Je suis hors de tout et hors de moi-même. Je ne suis plus qu’une force et qu’un désir indomptables... On m’attend. Je plonge dans l’odeur chaude de ton parfum et tu me reçois dans tes bras avides, Helena, ma bien-aimée !...
Mettez-vous à ma place, à mon âge, au centre de cette aventure fabuleuse qui me roule dans les ténèbres comme cette femme me roule dans son lit et je vous défie d’en parler sans un peu de romantisme. Tout cela aurait l’air très châteaux en Espagne si je n’avais à la cheville le bracelet très réel qui me rive à la chaîne des forçats. Cela commence par une échelle de soie et cela va peut-être se terminer, demain, tout à l’heure, par un départ à l’île de Ré !
Nuit de volupté à fond de terreur ! Il y a des moments où je comprends que l’on étrangle la femme qu’on aime. Elle gémit, mais elle ne se plaint pas. Elle ne dit plus : « Ah ! que c’est joli, my dear ! » Peut-être a-t-elle compris que je l’eusse tuée. Peut-être comprend-elle que je suis près de la tuer. Cela ne me déplaît pas qu’elle ait la terreur de cela. Cela entre dans mon plan : son amour et son épouvante ! Et peut-être aussi que cela ne lui déplaît pas non plus ! C’est une femme qui ne doit pas avoir peur de la mort, surtout quand elle s’accompagne de la plus violente caresse. Ô ! Helena ! jusqu’au fond de quel abîme sommes-nous descendus tous les deux, accrochés l’un à l’autre, et déchirés l’un par l’autre ? Celui qui voit dans la nuit éternelle ne saurait dire si nous voulons nous séparer ou nous réunir. Mais, tu ne remonteras pas sans moi !
Ta chair ne gémit plus, je n’entends plus ton souffle... Après tout, tu es peut-être bien morte !... Je tire un rideau. Les premiers rayons du jour... Tu dors comme une enfant repue... Ta lèvre qui saigne sourit. Des perles roses roulent sur tes seins, sur tes bras crucifiés, et moi, je dois être beau, avec mon visage de buveur de vin et toute la pommade glacée de l’honorable J. A. L. Prim ! J’aime mieux ne pas voir ça !... J’entre dans la salle de bain. Je plonge toute cette magnifique marmelade dans le lavabo, savonnage, serviette-éponge. Devant la glace, un bel adolescent de vingt ans, au teint de jeune fille. Pas plus de poils sur les joues qu’Helena aux aisselles... Tout de même, un peu de poudre de riz, de sa poudre à elle, le cher démon. J’ouvre la fenêtre, d’un geste à conquérir le monde... Quelle belle journée ! quelle fraîcheur ! et, là-bas, le doux soupir de la mer dorée par l’astre radieux qui monte derrière nous. Le soleil d’Austerlitz ! Fais donner la garde, mon Empereur !...
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