La hâte suspecte que met la cour de France à régler cette affaire n’est-elle point dictée, en somme, par les rapports inquiétants que lui ont communiqués les médecins sur la maladie qui mine l’héritier du trône ? Le principal dans cette union, pour les Valois, est de s’assurer la couronne d’Ecosse ; c’est pourquoi l’on traîne précipitamment les deux enfants devant l’autel. Dans le contrat de mariage conclu avec les représentants du Parlement écossais, le dauphin reçoit la « couronne matrimoniale », il sera « coroi » d’Ecosse. Mais en même temps les parents de Marie, les Guise, font signer dans le plus grand secret à cette enfant de quinze ans, entièrement irresponsable, un deuxième document qui doit rester ignoré du Parlement écossais et dans lequel Marie Stuart lègue son pays à la France dans le cas où elle mourrait jeune et sans enfant – comme si l’Ecosse était son bien personnel – et même ses droits à la couronne d’Angleterre et d’Irlande.

Bien entendu ce traité est une malhonnêteté – le mystère qui entoure cette signature en est une preuve. Car Marie Stuart n’a pas le droit de changer de sa seule volonté l’ordre de succession au trône d’Ecosse et de léguer son pays à un gouvernement étranger comme s’il s’agissait d’un manteau ou d’un bien quelconque ; mais ses oncles veulent qu’elle signe et sa main encore innocente obéit. Tragique symbole ! La première signature que Marie Stuart, sous la dictée de ses parents, appose au bas d’un document politique est aussi la première trahison de cette nature franche, confiante et droite, au fond. Mais pour être reine, pour rester reine, il ne lui sera dès lors plus permis d’être entièrement sincère. Celui qui s’est donné à la politique ne s’appartient plus et doit obéir à d’autres lois qu’aux lois sacrées de sa nature.

Le spectacle grandiose de la cérémonie du mariage masque admirablement aux yeux des gens ces machinations secrètes. Catherine de Médicis se souvient de son pays et des cortèges de la Renaissance conçus par les plus grands artistes et elle met son point d’honneur à ce que le mariage de son enfant l’emporte sur les plus somptueux festivals de sa jeunesse : Paris, en ce 24 avril 1558, est la première ville du monde pour les réjouissances. On dresse devant Notre-Dame un pavillon avec ciel royal en soie de Chypre bleue et semé de lys d’or auquel conduit un tapis bleu également brodé de lys. Les musiciens habillés de jaune et de rouge marchent en tête et jouent de toutes sortes d’instruments ; ensuite s’avance, salué par des cris d’allégresse, le cortège royal « resplendissant d’or et d’argent ». Le mariage est célébré sous les yeux du peuple ; des milliers et des milliers d’yeux admirent la fiancée aux côtés de ce garçon fluet et pâle, ployant presque sous sa pompe. Les poètes de la cour se surpassent à cette occasion dans leurs descriptions extatiques de la beauté de Marie : « Elle apparut, écrit lyriquement Brantôme qui se complaît d’habitude dans les anecdotes galantes, cent fois plus belle qu’une divinité céleste. » Peut-être à cette heure-là l’éclat de son bonheur a-t-il vraiment donné à la dauphine un rayonnement particulier ? Car cette radieuse jeune fille qui salue de tous côtés en souriant connaît l’instant le plus magnifique de sa vie. Jamais plus Marie Stuart ne verra autant de richesses autour d’elle, ne sera autant acclamée qu’au moment où, aux côtés du premier prince de l’Europe, à la tête d’une escorte de chevaliers aux armures ciselées, elle traverse les rues de la capitale qui retentissent de cris de joie et d’enthousiasme. Le soir, un festin a lieu au Palais de Justice où tout Paris se bouscule pour admirer la jeune fille qui apporte une nouvelle couronne à la France. Ce jour glorieux se termine par un bal où des artistes ont réservé aux assistants les surprises les plus merveilleuses. Six galères dorées, aux voiles argentées imitant habilement les mouvements d’un navire ballotté par la tempête, sont amenées dans les grandes salles par des machinistes invisibles. Dans chacune d’elles se trouve un prince vêtu d’or et masqué de soie qui aborde une des dames de la cour et la conduit galamment dans sa nef. Ce jeu symbolique figure un heureux voyage à travers la vie au milieu du luxe et de la magnificence. Mais le destin n’obéit pas aux désirs des hommes et le vaisseau de la vie emporte Marie Stuart loin de ces amusements et vers d’autres rivages plus périlleux.

Le premier danger surgit de façon inattendue. Marie Stuart est depuis sa naissance reine d’Ecosse. A présent que l’héritier du trône de France en a fait sa femme, une seconde couronne, plus belle que la première, flotte déjà, invisible, au-dessus de sa tête. Mais voici que le destin – fatale tentation ! – en fait briller une troisième devant ses yeux ; éblouie par son éclat trompeur et mal avisée elle cherche à s’en emparer d’une main maladroite. En cette même année 1558 où Marie Stuart épouse le dauphin de France, la reine d’Angleterre, Marie Tudor, meurt, et sa sœur consanguine, Elisabeth, monte sur le trône. Mais celle-ci est-elle vraiment la reine légitime ? Henri VIII-Barbe-Bleue avait laissé trois enfants, Edouard et deux filles, dont Marie, l’aînée, née de son mariage avec Catherine d’Aragon, et Elisabeth, de son union avec Anne de Boleyn. Edouard étant mort jeune, Marie était devenue l’héritière ; mais maintenant qu’elle est morte sans laisser d’enfants, Elisabeth a-t-elle de réels droits à la couronne d’Angleterre ? Oui, disent les juristes anglais, puisque le mariage d’Henri VIII avec Anne de Boleyn a été célébré par un évêque et reconnu par le pape. Non, disent les juristes français, car, par la suite, Henri VIII a fait casser ce mariage et un arrêt du Parlement a déclaré Elisabeth bâtarde. Si l’on adopte cette dernière façon de voir – qui est approuvée par le monde catholique – Elisabeth étant indigne de régner, personne d’autre que Marie Stuart, l’arrière-petite-fille d’Henri VIII, n’a le droit de monter sur le trône d’Angleterre.