le !…
– Qu’avez-vous ?
– Cet heureux état, dit Blanche, qu’est-ce que cet heureux état signifie ? Le mariage sans doute ! Et le mariage me rappelle Anne. Je n’en veux pas entendre parler davantage. Le Paradis perdu est trop pénible. Fermez le livre. Bien. La première question à sir Patrick a donc été pour savoir ce qu’il pensait que le mari d’Anne avait pu faire. Le misérable a tenu envers elle une conduite infâme ; mais en quoi… de quelle façon ?… Y a-t-il quelque secours à porter à Anne ?… Mon oncle réfléchit encore. Il pensait que tout était possible. « Les mariages secrets sont de dangereuses choses, m’a-t-il dit, surtout en Écosse. » Je ne pouvais rien lui dire à ce sujet. Je me contentai de lui répondre : Supposez que cela soit. Qu’arriverait-t-il ? « Il est fort possible, dans ce cas, dit sir Patrick, que miss Sylvestre ait des inquiétudes à concevoir au sujet de son mariage. Elle peut même avoir raison de penser que ce soit un mariage sérieux. »
Arnold tressaillit et regarda du côté de Geoffrey, toujours assis devant le bureau et qui lui tournait toujours le dos.
Tout en se trompant dans leur appréciation sur la situation d’Anne Sylvestre, Blanche et sir Patrick avaient néanmoins soulevé la vraie question qui touchait Anne et Geoffrey : celle du mariage en Écosse.
Arnold ne pouvait, en présence de Blanche, dire à Geoffrey d’écouter l’opinion de sir Patrick. Il pensa que ces paroles étaient parvenues jusqu’à l’oreille de l’athlète et que Geoffrey écoutait.
Il écoutait, en effet ; les derniers mots de Blanche étaient arrivés jusqu’à lui au moment où il pesait encore les termes de la lettre qu’il devait adresser à son frère.
Blanche continua tout en passant ses doigts dans les cheveux d’Arnold assis à ses pieds.
– L’idée me vint à l’instant que sir Patrick avait touché la vérité. Naturellement, je le lui dis. Il se mit à rire et me répondit qu’il ne fallait pas ainsi se hâter de conclure. Et nous voilà cherchant dans les ténèbres et rassemblant toutes les choses inquiétantes que j’avais observées à l’auberge ; mais chacune de ces choses est susceptible d’explications différentes… Sir Patrick aurait épilogué toute la matinée, si je ne l’avais arrêté. Moi, je suis logique. Je dis que j’avais vu Anne et qu’il ne l’avait pas vue, ce qui fait une grande différence. Je lui dis que tout ce qui m’étonnait et m’effrayait pour ma pauvre chérie me semblait expliqué. La loi peut et doit atteindre cet homme, et il faut qu’il soit puni. Je prenais en ce moment les choses si fort au sérieux que je crois que je pleurais. Que pensez-vous que fit ce cher vieil oncle ? Il me prit sur ses genoux et me dit, de la façon la plus charmante, qu’il adopterait ma manière de voir tout de suite, si je voulais lui promettre de ne plus pleurer, sauf à me présenter les choses sous un nouveau jour, dès que j’aurais repris du calme. Vous pouvez imaginer avec quelle prestesse j’essuyai mes yeux et quel aspect tranquille j’offris en moins d’une demi-minute ! « Prenons comme accordé, me dit alors mon oncle, que cet homme inconnu a réellement essayé de tromper miss Sylvestre ainsi que vous et moi nous le supposons. Je puis vous dire une chose, c’est qu’il y a autant de probabilité pour que contre. En essayant de la faire tomber dans le piège, il pourrait bien finir, sans en avoir le moindre soupçon, par s’y prendre lui-même. »
Geoffrey retint sa respiration ; la plume lui tomba des doigts sans qu’il y prît garde. La lumière que son frère n’avait pu jeter sur ce sujet du mariage d’Écosse commençait enfin à poindre.
Blanche reprit :
– J’étais si intéressée à ce que j’entendais, et l’opinion de sir Patrick faisait une si violente impression sur moi, que je n’ai rien oublié. « Il me faut rompre votre pauvre petite tête des dispositions de la loi écossaise, me dit mon oncle.
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