La fréquentation des prisons nous en apprend bien d’autres. En voyant mon petit bagage, Victor me complimente :
« Joli sac, monsieur !
– Vous le connaissez ?
– Nullement. Votre question, monsieur, est oiseuse et peut-être imprudente. Je vois ce sac pour la première fois. J’en admire la sobre et solide élégance. Quoi de plus naturel !... Je ne sors du naturel que pour faire les têtes. On ne saurait le reprocher à un coiffeur... Je joue aussi aux courses... pour les autres... Je n’ai jamais eu d’ennuis parce qu’avec moi tout se passe toujours correctement. Asseyez-vous, monsieur !... Monsieur est venu, je crois, pour le numéro 25 ?
– Il paraît, Victor !... »
Je vois tomber avec satisfaction ma moustache à la Charlot. Puis Victor m’élargit le front, me dégarnit les tempes, cheveux passés au siccatif qui en modifie légèrement la teinte. Raie sur le côté. Enfin, j’apprends à faire une cicatrice qui part du cuir chevelu pour rejoindre l’arcade sourcilière gauche.
« Je me suis battu en duel ?
– Monsieur m’en demande trop long... Monsieur emportera cette petite boîte ; Monsieur fera cela aussi bien que moi. Et maintenant, laissez-moi vous offrir deux joues enflammées par la haine du régime sec. Parfait ! vous voilà. très black and white ! Et maintenant, cette jolie paire de lunettes. Ça fait partie de la fourniture qui s’achète “avec la tête”. »
Quand c’est fini, je ne puis m’empêcher de rire devant la glace, malgré le tragique de la situation.
« Je ne vais plus oser boire que du whisky ou du gin !
– Monsieur a tout du jolly good fellow ! exprime Victor. Non, ne vous occupez pas de l’addition. Je mettrai ça sur la note “du patron” ! »
Dans le taxi qui me conduit à la gare Saint-Lazare, je ne ris plus ! Ce Victor m’embête avec « son patron » !...
J’ouvre le sac pour chercher mes cartes de visite. Dans le dossier 25, je trouve tout ce qu’il me faut, non seulement des cartes de visite, mais encore des papiers, une notice sur mon pedigree, un aperçu de mon existence passée, de mes voyages, des détails sur une rencontre que j’eus, il y a deux ans à Milan, avec Sir Archibald Skarlett, qui, justement, cherchait un valet de chambre, et à qui je recommandai Durin, enfin, des passeports avec ma photographie ! C’est moi, tout craché ! J’admire...
II
Entre Vernon et Lisieux, j’ai été pris d’une colère singulièrement grotesque. J’étais seul dans mon compartiment, affalé dans un coin, me refusant à penser, anéanti, redoutant par-dessus tout de sortir de cette sorte de léthargie où j’avais trouvé lâchement un refuge passager. Et voilà que tout à coup je fis explosion : « Eh bien, es-tu content ? Tu y vas, à Deauville !... »
Et je me bourrai de coups, comme un enfant, en m’injuriant comme un charretier. Ma rage stupide était comparable à celle de cette sotte fille qui, dans un conte de Perrault, pouvant formuler des vœux qui eussent fait sa fortune, avait désiré une aune de boudin, l’avait vue descendre par la cheminée, puis sauter à son nez, et avait épuisé son destin en souhaitant d’être, sur-le-champ, débarrassé de cette encombrante charcuterie.
J’allais à Deauville, mais que n’aurais-je donné pour en être déjà revenu ! Qu’est-ce que me réservait ce damné M. Prim ? En vérité, je le connaissais si peu ! Quant à maître Antonin Rose, il ne pouvait plus en être question, du moins pour le moment !... J’avais vendu « mon moi » contre un visage, le cent unième de l’illustre Mister Flow ! Ma personnalité se réduisait désormais à n’être qu’un portrait de plus dans sa collection, une simple épreuve retouchée ! Et encore je devais veiller à ne pas trop l’abîmer dans mon désespoir...
Dans une glace, je constate que ma cicatrice n’a pas trop souffert de ma gesticulation ridicule. Je suis plus brique cuite que jamais ! Mon haleine doit être d’une fraîcheur d’alcool à 90...
1 comment