Il s’appelle Charles Durin.

Et voilà !

Et pourtant, il y a des coups de couteau ! Ils ne sont jamais pour moi ! Des crimes magnifiques, des escroqueries étourdissantes ! Jamais époque judiciaire n’a été plus fertile en miracles. Ouvrez un journal. De la première à la dernière colonne (dernière heure mise à part et publicité), ça n’est qu’exploits d’apaches du grand monde ! Car les autres n’existent plus... Ils ont déserté les bouges et remisé leurs casquettes. Ils ont appris à danser et s’habillent place Vendôme. Et qu’est-ce qu’on voit comme danse de colliers de perles !... comme nettoyage de bijouteries ! Et dans les banques, dans les grandes maisons d’affaires, les lauréats de l’École de commerce, ce qu’ils s’offrent comme comptabilité !... Des millions disparus aux courses ! Un employé à dix-huit mille fait la pige au « mutuel » sur le « carnet » des books ! Et les grandes dames qui épousent les gigolos ! Et les gigolos qui étranglent les grandes dames entre deux jazz ! La police n’a plus assez d’inspecteurs, les inspecteurs n’ont plus assez de menottes. Mais moi ? Rien... Épingle de cravate !... Charles Durin, domestique, vol et abus de confiance... Ah ! ce n’est pas encore celui-là dont on verra la photo dans les journaux, au-dessus de celle de son avocat !...

Allons tout de même lui faire une petite visite. Je vais demander au juge un permis de communiquer...

Eh bien, j’en reviens. Ça n’a pas été long !... Une tête d’idiot, pas même. La plus parfaite insignifiance. Il regrette... Il ne savait pas ce qu’il faisait... « Ça lui a pris comme ça », paraît-il, de vouloir chiper cette épingle de cravate. Il m’a demandé s’il n’y avait pas une maladie pour ces choses-là ?... Il a fallu que je lui dise le nom de la maladie. Il s’est mis à chialer... « Ah ! la guillotine ! La guillotine pour mon kleptomane ! »

J’ai entendu des vieux parler avec une émotion attendrissante de leurs années de Quartier latin, lorsque la vie s’ouvrait devant eux, riche d’espoirs. Je les ai interrogés ; certains n’étaient guère, à cette époque, plus dignes d’envie que moi et ne savaient point davantage où diriger leurs pas. Quand ils parlent de ces heures de basse inquiétude comme s’ils les regrettaient, je suis persuadé qu’ils mentent.

Je ne connais point de supplice plus cruel que celui de se sentir capable de tout, sans savoir exactement de quoi, et de ne pouvoir s’accrocher à rien. Journées abominables. Rentrées du soir écœurantes dans les deux pauvres pièces qui, au coin de la rue des Bernardins, constituent le domicile du « cher maître ». Je me jette tout habillé sur mon lit, dégoûté de tous et en particulier de moi-même.

Le bruit d’une machine à écrire, dans l’appartement d’à côté. Ce sont deux sœurs qui vivent là : Nathalie et Clotilde. Nathalie est sténo-dactylo, pas très jolie.