Qu’est-ce que j’irais faire là-bas, sur ces terres sèches ?
FEMME
Je me disais aussi. Mais le cheval crevait de sueur.
LEONARDO
Tu l’as vu, toi ?
FEMME
Non. Ma mère.
LEONARDO
Elle est avec le petit ?
FEMME
Oui. Tu veux une citronnade ?
LEONARDO
Avec de l’eau bien fraîche.
FEMME
Tu n’es pas venu manger, pourquoi ?….
LEONARDO
J’étais à mesurer le blé avec les gars. Ça leur prend un temps fou.
FEMME, préparant la citronnade, câline.
Ils t’en donnent un bon prix ?
LEONARDO
Le juste prix.
FEMME
Il me faudrait une robe et pour le petit un bonnet à rubans.
LEONARDO, se levant.
Je vais le voir.
FEMME
Va doucement, il est endormi.
BELLE-MÈRE, entrant.
Qui c’est qui crève le cheval à la course ? L’animal est en bas, couché, les yeux exorbités comme s’il arrivait du bout du monde.
LEONARDO, d’un ton aigre.
C’est moi.
BELLE-MÈRE
Après tout, c’est ton affaire.
FEMME, timide.
Il était à mesurer le blé.
BELLE-MÈRE
Moi ça m’est égal qu’il crève !
Elle s’assied. Silence.
FEMME
La citronnade, elle est bien fraîche ?
LEONARDO
Oui.
FEMME
Tu sais qu’on demande ma cousine en mariage ?
LEONARDO
Quand ça ?
FEMME
Demain. Le mariage c’est pour dans un mois. J’espère qu’on va nous inviter.
LEONARDO, grave.
Je n’en sais rien.
BELLE-MÈRE
Je crois que sa mère à lui n’est pas très contente de ce mariage.
LEONARDO
Elle a peut-être raison. La fille est difficile à vivre.
FEMME
Je n’aime pas qu’on pense du mal d’une si brave fille.
BELLE-MÈRE
S’il le dit, lui, c’est qu’il la connaît. (Insistante.) Tu ne sais donc pas qu’elle a été fiancée à lui pendant trois ans ?
LEONARDO
Mais j’ai laissé tomber. (À sa femme.) Tu ne vas pas te mettre à chialer, non ? Arrête ! (Il lui écarte les mains du visage.) Allons voir le petit.
Ils sortent en se tenant enlacés.
La jeune fille entre joyeusement en courant.
JEUNE FILLE
Madame.
BELLE-MÈRE
Qu’y a-t-il ?
JEUNE FILLE
Le fiancé est venu au magasin et il a acheté tout ce qu’il y avait de mieux.
BELLE-MÈRE
Il était seul ?
JEUNE FILLE
Non, avec sa mère. Une femme grande, l’air sévère. (Elle l’imite.) Mais quel luxe !
BELLE-MÈRE
Ils ont les moyens.
JEUNE FILLE
Et ils ont acheté des bas brodés !…. Vous auriez vu ! Des bas de rêve ! Imaginez : une hirondelle ici (montrant sa cheville), un bateau là (montrant son mollet) et là une rose (montrant sa cuisse).
BELLE-MÈRE
Ma fille !
JEUNE FILLE
Une rose avec la tige et les pétales ! Et je vous dis pas, tout en soie !
BELLE-MÈRE
Ils vont réunir leurs deux bas de laine.
Leonardo et sa femme apparaissent.
JEUNE FILLE
Je venais vous dire tout ce qu’ils ont acheté.
LEONARDO, fort.
J’en ai rien à foutre.
FEMME
Laisse-la.
BELLE-MÈRE
Leonardo, il n’y a pas de quoi s’énerver.
JEUNE FILLE
Excusez-moi.
Elle sort en pleurant.
BELLE-MÈRE
Quel besoin tu as de te mettre mal avec les gens !
LEONARDO
Je ne lui ai rien demandé.
Il s’assied.
BELLE-MÈRE
Très bien.
Silence.
FEMME, à Leonardo.
Qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce que tu mijotes dans ta tête, tu veux me dire un peu ?….
LEONARDO
Laisse tomber.
FEMME
Non. Je veux que tu me regardes et que tu me le dises.
LEONARDO
Fiche-moi la paix.
Il se lève.
FEMME
Où est-ce que tu vas, dis ?
LEONARDO, rude.
Vas-tu la boucler ?
BELLE-MÈRE, énergique, à sa fille.
Tais-toi donc !
Leonardo sort.
BELLE-MÈRE
Le petit !
Elle sort et revient avec l’enfant dans les bras. La Femme est restée debout, immobile.
Aux pattes blessé,
crinière glacée,
au fond des yeux
poignard d’argent
ils roulaient au ruisseau.
Le sang coulait
plus fort que l’eau.
FEMME, se retournant lentement et comme en rêvant.
Le cheval ne veut pas de cette eau,
mon œillet, fais dodo.
BELLE-MÈRE
Le cheval s’est mis à pleurer,
fais dodo, mon rosier.
FEMME
Dodo, l’enfant do.
BELLE-MÈRE
Le grand cheval
ne veut pas de cette eau.
FEMME, dramatique.
Ne viens pas, n’entre pas,
va dans la montagne,
neige chagrin,
cheval matin.
BELLE-MÈRE, pleurant.
Il s’endort mon bébé…
FEMME, pleurant et s’approchant lentement.
Il se repose mon bébé…
BELLE-MÈRE
Le cheval ne veut pas de cette eau,
mon œillet, fais dodo.
FEMME, pleurant et s’appuyant à la table.
Le cheval s’est mis à pleurer,
fais dodo, mon rosier.
Rideau.
TROISIÈME TABLEAU
Intérieur de la grotte
12
où vit la Fiancée. Au fond, une croix de grandes fleurs roses. Les portes rondes avec des rideaux de dentelle aux embrasses roses. Aux murs faits d’un matériau blanc et dur, des éventails ronds, des vases bleus et de petits miroirs.
SERVANTE
Entrez…
Très aimable, avec une hypocrite humilité. Le Fiancé et sa Mère entrent. La Mère est vêtue de satin noir avec une mantille en dentelle. Le Fiancé, en velours noir avec une léontine en or.
Voulez-vous vous asseoir ? Ils arrivent tout de suite.
Elle sort.
Mère et fils restent assis, figés comme des statues. Long silence.
MÈRE
Tu as ta montre ?
FIANCÉ
Oui.
Il la tire de son gousset et regarde l’heure.
MÈRE
Nous devrons rentrer à temps. Qu’ils habitent loin ces gens !
FIANCÉ
Mais ces terres sont bonnes.
MÈRE
Bonnes, mais trop isolées. Quatre heures de route, et pas une maison, pas un arbre.
FIANCÉ
Ce sont les terres sèches.
MÈRE
Ton père les aurait couvertes d’arbres.
FIANCÉ
Sans eau ?
MÈRE
Il en aurait cherché. Les trois ans qu’il a été marié avec moi, il a planté dix cerisiers… (Cherchant à se souvenir.) les trois noyers du moulin, toute une vigne et une plante qu’on appelle Jupiter, qui donne des fleurs rouges, mais elle a séché.
Silence.
FIANCÉ, parlant de la Fiancée.
Elle doit être en train de s’habiller.
Entre le Père de la Fiancée. C’est un vieil homme aux cheveux blancs et lustrés. Il a la tête penchée. La Mère et le Fiancé se lèvent ; ils se serrent la main en silence.
PÈRE
Vous avez mis combien pour venir ?
MÈRE
Quatre heures.
Ils s’asseyent.
PÈRE
Vous avez pris le chemin le plus long.
MÈRE
Je suis trop vieille pour suivre les sentiers escarpés du ruisseau.
FIANCÉ
Ça lui tourne la tête.
Silence.
PÈRE
La récolte d’alfa13 a été bonne.
FIANCÉ
Vraiment bonne.
PÈRE
De mon temps, cette terre ne donnait même pas d’alfa. Il a fallu suer sang et eau pour qu’elle produise quelque chose.
MÈRE
Mais maintenant elle produit.
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