Je reviens sur mes pas, je les mêle... Et soudain, je trébuche contre un corps : c’est elle ! Et je m’écroule à mon tour. Je la roule dans mes bras. Ses lèvres me rendent goûlument ma morsure, les seins tant attendus sont ma proie. Et j’ai cette lady, dans sa robe de gala, avec la violence et le saccage d’un portefaix qui prend une fille sur les dalles d’un port, derrière un chargement de cacahuètes.
Étrange lit d’amour qu’elle a choisi là. Elle m’y tient prisonnier comme si elle ne voulait plus me lâcher, jamais. Mais mon étreinte est aussi prolongée que son insatiable désir. C’est la lame qui nous chasse ; j’ai pu penser un moment qu’elle voulait que nous nous aimions jusque dans la mer. Quand elle se relève, elle dit simplement : « Oh ! que c’est joli ! Is’nt it ? »
C’est sa façon de remercier, paraît-il, et de témoigner sa satisfaction. Elle secoue sa robe.
Je la reconduis devant le casino, où nous trouvons son auto. Elle m’y fait monter. Elle me dit : « Lawrence, cher Lawrence, je vous attends cette nuit !
– Ah ! bien, ça va ! Right oh ! »
Elle ajoute encore : « Par la fenêtre ! » Enfin, comme l’auto s’arrête devant la porte de l’hôtel : « Lawrence, je vous adore ! »
Dans le vestibule, je lui baise la main, très cérémonieusement, puis je regagne ma chambre. Hell and Maria ! comme jure Helena, dans les moments d’abandon, je devrais être heureux de ma soirée ! Mes affaires vont bien ! Tout marche à souhait. Avec ma chance, je n’ai qu’à puiser là-bas, dans ma grande maison. Si j’avais voulu, ce soir, ou plutôt si j’avais pu, je n’aurais pas été quasi anéanti par un gain aussi minime. Je suis parti du « Privé » d’une façon ridicule, comme si j’avais volé, comme si j’avais les gendarmes à mes trousses. Et c’était le moment de « ponter » et ferme ! Un quart d’heure de cette veine, et c’était peut-être un million que j’enlevais ! Est-ce qu’on sait jamais ? On a vu des choses plus rares, au jeu ! Je n’avais pas épuisé la déveine de l’armateur grec. Car c’est cela, uniquement cela, qu’il faut jouer, la déveine des autres ! Elle est plus visible que la flamme qui s’est allumée sur la tête des apôtres... C’est le seul système. Je m’y tiendrai désormais jusqu’au bout !
Système d’un renseignement sûr et de tout repos. Me voilà bien tranquille pour demain et les jours qui suivent. Et l’amour ? Pas banale, mon aventure avec Lady Helena ! Dans mes rêves les plus fous, avais-je imaginé de posséder une telle femme dans de pareilles conditions ? Moi, petit avocat stagiaire, qui, hier encore, « faisais les couloirs », j’ai bousculé sur la grève une reine de beauté qui a ses entrées à Buckingham Palace ! Et elle ne doit pas le regretter !
Alors, alors, pourquoi ma joie n’est-elle pas complète ? qu’est-ce qu’il lui manque ? Helena ne vient-elle pas encore de me dire : « Je vous adore ! » et elle m’attend... Oui, elle m’attend, mais elle ne m’a pas dit : « Je vous adore ! », elle m’a dit : « Je vous adore, Lawrence ! »
Eh bien, je suis jaloux de Lawrence ! quel homme était-ce donc, ce Lawrence (posons nettement la question : quel homme est-ce donc ce Mister Flow ?), pour que, sortant de mes bras, Helena n’ait qu’un soupir de reconnaissance pour l’ami retrouvé ? Je croyais l’étonner. Elle n’a pas paru étonnée du tout ! J’en serais inquiet si j’étais moins vexé. Triste fou ! Tu devrais te réjouir. Plus tu seras Lawrence, en toute occasion, plus tu auras ta partie gagnée !...
Est-ce bien sûr ? C’est ce que j’ai rêvé de jouer une autre partie que celle-là, moi ! Allons ! maître Rose, la nuit n’est point terminée ! Si tu crois que la victoire est encore en suspens, profite des dernières heures qui te restent avant l’aurore et triomphe ! joue ton va-tout ! qu’elle s’écrie encore, mais cette fois, dans un râle suprême : « Je ne vous reconnais plus, Lawrence !... »
J’ouvre ma fenêtre sur la terrasse. Un rai de lumière glisse sur ma gauche, entre deux rideaux mal joints. C’est là !... j’enjambe les balustres.
Ô ! nuit de jeunesse ! nuit d’escalade !... Déguisé comme un voleur, je cours à l’amour comme à un crime ! Mais les obstacles ordinaires de la vie n’existent plus pour moi.
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